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Le 10 mai 2016

Face à Face d'auteurs : Robert Dorazi et Ivan Zimmermann

Robert Dorazi et Ivan Zimmermann deviennent critiques littéraires, avec leurs références et leurs interrogations sur la littérature. Le précisionnisme nuit-il à la fluidité d'un récit ? Le détail a-t-il toujours son importance ? Doit-on faire court à tout prix ? Le lecteur doit-il rêver les portraits incomplets et les paysages inachevés d'un auteur qui suspend sa plume ? Deux auteurs s'observent et posent ces questions, de vraies questions. Coup de chapeau réciproque, constructif.
Face à face d'auteurs, nouveau mode de critique littéraire sur monBestSeller.comLorsque tous les détails n'y sont pas, peut-on parler d'inachevé ?

Robert Dorazi pour La machine et Les blessures sont parfois éternelles d'Ivan Zimmermann

Lorsqu'Ivan Zimmermann m'a demande si j’étais partant pour un Face à Face sur monBestSeller j'ai tout naturellement accepté. Il avait lui aussi participé au concours de nouvelles « Pièges » avec une histoire intitulée La machine.
J'ai immédiatement pensé, dès les premières phrases, qu'Ivan devait être un adepte des romans de Stephen King. Son vocabulaire précis et riche installe immédiatement une atmosphère qui rappelle plusieurs histoires courtes du "maître" King.
Ici, un écrivain en manque d'inspiration suit le conseil d'un ami et prend le large (mais je devrais écrire qu'il prend "l'étroit") dans une petite cabane. L'idée étant que cet éloignement et ce dénuement seront bénéfiques pour l'inspiration créatrice.
Inutile de préciser que cela n'arrivera pas. Si cette nouvelle porte le titre de La machine ce n'est peut-être pas seulement parce qu'une machine à écrire y joue le rôle central (oui, Ivan va jusqu'à interdire à l'écrivain en panne d'utiliser un PC). Ça pourrait également constituer un acte subconscient d'Ivan s'il connaît un roman de King dont la traduction française était La part des ténèbres mais dont le titre original, The dark half, était plus explicite pour ceux qui comprennent un peu l'anglais.
Cette nouvelle aurait également pu s'appeler "Christine" puisque la machine semble faire ce qu'elle veut dès qu'on place une feuille de papier autour du rouleau, tout comme la Plymouth démoniaque du même nom. Et pourtant la chute finale nous rappelle la folie de l'écrivain J. Torrance dans Shining.
Comme je le disais, Ivan Zimmermann est un fan de King, ou alors c'est une extraordinaire coïncidence.
C'est important de pouvoir rapidement délimiter le cercle d'une histoire et de dégager une atmosphère, surtout lorsqu'il s'agit d'une histoire courte. Et grâce à son style, qui est assez différent du mien, Ivan Zimmermann parvient à le faire sans trop de problème. Rien n'est laissé au hasard, quand personnellement je sème souvent des "trous" dans mes écrits que les lecteurs peuvent boucher (ou pas) à leur convenance. C'est probablement pourquoi je ne pourrai jamais écrire un livre de 500 pages.

Ce style et cette façon d'écrire sont encore plus évidents dans le roman Les blessures sont parfois éternelles dont Ivan publie un large extrait sur monBestSeller. Cette fois il s'agit d'un polar qui suit les codes du genre et qui se situe aux USA puisque la sécurité du président est en jeu (on ne peut pas vraiment écrire un polar dont le président de la république Française serait un personnage central. C'est peut-être dommage, mais c'est peut-être mieux aussi...)
Là encore les descriptions sont minutieuses. Dès la première scène entre ces deux adolescents trop pressés de fabriquer leur premier whisky qui se révèle bien vite fatal, scène qui déterminera le reste du roman, on est fixés. Au propre comme au figuré. Tout est parfaitement en règle, exhaustif. Peut-être parfois trop exhaustif et c'est le seul bémol que je mettrai. Ne pas trop diluer l'intrigue.
Pourtant est-ce qu'on a le choix quand on écrit un polar ? C'est un genre qui obéit à certaines règles qu'il vaut mieux suivre. Au moins au début, quand on n'est pas encore connu. Par exemple je me souviens avoir lu la quadrilogie de J. Ellroy en commençant par le Dahlia noir et en terminant par White Jazz. Je les ai lus en anglais et si le Dahlia noir était construit de façon très classique et ne posait aucun problème de lecture, White Jazz était un autre animal ! Ellroy avait évolué, le succès venant.

Si Ivan Zimmermann écrit de cette façon c'est certainement dû aussi en partie à sa formation d'infographiste et de photographe. Le visuel tient une part importante, et cela se traduit dans son écriture.

Robert Dorazi

Ivan Zimmermann pour Jaune de chrome et Le chaînon manquant de Robert Dorazi

Je suis subjugué.
J’en transpire encore.
Cet auteur m’a mis sur le cul. Je ne connais de lui que deux nouvelles : Jaune de chrome et Le chaînon manquant.
Que deux, oui, mais bonjour le texte à vous faire souffler vos globules tant c’est bien écrit, et surtout tant l’imagination, la créativité et l’évidence d’un talent est présent.
Il s’agit de Robert Dorazi.
Vous ne le connaissez pas ?
Alors, précipitez vous sur ses nouvelles que vous trouverez sur monBestSeller.

A 17 ou 18 ans je me voyais déjà le nouveau maître du suspens. Marrant, non. Et puis le temps passe, la conscience se resserre, la modestie augmente et la réalité fait face.
Robert a tout compris (il doit être un sacré psychologue ou devin, je ne sais pas.)
Oui, j’aime bien Stephen King, mais pourtant je n’ai lu qu’un seul livre de lui : Désolation.
Mais dans l’évident travers de Robert Dorazi, je pense que lui-même est un adepte de Stephen King. En tout cas, il en a l’esprit et, pour moi, le talent mais pas la génèse.

Moi aussi, j’ai fait ce concours de nouvelles sur le thème des « Pièges ».
Toute mon humilité en a pris un coup, tant j’ai pris des leçons, mais aussi des coups.
Tu fais trop de longueur, Ivan, tu le sais, les lecteurs te le disent parfois. La solution : il suffit de couper.
Le malheur est que je n’ai jamais été bon dans la synthèse, et, si je n’explique pas comment « ton papa a rencontré ta maman »,  je me trouve pauvre.
Pourtant un auteur comme Robert Dorazi sait faire court, juste et bien. J’ai voulu un Face à Face avec lui car, enfin, je pouvais communiquer avec un auteur que je trouve génial (ce n’est pas si souvent ) et qui m’explique tranquillement que mes défauts sont peut-être aussi mes qualités.

Il est vrai que j’aime l’écriture photographique, certains disent « cinématographique », ce qui à mon sens n’est pas tout à fait identique.
Robert Dorazi va droit à l’essentiel, contrairement à ce qu’il dit, il n’y a pas de « trous », car le véritable génie est justement de les combler par son esprit et c’est aussi là qu’arrive la sublimation du rêve, ou du cauchemar, que la lecture nous procure.
Alfred de Musset avait écrit « Nu comme un plat d'argent, - Nu comme un mur d'église, - Nu comme le discours d'un académicien. ».
À nous de comprendre que le détail a parfois son importance à condition qu’il soit utile.

Les lieux ont une description sommaire et pourtant, je les ai imaginés, et dans Jaune Chrome, il ne décrit que peu cette Île de France verte et pluvieuse aux nuages souvent gris, pourtant on la voit, on la vit presque. Je pense que Robert a compris que la subjectivité était le moteur essentiel d’un texte bien écrit,

Un exemple : « Une fois arrivé en gare d’Auvers-sur-Oise, j’entrepris de marcher jusque chez ma tante. Un paysan, dont le nom m’échappe aujourd’hui, offrit de m’emmener sur sa charrette lorsqu’il sut où je me rendais. »
Qui se soucie de la description de la gare ? Personne !
La tête ou l’allure du paysan ? C’est le lecteur qui l’imagine en fonction de sa culture et de ses aspirations.
Ça coule et ça s’assimile sans complexe. Vous entrez dans le sujet. Point.
J’envie cette façon d’écrire, mais ne suis pas sûr d’y arriver. Même limité à 8000 signes comme dans le concours monBestSeller sur les nouvelles, il a fallu que j’entre des descriptions alors que Robert Dorazi en a profité pour que le thème de sa nouvelle soit mieux perçu, plus fluide. C’est tout l’art de la nouvelle, alors que, lorsque dans mes thrillers je vois un personnage avec une casquette, un short rouge et des chaussettes jaunes, cinq ou six lignes sont déjà consignées, surtout si je le vois boiteux et bourré de tics. C’est mon art et mon monde, même si j’admets que l’époque du « rapide » demande un génie plus particulier qui est celui de prendre le lecteur comme un acteur qui se fabrique son propre univers.
C’est là toute notre différence.
Robert Dorazi avoue lui-même : « Écrire est un passe temps plaisant ». Tout est dit.

Ivan Zimmermann

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@Elen Brig Koridwen Bonjour Elen, pourquoi ne pas vous rapprocher vous aussi d'un auteur que vous appréciez sur le site et lui proposer un Face à Face ? Nous sommes sûrs que les membres de la communauté en seraient ravis.

Publié le 25 Mai 2016

@Gaspard du Gévaudan
Merci pour votre commentaire. Je suis ravi qu'Ivan, moi et beaucoup d'autres sur MBS nous ayons pu vous procurer quelques instants de bonne lectures.

Publié le 13 Mai 2016

C'est "délicieux" de vous lire l'un et l'autre. De lire vos différences. De lire vos accords. De lire vos richesses. Et vous retrouver dans ce qui peut nous plaire de ce que vous écrivez. Chapeau !

Publié le 12 Mai 2016

@Elen Brig Koridwen
Tout ça est bien vrai. La diversité, partout, est nécessaire.

Publié le 12 Mai 2016

Formidable ! Merci, messieurs, non seulement pour la découverte de vos oeuvres, mais pour ce débat, éternel mais non moins essentiel, entre style concis et style luxuriant, entre ambiance expressive et détails exprimés. Moi qui, d'un livre à l'autre, balance de l'épure à la peinture classique en fonction du thème et de l'atmosphère, j'ai trouvé cela passionnant. Même si la conclusion est bien sûr, comme le dit @Robert Dorazi, qu'il faut de tout pour faire un monde : autrement dit, Ivan, il est inutile de l'envier, restez vous-même. :-) Chacun sa voix, comme dirait Philippe Vilain ; chacun son "ton", comme disaient mes parents libraires et critiques littéraires... Ce qui compte, c'est qu'un auteur ait ce ton, cette voix propres à le faire entendre de ses lecteurs.
Au plaisir de vous lire l'un et l'autre !

Publié le 12 Mai 2016

Deux de mes auteurs preferes sont St Exupery et Simenon. Le premier a dit "La perfection est atteinte, non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer" et Simenon a raconte comment, jeune auteur, il donnait a lire ses ecrit à Colette et qu'elle lui repondait invariablement: trop litteraire! Trop litteraire!
Donc j'enleve, j'enleve, et je chasse le litteraire...:)
Mais le monde serait triste si tout le monde faisait de meme. Il faut aussi des textes longs, precis, ou litteraires. Et heureusement ces textes existent sur MBS et ailleurs.
Merci a Ivan pour m'avoir propose ce face a face!

Publié le 10 Mai 2016