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Du 04 avr 2019
au 04 avr 2017

Romans : Ces étrangers qui écrivent en Francais

Cioran en traduisant Mallarmé, cherche la maîtrise absolue de la langue. Celle qui ne trahit pas la pensée, celle qui sublime la nuance. Quand il travaille sans répit son "Précis de décomposition", c’est pour rivaliser, dit-il, avec les indigènes. Rivaliser avec les indigènes, les dépasser, se dépasser, dire "là" où l’on ne vous attend pas. C’est tout le piment et le danger de ne pas écrire dans sa langue maternelle.
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Pourquoi un étranger choisit la langue francaise pour écrire ses romans, ses biographies, ses essais

Les auteurs étrangers qui écrivent en francais sont souvent des auteurs écartés de leur patrie, par conviction, par nécessité (l’exil) ; mais aussi par passion (d’un auteur francais). La traduction est souvent aussi l’une des passerelles pour y accéder.
C’est paradoxalement le plus grand bonheur, le plus grand honneur qui pouvait arriver à la littérature française que d’accueillir ces auteurs de tous horizons. Une reconnaissance pour la langue francaise, une fierté culturelle.
Qui ne revendiquerait pas l’espagnol Jorge Semprun, le russe Andreï Makine, l’irlandais Samuel Beckett, le chinois Dai Sijie, le tchèque Milan Kundera comme le ciment constitutif des monuments littéraires de la langue francaise.

Ecrire en Français présuppose-il  une connaissance de l'âme française ?

Quand on voyage à travers les langues, chacune a ses raideurs, ses ouvertures et ses nuances. L’écrivain Anna Moï fait remarquer qu’en Vietnamien, une femme se dit « petite sœur ». Une nuance, par exemple peu appropriée à une kougar contemporaine !
Plus encore que les conformismes, c’est la prison dans laquelle une langue vous enferme, qui limite le mode d’expression de certains auteurs. Car nos langues maternelles nous cloisonnent parfois dans un mode de réflexion, des réflexes culturels qui étriquent les champs de la création.
L’Italien Carlo Lansiti déclare : "la langue française ne m'est plus étrangère, elle me donne le sentiment de pouvoir inventer mon existence.".
Cela prend du sens quand on réalise qu’au-delà d’un mot, d’une expression, l'apprentissage pour une langue à l’âge adulte passe parfois davantage par les sentiments, les associations, les émotions, les effets qu‘elles produisent, qu'à leur sens élémentaire.

Ecrire ses livres dans une langue étrangère en fait une langue exploratoire plus libre

Sans doute, écrire dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle donne une licence, une liberté d ‘expression qui pousse parfois l’écrivain dans des contrées exploratoires inconnues et expérimentales. Car l’académisme sera moins sévère avec un étranger, les réflexes de convention moins prégnants. La mise à distance entre l’écrit et l’auteur, lève à la fois des inhibitions mais interdit des circonvolutions et des coquetteries littéraires souvent inutiles

Pour un auteur étranger, écrire en français bénéficie à la culture française au sens large 

Le parfait bilinguisme pose le choix de la langue d’écriture. C’est alors bien sûr la proximité avec la littérature du pays qui prédomine. Ainsi Jonathan Little, auteur des Bienveillantes, Prix Goncourt, est écrit en Français.  Tout simplement parce que « sa culture est issue de cette nation » déclare-t-il.
Nancy Huston, Milan Kundera, Albert Memmi, Julia Kristeva, Amin Maalouf, Andreï Makine, Tierno Monénembo, Jean-Philippe Toussaint, Tahar Ben Jelloun  sont les plus connus et les plus représentatifs de la conquête de la langue française par les grands auteurs étrangers, mais une nouvelle génération suit… Salima Aït Mohamed, WeiWei, Aki Shimazaki, Akira Mazubayashi, Pia Petersen, Brina Svit.
Loin d’enterrer nos écrivains « nationaux », c’est un stimuli formidable pour le redéploiement de la culture française. Comment ne pas conclure avec l'universitaire américain David I. Grossvogel, auteur d’un roman sur Proust qui déclare : « Mon attachement à la langue française est comme l'amour de celui qui ne possédera jamais pleinement ce qu'il aime », souligne-t-il. 

Quel hommage !

Christophe Lucius

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@Christophe Lucius, voici un très bel article, et juste. Merci de l'avoir repartagé dans la newsletter d'aujourd'hui. Parce les langues, comme les gens, ont toutes leurs particularités, leurs forces et leurs faiblesses, il faut les protéger, et l'adoption du Français par les auteurs étrangers est un bon moyen d'assurer non seulement la survie, mais aussi l'enrichissement, de cette belle langue.

Publié le 27 Octobre 2019

Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager ces quelques lignes d'Andréi Makine lors d'une interview au Figaro : «Cette langue, je l'ai entendue dès mon enfance, dans ma lointaine Sibérie. Elle venait de la bouche de ma grand-mère, d'origine française. Le français m'a toujours baigné et a encouragé, stimulé mon amour pour la littérature de votre pays. Je considère, à juste titre, le français comme la langue «grand-maternelle».

C'est également un superbe hommage !

Publié le 04 Avril 2017

Cioran disait “On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre.”

Publié le 04 Avril 2017