Chronique
Du 02 nov 2017
au 02 nov 2017

L’angoisse de la page blanche : une chance !

Une amie a publié, sur un célèbre réseau social, la déclaration suivante : « J’ai envie d’écrire une petite histoire mais les mots ne viennent pas ». Cette petite phrase à première vue anodine est d’une grande importance, car elle interroge notre rapport à l’écrit.

La page blanche est « angoissante » parce qu’elle est la « négation » de l’écrivain.

On pourrait se demander ainsi : puisque cette amie a « dans la tête » une petite histoire pour quelle raison ne la traduit-elle pas immédiatement en texte, en phrases, en mots. Autrement dit : qu’est-ce qui empêche les mots de lui venir ?

Il m’est arrivé aussi fréquemment de rester improductive devant mon écran d’ordinateur et j’ai tenté d’analyser ce phénomène bien connu de « l’angoisse de la page blanche ». Dans cette expression, il y a « angoisse ». Serait-ce donc l’angoisse qui nous paralyserait devant la tâche à accomplir. Quelle serait la raison de cette peur ? En d’autres termes : de quoi avons-nous peur ? Que symbolise cette association de mots : l’absence totale d’inspiration, le trou noir ou blanc, le vide, la mort. La page blanche c’est la mort symbolique de l’écrivain. Sans le noir des mots sur la page blanche, l’auteur ne produit plus donc n’existe plus. L’angoisse de la page blanche serait-elle donc la peur de la non-existence, de la mort de l’écrit qui signifierait pour l’écrivain sa disparition pour les lecteurs ? Certes oui, car l’écrivain n’existe que parce qu’il est lu et acheté mais ce n’est que la conséquence de l’« angoisse de la page blanche » et cela ne dit rien sur ses causes profondes. Car ce désarroi, cette impossibilité de traduire en mot une pensée, une image ou une histoire comme le soulignait cette amie va bien au-delà de cette peur. Elle peut saisir chacun d’entre nous face à l’écrit, quels que soient l’intention et le statut de cet écrit.

Quelque soit l’ambition de l’écrivain, la page blanche est un rapport à soi-même

On peut écrire uniquement pour soi (un journal intime) ; écrire pour quelqu’un (une lettre ou un mail) ; écrire pour un cercle d’amis ou pour un plus grand nombre de personnes (un poème ; un récit, une nouvelle, un roman, un essai ou toute autre production littéraire, journalistique ou scientifique.). Quel que soit ce que l’on écrit, on peut être saisi par cette impossibilité de trouver les mots pour traduire une idée, raconter une histoire ou simplement s’adresser à quelqu’un. « Je ne trouve pas mes mots » est une expression bien connue et qui traduit cette difficulté à exprimer. Tout en écrivant ces mots, je suis moi-même assaillie par cette sensation parce que j’ai peur de ne pas trouver mes mots, de ne pas réussir à exprimer le plus justement possible ce que j’ai dans la tête.

Lorsque j’écris ou que je tente de le faire, je suis face à moi-même, mes fêlures, mes blessures, mon histoire et aussi mon état psychologique et physique. Cette confrontation est parfois éprouvante car écrire est une épreuve solitaire, une course de fond. Il m’arrive ainsi de devoir reprendre ma respiration, faire une pause, car je suis épuisée. Mon esprit autant que mon corps me crient stop. J’éprouve alors une grande frustration de laisser ma page inachevée. J’ai peur du vide. J’ai peur de perdre mon histoire ou la magie, l’alchimie de l’inspiration.

L’écriture est notre finitude, c’est pour cela qu’on la veut parfaite..

L’écriture contient en soi sa finitude, notre finitude. J’écris pour l’autre, pour les autres pour laisser quelque chose, une trace, une empreinte lorsque je ne serai plus là, lorsque je serai morte. Ne pas pouvoir traduire sur le papier, ce petit morceau d’éternité me renvoie à ma condition de mortelle. En voulant durer par l’écrit, je mets en même temps le doigt sur l’inéluctabilité de ma fin. L’écriture est éternité mais aussi mort, la mienne, la nôtre. Regarder cela en face n’est pas toujours évident.

Décider de ne pas écrire pour pouvoir écrire plus tard...

À cette amie, j’ai conseillé deux moyens de sortir de cette difficulté. Comme elle avait cette histoire dans la tête, je lui ai proposé de se la raconter à elle même dans sa tête et ensuite de l’écrire comme elle l’avait pensé. Car l’écriture est d’abord un récit que l’on se fait à soi-même, sans l’écrire. Pour ma part, je n’écris pas tout le temps. Par contre, je pense très souvent à mon histoire, ses péripéties, mes personnages. Beaucoup pensent que, pour construire un roman ou une histoire, il faut forcément l’écrire, tout de suite, y passer des heures et des heures. Cela ne fonctionne pas toujours comme cela. Il est souvent nécessaire de ne pas écrire, de dormir. J’écris beaucoup mieux après plusieurs jours, plusieurs semaines, après de longues périodes de sommeils pendant lesquels mon esprit remet ses idées en place, les organise.

Le droit de mal écrire mais le droit d’écrire avant tout ...

Écrire une histoire comme on l’a pensée, cela peut être aussi, s’octroyer la liberté de mal écrire. L’écriture est liberté ou n’est pas. On a peur de la page blanche parce que souvent la page est un ennemi, qui synthétiserait toutes nos frustrations, nos traumatismes liés à l’école, à l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, des savoirs. Écrire cela signifie : s’octroyer la liberté d’écrire mal, car peut naître de cette imperfection, un style, une modernité, une nouvelle façon d’écrire, un nouveau roman. Je revendique pour ma part la liberté d’écrire comme on le veut, de se libérer des conventions, des pesanteurs, des carcans qui paralysent les plumes et empêchent certaines personnes de s’exprimer. Finalement, l’angoisse de la page blanche est une chance. Une énergie qui ne demande qu’à s’épanouir, la prémisse d’une résurgence, d’une exhumation de quelque chose que l’on avait déjà en soi mais que l’on empêchait. Je crois beaucoup aux vertus de l’écriture automatique et je l’ai beaucoup pratiquée.

Ecrire, c’est aussi jeter, beaucoup jeter

Une façon de dépasser cette angoisse, c’est aussi faire preuve de bienveillance et d’humilité. Nous sommes les premiers juges de notre production. Mes premiers jets sont rarement de bonnes factures. C’est souvent inabouti. Mais, qu’importe ! Notre écriture est un miroir. Ce que nous voyons n’est pas ce qui est mais la façon dont nous le voyons. Il est nécessaire de s’en détacher pour mieux l’apprécier, ne tomber ni dans la détestation ni dans l’adoration qui sont les deux mêmes faces de l’aveuglement. L’angoisse de la page blanche peut être ainsi vue comme quelque chose de salutaire. Je me méfie de trop d’enthousiasme, de trop de ferveur, de fièvre, car cela entraîne parfois une vision déformée de sa propre production, une adoration injustifiée. Écrire c’est aussi jeter, beaucoup jeter. Il ne faut pas avoir peur du vide de la page blanche. Dans le vide, il y a toujours quelque chose en gestation.

La page blanche n’est pas une ennemie, mais une alliée de notre inspiration, une promesse, une œuvre en devenir. Elle symbolise, à elle seule, la liberté de créer !

 

Armonia Zyra

 

 

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"Le droit de mal écrire mais le droit d’écrire avant tout "
Oui <3

Publié le 14 Août 2022

J'avais dans l'idée que cette fameuse angoisse de la page blanche ne concernait que les écrivains soumis à des impératifs de rendement ou de production. Je veux parler de ceux qui ont accepté une charge qui les contraint à délivrer leur texte avant une certaine date.
Dès l'instant où on ne nous demande rien et où on a le goût de s'exprimer par écrit, il me semble naturel de penser intensément à notre sujet jusqu'au moment magique où les mots se bousculent à la sortie du cerveau.
Pour ma part, c'est là qu'arrive l'angoisse. Avec les premières phrases couchées sur le papier ou pianotées au clavier et qu'on trouve malhabiles en les relisant. C'est là que débute le morceau de bravoure qui va consister à y aller quand même, à nu, avec la certitude amère que notre éventuelle médiocrité, ou nos simples manquements d'inspiration passagers n'échappera pas aux critiqueurs de tous poils.
J'ai bien le sentiment que c'est la "peur du châtiment" qui est à l'origine de cette oppression quasi-palpable qui nous taraude, non pas forcément au moment de l'écriture, mais plutôt à l'instant du "clic" de départ par lequel on va exposer notre oeuvre à qui veut la voir.
Par contre, je crois qu'il y a pire: c'est lorsque après avoir fait tous les efforts nécessaires, et avoir enfin cliqué pour exposer le résultat, rien ne se passe... Je ne suis pas loin de penser que quelques critiques acerbes valent, tout de même, mieux que ça. Elles donnent, au moins, l'axe de travail pour progresser.

Publié le 03 Février 2020

@Harmonia zyra Le plaisir de la page blanche, pure et lisse sur laquelle on va laisser sa griffe acérée tracer des arabesques cruelles. La joie de la page blanche et vertueuse qui n'attend que la fureur du désir impétueux du scribouillard qui va tout saloper. l'offrande de la page blanche à l'épanchement de l'encre dense qui va en obscurcir l'espace afin d'en révéler toute la lumière. La patience de la page blanche qui attend le lieu et la formule, sans broncher. Le vide abyssale de la page blanche qui fait écho au néant infini de mes neurones qui errent dans l'univers insondable de mon cortex. Le mystère de la page blanche qui se drape dans son silence et que l'on est obligé d'égorger à vif afin qu'elle laisse échapper dans ses entrailles, l'oracle du jour... L'appel de la page blanche comme le chant des sirènes, auquel il faut résister si on ne veut pas sombrer dans la folie de l'écriture automatique...
Merci pour cet article qui suscite en moi, tant d'émoi... Je pourrais continuer ainsi pendant des pages blanches, car rien n'attire le satyre autant que la vierge farouche.

Publié le 15 Décembre 2019

"car l’écrivain n’existe que parce qu’il est lu et acheté", moi je pense que l'écrivain existe dès qu'il fait danser ses mots sur la page blanche de son existence, car c'est bien de ça qu'il s'agit, écrire pour se sentir vivant, ce rapport à soi-même si particulier, face à ses peurs, ses doutes, ses cicatrices et ce face à face épuisant est diaboliquement excitant...autant qu'angoissant. je n'ai pas peur de la page blanche, lorsque les mots ne viennent pas, je n'insiste pas, les plus belles phrases sont celles qui se libèrent seules de notre esprit...et viennent se dessiner d'une main légère, comme soulagée par la magie de l'écriture.

Publié le 27 Décembre 2018

C'est beau une page blanche... Une page blanche c'est un flan de montagne enneigé prêt à vous accueillir pour une folle descente en hors-pistes jusqu'au mot "fin". Il faut juste se lancer... avec ou sans élan. Se jeter dans le vide et... profiter de ces fabuleuses sensations au vertige de l'écriture...

Publié le 30 Novembre 2018

L'angoisse dépend des enjeux, de la pression qu'on se met. Si pour moi il en était ainsi, je n'écrirais pas, c'est l'envie, le désir, le besoin d'évasion qui me motivent, la nécessité d'être honnête avec moi-même, de remplir le postulat que je me suis fixé au départ, sans que personne ne me demande rien et d'en tirer au bout du long processus, une certaine satisfaction, qu'elle soit ou non partagée par d'autres. Ecrire, c'est être libre, à quoi bon, sinon ?
Merci pour cet échange.
Maryline

Publié le 11 Novembre 2017

Peut-être aussi que ce n'est pas le bon moment
Peut-être qu'il faut alors penser à autre chose
Peut-être qu'il faut lire ou écouter de la musique
Peut-être qu'il faut se promener, prendre l'air
Peut-être que ce n'est pas si grâve, que ça reviendra

Publié le 10 Novembre 2017

"Dans le vide, il y a toujours quelque chose en gestation." Dans ce vide-là, en particulier. Si la page reste blanche, c'est que mon histoire n'a pas encore besoin de s'écrire ou, ce qui revient au même, que je ne suis pas encore prêt à l'écrire. Patience: si elle veut naître, elle naîtra. Si elle dépérit, tant pis, d'autres histoires viendront. L'angoisse de la page blanche, c'est surtout quand je cherche à forcer l'écriture, alors que ce n'est pas (encore) le bon moment. Plus je cherche à saisir les mots mieux ils s'enfuient. Plus ils s'imposent, moins je leur échappe. La page remplie est la conclusion de ce jeu entre eux et moi, et qu'importe si, à des yeux extérieurs, il m'aura fallu tant de semaines avant d'y parvenir.

Publié le 03 Novembre 2017

Pourquoi tant d'angoisse ? lorsqu'on se met face à une page blanche c'est qu'on a quelque chose à dire, à raconter ou à hurler. Alors on prend son stylo ou son clavier et on écrit. Ne pas avoir peur des mots qui vont s'entrechoquer au départ, il sera toujours temps de se relire et de corriger et c'est à ce moment là qu'arrive l'instant magique. La première correction amène d'autres mots, d'autres expressions et surtout fait surgir une association d'idées qui vous emporte, ne vous lâche plus jusqu'à ne plus sentir le temps passer. L'imagination se réveille alors et la création se développe et s'affine.
Enfin, c'est ainsi que je procède et ça fonctionne... parfois.
Amitiés,
Llyle

Publié le 03 Novembre 2017