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Du 20 aoû 2017
au 20 aoû 2017

La littérature de gare ou pulp fiction (outre-manche)

Comme la musique légère, la peinture facile, on a baptisé les romans d’accès simple « les romans de gare ». Lancés en France par Louis Hachette dans les années 1850, leur but était d’offrir aux voyageurs des ouvrages faciles à appréhender, suffisamment captivants pour ne pas être abandonnés, et relativement courts pour pouvoir être terminés. Qu'en-est-il aujourd'hui ?

Chaque année, 5 millions de livres sont vendus dans les Relay implantés dans les gares, les aéroports et les hôpitaux. Et ces ventes représentent un pourcentage notable du volume des ventes totales.

La littérature de gare s’est construite autour de son public : les voyageurs.

Le départ en voyage est un conditionnement pour la lecture. En 1850, des auteurs réputés avaient déjà compris l’intérêt d’un réseau de distribution de masse dans les gares. De grands romanciers classiques du 19 ème : Zola, Victor Hugo…s’y sont conformés. Les volumes d’écriture s’adaptaient à des temps de lecture calibrés. Les nouvelles policières et les feuilletons pullulaient, formats idéaux pour cette fonction.

Mais c’est dans les années 1950 jusqu'aux années 1980, qu’une véritable littérature de genre s’est établie : "Spécial-Police", les collections du "Fleuve noir", "Crime-Club" chez Denoël, l’inévitable "Série Noire" ou l’incontournable série "Le Masque" dont les mystères pouvaient se résoudre entre Paris et Tours.
Les éditions arabesques, Presse de la Cité et d’autres collections plus éphémères garnissaient hier et (encore) aujourd’hui (dans une moindre mesure) les rayons des kiosques libraires de gare.

Littérature de gare : littérature de genre, sous littérature.

Bon marché, courts, grand-public, à vocation éphémère (peu ou pas de ré-édition), il s’agissait presque d’une littérature jetable. Ce qui en fît des livres-objets qui font les beaux jours de bibliophiles modestes. Tous les genres sont permis : science fiction, intrigue amoureuse, fantastique, policier, mœurs et thrillers.
« J'ai fait ma carrière avec 300 mots, tous les autres je les ai inventés », déclarait Frederic Dard qui s’en prévalait comme d’une fierté. Faut-il voir en cela une faiblesse ou un talent ?

Pourquoi achète-on (achetait t’on) un roman de gare ?

Qualifier la littérature de gare d’inintéressante, d’absurde, de vulgaire, c’est une façon de se rassurer sur sa propre aptitude à lire ou à écrire avec plus de 500 mots.
Mais c’est en réalité nier la force de réalisme social, la capacité à séduire et absorber le lecteur. Déjà Cocteau disait : " Leur style (romans de gare) reste en effet supérieur à de nombreux livres qui connaissent une grosse fortune littéraire". "Leurs plus grands handicaps", mentionnait-il "ce sont leurs titres et leurs couvertures".

Un auteur de gare, c’est un contexte d’achat et de lecture. La période des années 50 était particulière, la lecture était à chaque coin de rue : kiosques à journaux, gare ferroviaire, épicerie du coin... 20 ans plus tard les supermarchés et les hypermarchés prenaient le relai (Fleuve noir)

A cette époque sans smartphone, sans série TV, sans jeux vidéo, il y avait dans ces romans une vie, une intensité, une urgence, un plaisir  qui permettaient à leurs auteurs avec une simple machine à écrire de faire vibrer le public, de le distraire. Ces auteurs avaient ces qualités merveilleuses presque oubliées : l’imagination et l'inventivité.

Roman de gare, roman facile, roman vulgaire…

Faut il instaurer une hierarchie en littérature ? 
Beaucoup l’ont fait et l’on pourrait facilement défendre le point de vue que c’est eux qui en créant une idée d’art et de vulgarité littéraire ont perdu le lecteur de vue, et l'ont isolé.
Sommes-nous plus heureux et surtout plus cultivés en écartant la littérature populaire ( qui par ailleurs ne met pas l'"autre"(la grande) en danger ? Vaut il mieux lire un Simenon ou jouer au dernier jeu de la Playstation 4 ? A vous de juger. Car l’alternative est là. Elle n’est pas entre le choix de la lecture d’un "Proust" et une émission de la télé-réalité.

Les Romans de gare, de nouveaux genres littéraires, de nouveaux talents

De 50 à 70, Georges Simenon et Agatha Christie sont maîtres du roman policier. Les auteurs américains tels Raymond Chandler, James Hadley Chase conquièrent un public français. Côté français, justement, San-Antonio ou Charles Exbrayat sont parmi les premiers à imposer leur patte.

Entre 1965-1980. Un débutant pouvait compter sur un tirage de près de 40.000 exemplaires; un auteur connu le double. Fréderic Dard vendait San-Antonio régulièrement à 100.000 exemplaires.
Leur assise et leur notoriété étaient la garantie du tirage. Mais certains auteurs étaient de véritables machines à écrire : "Peter Randa", "Mario Ropp" ou "Roger Faller" écrivaient près de 6 romans par an. Pas les 3x8 mais presque.
Les thrillers ont rapidement pris un avantage dés les années 80 : l'intensité de l'émotion, rythme rapide, tension, incertitude, terreur, excitent l'humeur du lecteur. En d'autres termes, le thriller est un stimulateur de sens.Thilliez son représentant d’aujourd’hui qualifie le polar de «super genre» tant sa palette littéraire permet de jouer sur tous les registres.

La littérature de gare aujourd’hui

La littérature de gare est en voie de disparition, 3 heures pour un Paris-Marseille
L’expression « Littérature de gare » trouve des substituts et prend des formes nouvelles. Les Prix littéraires, les hits parade de vente, la presse spécialisée, la littérature « feel good » l’incarnent.
La SNCF a renoué avec son rôle historique dans le développement du roman de gare en renouvelant et en modernisant ses relais, en s’improvisant éditeur : aujourd'hui "le prix du Polar SNCF" est extrêmement populaire et bien sûr promu sur son propre réseau. 

La litterature « Feel Good Books » digne successeur de la littérature de gare

Le succès des récits sentimentaux et "sociétaux" des indétrônables Marc Levy ou Guillaume Musso sont solidement implantés. Souvent lus dans les transports et les transports en commun, ils sont, avec les best sellers du moment les nouveaux clignotants de notre Société, une Société ou tous les destins sont possibles, empruntant à tous les genres.
Ce sont des romans qui font du bien (d'où leurs noms), le genre de livres qui vous offre une bulle d’oxygène loin du quotidien : une intrigue policière, un peu d’amour, un peu d’argent et un environnement qui ouvre toutes les opportunités de vie.

Ces « feel good books » présentent une vision positive et optimiste de la vie. Des récits et des personnages capables d’inspirer le lecteur, de stimuler toutes ses aspirations...Ils célèbrent notre propre capacité à nous réinventer, à changer de vie. Les rapports humains y sont largement mis en valeur : amitié, amour, carrièrisme...Qu'on aime ou pas, ce sont eux essentiellement qui draînent les lecteurs d'aujourd'hui, et font tourner la profession.

En parallèlle, Il y a un nouvel élan, un respect patrimonial affirmé pour le roman de gare à l’ancienne : la réedition de Bob Morane, de SAS, et la nostalgie cultivée autour des titres qui ont pavé la culture populaire du 20 eme siècle et des feuilletons même plus anciens.

Quelques noms restent : Agatha Christie, Simenon, Frederic Dard… d’autres seront révélés.
La preuve est faite : il n’y a pas de sous-littérature. Il y a la bonne et la mauvaise.

Christophe Lucius

 

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Juste pour partager votre réaction @FANNY DUMOND. Même chose, les romans durs de Simenon sont de veritables pépites. Roman courts. Incisifs. Ne laissant aucunes chances, ni au lecteur ni aux "acteurs". Je relis régulièrement, parceque j'aime et puis parcque c'est une bonne école. Quelle belle écriture. Quel style! Moins friande des Maigret par contre, à part un ou deux "Le chien jaune" par exemple. En pléiades, c'est complet!

Publié le 01 Septembre 2017

Votre question "Vaut-il mieux lire un Simenon ou jouer à la playstation 4 ?" me dérange fortement pour ne pas dire qu'elle me hérisse. Savez-vous seulement que son nom a été avancé plusieurs fois pour le prix Nobel de littérature et qu'il n'a pas à son actif que des romans policiers au demeurant fort bien écrits ? Je défends cet auteur bec et ongles dont je ne me lasse pas de relire les œuvres. Il a écrit : "Je pense que le roman a remplacé plus ou moins la tragédie de jadis. On n'écrit plus de tragédies, on écrit des romans. Mais les règles sont presque les mêmes. La tragédie prenait le "moment pointe", le grand tournant de la vie de plusieurs personnes. Cela se passait en très peu de temps, et c'est ce que j'ai essayé de faire. De condenser, comme dans la tragédie, et c'est une des raisons pour lesquelles mes romans sont très courts. Je voudrais qu'ils puissent être lus en une soirée, comme on va voir une tragédie en une soirée". Cordialement. Fanny

Publié le 30 Août 2017

@lamish et @Michel CANAL : Vous avez raison, le nombre d'auteurs augmente exponentiellement, et beaucoup de lecteurs se lancent dans l'écriture. Cela complique la tâche de ceux qui essaient de se rendre visibles. Peut-être la solution réside-t-elle dans le fait de… ne plus trop essayer à titre individuel, d'écrire comme on le sent et d'être simplement soi-même. Je suis persuadée qu'alors, des lecteurs viennent à vous, peut-être pas très nombreux, mais partageant vos valeurs : n'est-ce pas l'essentiel ?
Pour ce qui est de la réciprocité, Michèle touche là un point sensible. Entre ma santé (avec, depuis cette année, des problèmes de vision floue d'origine neurologique, qui rendent la lecture épuisante) et le manque de temps, je lis très peu les autres auteurs. Ce ne serait d'ailleurs pas un cadeau à leur faire, car je suis très difficile, plus encore sur le thème que sur la qualité elle-même (je soutiens des auteurs dont les premiers ouvrages étaient truffés de fautes, mais tellement prometteurs quant au contenu !). J'essaie de compenser en offrant des articles didactiques, en corrigeant ou réécrivant certains ouvrages, en créant des groupes facebook pour aider les auteurs (rencontres auteurs-blogueurs, etc) et en m'efforçant de trouver des solutions à ce manque de visibilité et de crédibilité dont souffrent les autoédités dans leur ensemble auprès du grand public. La route est encore longue, mais les choses évolueront, j'en suis certaine.
Amitiés,
Elen

Publié le 27 Août 2017

Commentaire d'ordre général : il y a d'excellents romans "de gare". Contrairement à ce que l'on imagine souvent, la qualité ne réside pas du tout dans la complexité, mais dans le soin apporté à l'exécution. Un style simple et accessible peut être parfait, une intrigue classique peut être très soignée et agréablement cohérente. Le roman de gare est un peu à la "haute littérature" ce que l'artisanat est à l'art : elle a des objectifs moins pointus, vise un public plus large, mais peut résulter d'un travail aussi fervent.
Cela dit, le roman de gare est censé comporter des clichés, aussi bien stylistiques que sur le plan des intrigues, et c'est parfois volontaire car des études ont prouvé que le ronron des poncifs rassure de nombreux lecteurs. On peut toutefois tenter d'écrire dans le juste milieu ; c'est un jeu dont je raffole.

Publié le 27 Août 2017

@lamish,
Chère Michèle, sauf erreur de ma part, c'est une illusion de penser que le nombre de lecteurs diminue. Ce qui a surtout évolué est l'achat de livres (quels qu'ils soient). Il y a moins de lecteurs se constituant une bibliothèque personnelle à partir de livres de prix. Il y a autant de lecteurs achetant leurs livres au moment de leur sortie en format broché (à un prix raisonnable), livres qu'ils garderont, prêteront, ou donneront peut-être. Il y a les lecteurs qui achètent les formats de poche (à un prix encore plus accessible et plus facilement transportables), les lisent à la plage, dans les transports, puis s'en débarrassent. Il y a enfin une catégorie de lecteurs — en augmentation constante — qui n'achètent plus de livres (par économie ou par manque de place) mais qui se les procurent en médiathèque. Les médiathèques proposent même dans les mêmes conditions de durée d'emprunt le téléchargement pour lecture sur liseuse. Une autre catégorie de lecteurs a devancé les médiathèques pour lire au format Kindle. Cette catégorie et ce type de support sont je pense appelés à se développer. Nous sommes à une époque où tout va vite, où chacun court après le temps. Sauf exceptions (les Harry Potter, pavés de 700 ou 800 pages lus paradoxalement par des adolescents passant pour lire de moins en moins, en sont une), les livres qui se vendent bien sont (et seront probablement) ceux qui se lisent bien et vite... n'est-ce pas d'ailleurs ce qui a fait le succès de la littérature dite "de gare" ?
Mais tu as certainement raison quand tu dis que les auteurs sont de plus en plus nombreux. C'est affolant de voir chaque année le nombre de livres postulant pour les prix... Et tout ce qui paraît sur les rayonnages des libraires et des grandes surfaces n'est que la partie visible de l'iceberg ! Cependant, comme à toute chose malheur est bon, les auteurs ont été (sont et seront) des lecteurs. Alors, réjouissons-nous, la nature fait bien les choses. Avec le plaisir de te saluer au passage.

Publié le 23 Août 2017

Qui, après ça, osera dorénavant dire que les romans de gare sont de la mauvaise littérature? :)
https://www.actualitte.com/article/monde-edition/la-nouvelle-bibliotheque-de-wroclaw-est-installee-dans-la-gare-de-la-ville/84451?utm_source=Sociallymap&utm_medium=Sociallymap&utm_campaign=Sociallymap

Publié le 23 Août 2017

@Michel CANAL
@VAY Céline,@lamish
Ce type d'écriture a cela de particulier, au delà de ses qualités et de ses limites, d'être documentaire, et de saisir le pouls de la Société. J'ai lu quelques extraits, et me suis laissé prendre sur plusieurs pages. L'art d'aller vite, de l'efficacité...avec des phrases et des images, parfois, qu'un bon écrivain pourrait envier .

Publié le 22 Août 2017

Cela dit, il faut relativiser. Au temps de Victor Hugo un aller simple Paris-Nantes permettait de lire les Misérables et Notre Dame de Paris en entier. Aujourd'hui on pourrait à la rigueur lire le dernier Nothomb ... :)

Publié le 21 Août 2017

Excellente initiative @Christophe Lucius. Je suis d'accord sur les termes de votre conclusion : " il n’y a pas de sous-littérature. Il y a la bonne et la mauvaise."
Vous n'avez pas cité la saga OSS 117 de Jean Bruce, commencée en 1949. L'idée du personnage espion aristocrate Hubert Bonisseur de La Bath (beau, séducteur, homme à femmes, invincible) et du cocktail exotisme, sexe, violence avec pour point de départ des faits réels lui ont valu le succès, au point qu'après son décès la série a été reprise par sa seconde épouse Josette, puis par ses enfants.
Vous avez cité SAS de Gérard de Villiers, série commencée en 1965, soit 2 ans après le décès de Jean Bruce et 1 an après celui de Ian Fleming. Son éditeur (de Ian Fleming) lui a proposé d'écrire des romans d'espionnage avec un héros récurrent. Il s'est inspiré de la série à succès de son compatriote Jean Bruce, passant à la vitesse supérieure avec le même cocktail : exotisme, sexe, violence. Le personnage est espion lui aussi, au service de la CIA, aristocrate Autrichien (Son Altesse Sérénissime le prince Malko Linge), séducteur, polyglotte, assorti d'autres personnages secondaires (ses gardes du corps Chris Jones et Milton Brabeck, son majordome turc Elko Krisantem, sa compagne Alexandra). Chaque roman collait à la réalité géopolitique, le point de départ étant un coup d'état, une guerre civile, l'assassinat programmé d'une personnalité politique et/ou un fait divers. Le cocktail était ingénieux puisque chaque volume aurait été tiré à 200 000 exemplaires à sa sortie. La série se serait vendue selon ses éditeurs à 100 millions dans le monde, ce qui en ferait l'une des plus vendues de l'histoire, comparable aux James Bond de Ian Fleming.
En tant qu'éditeur et directeur de collections, Gérard de Villiers a connu de nombreux autres succès, dont la série Brigade mondaine.
Alors... romans de gare ? Certes, mais quand le succès est là et que ces romans sont plutôt bien écrits, qui s'en plaindra ?
Merci pour ce partage, Christophe. Cela permet de mettre les pendules à l'heure. Le succès de la littérature "de gare" n'aurait pas été ce qu'il a été s'il s'était agi de médiocrité. D'ailleurs, qui oserait critiquer Victor Hugo, Emile Zola, Alexandre Dumas... et tous leurs dignes successeurs ?
Pour ma part, mais c'est subjectif, je n' apprécie pas le vocabulaire des San Antonio de Frédéric Dard, auquel je suis hermétique. Mais il a eu ses lecteurs, c'est un fait dont je ne peux qu'en tenir compte.

Publié le 21 Août 2017