Actualité
Le 11 mar 2022

Adaptation, réécriture et transposition. De la littérature au cinéma au théâtre

Avec le succès retentissant des illusions perdues de Xavier Giannoli adapté de l'oeuvre de Balzac au cinéma, on est en droit de se demander en quoi la transposition d'un récit d'un support à un autre peut l'enrichir, lui donner un éclairage nouveau voire le transcender. L’adaptation est évidemment une manière de rentabiliser un écrit, mais aussi et surtout de le faire vivre et de lui offrir une portée nouvelle.
Adapter une oeuvre littéraire requiert des techniques artistiques (Les illusions perdues)Adapter une oeuvre littéraire requiert une vraie vision des techniques artistiques (Les illusions perdues)

Les adaptations sont multiples. Elles se font du roman au théâtre, du cinéma au théâtre…mais aussi du roman à la bande dessinée, de la bande dessinée au cinéma. On a même tiré un roman du film "Titanic" (le livre du film).
Elles sont un art qui exige une maîtrise double, celle de l’appréhension de l’œuvre dont elles s’inspirent mais aussi de la forme qu’elles vont prendre. Jusqu’à nos comédies musicales à la mode qui n’ont pas peur de s’attaquer à Victor Hugo ou à Stendhal en opéra rock. 

Romans et récits source d’inspiration pour le théâtre

Les contes, les récits populaires, les épopées, la Bible ont été des sources permanentes pour les auteurs de théâtre. Et la tragédie grecque a largement puisé dans les récits d’Homère, le théâtre classique dans la littérature antique.
La réécriture, pratiquée dès l’antiquité n’a cessé de se développer. Au 20ème siècle, nombreux sont ceux qui s’en sont faits les champions comme Charles Dullin, Jean-Louis Barrault qui ont adapté au théâtre nombre de nouvelles et de romans.

Pourquoi adapter, pourquoi réécrire ?

Trahison, mésinterprétation, pour beaucoup il est souvent de « mauvais ton » de s’attaquer à des œuvres originales pour les transposer.
Sans doute parce que, comme l’évoquait Duras, chaque écrit dans sa forme initiale évoque "un espace imaginaire propre".
Mais n’est-il pas beau de ressusciter sans cesse un texte à l’éclairage de son époque et de son actualité ? Antigone, pièce en un acte d’Anouilh, est une réécriture transcendée de la pièce de Sophocle. En parfaite opposition avec les règles de la tragédie grecque, elle est conduite à l’éclairage de l’actualité du moment (la fin de la seconde guerre) sur le pouvoir et la révolte. Une grande pièce qui révèle l’ambiguïté des chefs d’œuvre, et la richesse de leur signification. .

Adapter, c’est aussi montrer l’actualité et la contemporanéité d’une œuvre

C’est lui donner une fulgurance nouvelle, donner à voir sa modernité. Et surtout rallier de nouveaux lecteurs, de nouveaux spectateurs à la cause de l’écrit et de la culture.
Et si l’on peut sourire des comédies musicales du moment, sur Mozart ou sur Notre Dame de Paris, ou les trois Mousquetaires, vaut-il mieux (à un public qui ne les lirait pas ?) ne pas savoir qui est Cosette, ignorer le grand musicien du 18ème et ne pas connaître le nom de Dartagnan ?

Comment adapter une œuvre : transposer, compléter, créer, sacrifier...

C’est combler les espaces imaginaires indispensables comme se plait à l’évoquer Marguerite Duras. D’ou sa défiance pour le cinéma.
Le cinéma dit la messe et « fixe les représentations pour toujours. ». Sans espace d’interprétation.
Et pourtant, considérons "Les illusions perdues" qui a raflé la plupart des Prix au César 2021, cette adaptation légère, enlevée, jouée par des  grands acteurs  donne un coup de neuf à l'oeuvre parfois lourde de Balzac (des pages et des pages sur le métier de l'édition, des comptes, des lenteurs...). Avec le film, on entre de plein pied dans le sujet : conquérir Paris à tout prix, avec un nom emprunté, pas de scrupule, pas de complexe, une revanche assumée sur le jugement social  mais un reste de morale pour protéger un amour. Puis la chute. A voler trop haut  on se brûle les ailes. Le film affiche des parti pris clairs, des décors parfaits, un climat, un rythme qui sied à une saga de conquête, c'est rapide et bien fait, jubilatoire...
Bien adapter une oeuvre, c'est aussi l'éclairer, la renouveler, l'actualiser. C'est relancer l'originale.

Allons plus loin. Pour le théâtre, la mise en scène d’un auteur est une forme de traduction et d’adaptation. La propre imagination du metteur en scène ou du réalisateur sculpte le texte originel et le fait vivre par extension. Deux auteurs compilent leurs talents et leurs visions pour donner naissance à une autre œuvre.
Et que dire de l’œil du lecteur ou du spectateur, si l’on pousse le paradoxe. Un texte s’apprécie de façon subjective, c’est aussi une déviation de la pensée originale de l’auteur.

Comment adapter un roman au cinéma ou au théâtre ?

Du roman au cinéma, du roman au théâtre... : adapter c’est passer d’une langue à une autre. C’est adopter de nouveaux codes, une nouvelle façon de raconter.
L’adaptation est un genre particulier disait Malraux… Elle a un sens unique. On transforme par exemple un roman en film mais rarement l’inverse. Pourquoi ?
Peut-être l’écrivain a besoin de créer de toutes pièces alors que le cinéma fait appel a des techniques normées. Son expression circonscrite, une fois réalisé, ne propose pas un champ possible d'imaginaire… Les rares exemples (de l’adaptation de film en roman) sont lamentables, précisait-il.

Mais attention, un film peut révéler un roman voire devenir un chef d’œuvre alors que l’écrit référent ne l’est pas. Citons Jeux interdits (Clément), Le fleuve (Renoir).
L’adaptation présuppose que l’œuvre initiale soit connue du public (sinon personne ne sait que c’en est une !).
Plus une œuvre est irréelle, selon Malraux, plus elle est facile à adapter. Simplement parce qu’à partir de son « irréalité », on pourra « créer », et  son champ imaginaire devient sans limite.

Adapter un écrit ou un roman, c'est choisir un nouveau langage.

Le langage des images n’est pas le langage du dialogue, n’est pas le langage de la narration.
Toute forme d’adaptation implique une sélection, un choix. Le format, le support exigent des sacrifices. Au cinéma par exemple, synthétiser le drame, l’intrigue, est essentiel car l’espace n’est plus le même.
Un amour de Swann de Volker Schlöndorff (1984) l’atteste. Le scénario lui-même résume en 24 heures la passion jalouse de Swann pour la cocotte Odette, avant un épilogue amer qui les projette dans le futur. L’adaptation requiert donc l’abandon de dizaines, voire de centaines de pages.

Du roman au théâtre on peut mentionner un merveilleux Anna Karénine dont le scénariste créait des dialogues entre des personnes qui se croisaient à peine dans le roman, et  juxtaposait deux scènes pour monter la complexité des décalages dans le temps et dans les lieux, des sentiments des héros mal interprétés ou mal reçus dans l'espace.
Chaque lecteur est le propre lecteur de soi-même disait Proust. C’est vrai.

Adapter ce n’est pas nécessairement être fidèle.

Un réalisateur ou un scénariste peut recouvrer toute sa liberté dans l’écriture de son scénario, et dans son interprétation de l’œuvre. Carné et Pagnol, Fellini et son Casanova.
Sa vision de l’œuvre, sa lecture, son interprétation doublée de sa technique et son talent de cinéaste s'écartent souvent d’une adaptation fidèle pour devenir parfois une simple source d’inspiration.
 

Transposition et adaptation libre.

C’est le cas où la transposition d’un roman passe par un système de filtre. Le cinéaste écrit un scénario de roman, pour écrire ou en faire écrire par un romancier une version romanesque contemporaine ou transposée dans un autre espace temps ou un autre espace lieu. Il la réadapte alors en un scénario original. La latitude, l’élasticité affichée des auteurs par rapport à l’œuvre initiale reconstruit une œuvre différente, autonome. Parfois pour de bons résultats comme le Madame Bovary de Manuel de Oliveira dans un Portugal contemporain.
Mais il faut compter aussi avec les chefs d’œuvre du cinéma inspirés d’écrits secondaires comme le fameux Barry Lindon de Stanley Kubrick, car les artistes brillants évoluent aussi dans leurs propres arts, dépassant parfois les œuvres originales auxquelles ils se réfèrent.

Adaptation de films au théâtre.

Certains films semblent être parfois du théâtre filmé. Le Huis Clos de Hitchcock dans Fenêtre sur Cour, l’atmosphère étouffante de Garde à vue de Claude Miller, et bien d’autres.
Nombre de films ont donné lieu à des adaptations de théâtre. Le mariage de Maria Braun de Fassbinder transporté sur les planches montre une Allemagne atypique qui compense sa douleur dans la surabondance de confort matériel, Les Enfants du paradis », fameux scénario de Jacques Prévert a également été repris au théâtre avec succès.

Le travail d’adaptation est un long chemin. Au-delà d’un récit, il est bon de s’interroger sur l’« adaptabilité », c’est à dire sur la "plausibilité" du mode de transposition. La densité d’une œuvre, la dimension romanesque ou historique, la dimension émotionnelle des personnages, la chronologie, la poésie nécessitent de repenser, de réorganiser, de sacrifier une partie de l’œuvre pour en exalter d’autres aspects.
Peter Jackson pour Le Seigneur des anneaux a entrepris l’impossible en s’attaquant à l’adaptation du millier de pages de Tolkien, réussissant la performance de faire perdre au public la notion d’original.

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Le monde de la chansons pullule de remix, de réinterprétations, voire même de réécritures.
Faites dans le respect de l'oeuvre originale, ces transposition nous font alors découvrir de nouvelles facettes d'un morceau, et un nouveau relief apparaît. de nouvelles couleurs, un éclairage différent, des focus inattendus.
Nous les aimons ou les détestons.
La peinture, la sculpture mais aussi tous les autres domaines progressent en partie par cette approche parfois biaisées, souvent volontairement.
Les livres sont bien évidemment aussi concernés comme vous le dites dans votre article. Ils sont réinterprétés non seulement par l'approche filmographique mais aussi par celle des audiolivres.
Certains films sont réinterprétés et rejoués, je pense par exemple à Total Recall, d'abord joué par Arnold schwarzenegger puis environ vingt ans par Colin Farrell.
N'ayant rien à voir l'une avec l'autre de prime abord, chacune de ces deux versions utilise l'approche fantasmée de son époque et un coup de jeune est donné.
Romeo+Juliette est aussi un très bon exemple de revitalisation d'une oeuvre. Certains la diront ratée, d'autres très intéressante ou encore réussie : ce n'est pas le propos. Rajeunir, revisiter une oeuvre et la faire vivre en est aussi tout simplement un objectif.
Ainsi, comme vous le dites en conclusion, ce travail d'adaptation est un long chemin qui jamais ne doit finir et toujours faire réagir le lecteur.

Publié le 27 Juin 2022