Interview
Le 03 mar 2016

"les indés", un chaînon entre auto-édition et édition traditionnelle

Laurent Bettoni, fondateur du label d'édition "les indés"Laurent Bettoni crée le label d'édition "les indés"

Alors que les auteurs indépendants défient les règles de l’édition, Laurent Bettoni, homme orchestre -auteur édité, auteur autoédité, éditeur et conseil- lance sa maison d’édition "les indés". Un nom qui ne laisse pas indifférent alors que les auteurs indépendants font de plus en plus parler d’eux, que la professionnalisation et les succès s’affirment, et que les éditeurs traditionnels les draguent… Sans parler d’Amazon… Alors, qu’est-ce qui se cache derrière ce nouveau label ?

Question: 

Vous dites "les indés est un label d’édition, conçu par un auteur, pour les auteurs". Expliquez-nous son originalité…

Réponse: 

En effet, je suis auteur avant d’être éditeur. Et, en ce sens, mon idée force avec les indés est que les écrivains soient replacés au centre de l’univers littéraire et y occupent la place la plus importante. L’originalité du label est donc qu’ils disposent librement de leurs droits tout en percevant des doits d’auteur les plus élevés possible. Ils peuvent partir du label à tout moment, ils ne cèdent pas leurs droits jusqu’à 70 ans après leur mort. Comme le label a pour but de mettre les auteurs en lumière et de les promouvoir au mieux, si certains ont l’opportunité d’aller chez un éditeur traditionnel grâce au succès qu’ils auront connu chez les indés ou à la visibilité qu’ils y auront acquis, ils le pourront. Dans ce cas, la fonction du label passera d’éditeur à agent.

Question: 

Dans le match maisons d’édition traditionnelles et Amazon, comment vous positionnez-vous ?

Réponse: 

J’ignore si un match se joue entre Amazon et les maisons d’édition traditionnelles, car je ne connais aucune maison d’édition traditionnelle qui refuse de travailler avec Amazon. Il y a les discours officiels et la réalité du marché… Quoi qu’il en soit, cela n’est vraiment pas ma préoccupation. Je laisse donc Amazon et les éditeurs s’arranger entre eux, sans juger ni prendre parti. Mon seul objectif est la manière dont je peux servir au mieux les intérêts des auteurs publiés chez les indés. J’utilise donc tous les outils à disposition. C’est pourquoi je publie aussi bien en numérique qu’en papier. Pour le numérique, il est évident qu’Amazon joue encore un rôle capital, et pour le papier, c’est Hachette-Lightning Source qui imprime et distribue les livres des indés. Plus il existe de supports de lecture, plus le livre a de chances d’être lu et plus l’auteur a de chances de rencontrer son lectorat et de faire son chemin, de bâtir son œuvre.

Question: 

En quoi votre maison d’édition est-elle originale par rapport aux maisons traditionnelles ?

Réponse: 

La première différence, comme évoqué plus haut, est que les auteurs disposent de leurs droits librement, ils ne les cèdent pas jusqu’à 70 ans après leur mort. Donc, s’ils ont mieux ailleurs, ils peuvent partir, et le label les y aidera même. Ensuite, les pourcentages sont identiques pour tout le monde, sans distinction entre les best-sellers et les autres.

                  "Il n’y a pas d’auteurs stars chez les indés.
                  Ou plutôt si, ils sont tous des auteurs stars
            et tous traités aussi bien, quelles que soient leurs ventes."

Les droits d’auteur sont d’emblée fixés au plus haut : 15 % sur le prix HT du livre papier et 25 % sur le prix HT du livre numérique, dès le premier exemplaire. Il n’y a pas de pourcentages croissants selon des fourchettes de ventes. Les paiements s’effectuent tous les mois. Il n’y pas d’à-valoir, le modèle ne le permet pas, mais les auteurs perçoivent leurs droits 12 fois par an, dès le premier mois de publication. Le label peut devenir agent pour un auteur qui souhaiterait rejoindre une maison d’édition traditionnelle.

Dans la mesure où les indés n’ont pas de commerciaux pour aller placer les livres en office en librairie – notre modèle économique nous impose de fonctionner en flux réassort –, la stratégie de communication est essentiellement digitale et repose sur le numérique. Dans la majorité des cas, c’est parce qu’un livre aura un succès ou une visibilité en numérique que les ventes en papier suivront peut-être. Notre approche commerciale s’effectue à l’envers de ce qui se pratique dans le circuit classique. En outre, miser sur le numérique permet de proposer un prix de vente hyper sexy de 6,99 euros et de démocratiser la lecture. Cela correspond bien aux valeurs que nous défendons.

Question: 

En quoi pensez-vous que votre philosophie -« Permettre aux auteurs de conserver leurs droits et de percevoir une rémunération équitable »- est attractive pour les auteurs ?

Réponse: 

En premier lieu, il s’agit d’une question de considération. Dans un tel système, l’auteur occupe une place prépondérante, et le message qu’on lui adresse est fort.
Ensuite, il est normal que le créateur perçoive le maximum sur le prix de vente de son œuvre. Enfin, le fait qu’il puisse disposer de ses droits librement le rend maître de ses textes et de son destin. Il mène son chemin comme bon lui semble. S’il veut rester, il reste, s’il veut partir il part, et s’il veut revenir il est le bienvenu.

         "J’ai conçu les indés comme une seconde maison pour les auteurs,
                       je tiens à ce qu’ils s’y sentent chez eux."

Ce qui ne signifie pas qu’ils puissent s’essuyer dans la nappe, mettre les pieds sur la table et tout saloper ☺ Tout cela doit se passer dans le respect et la confiance mutuels. Les indés est une maison, pas un moulin à vent. L’idée est d’établir une réelle collaboration, un réel partenariat avec les auteurs.

Question: 

Votre crédo : « La littérature francophone de qualité ». Vous affirmez donc sans détour que vous n’éditerez pas d’auteurs étrangers, mais quelle est votre définition de la « qualité » ?

Réponse: 

Notre crédo est la littérature francophone de qualité, avant tout. Nous ne nous interdirons pas de publier des auteurs étrangers si l’occasion se présente… et si nous en avons les moyens.

          "J’en ai un peu marre de voir les sommes et les efforts déployés
                   pour vendre des best-sellers issus de traductions,
             alors que de vrais talents, en France, passent à la trappe
        car on n’investit pas sur eux, ni en argent ni, surtout, en temps."

Quant à la qualité, je crois que ce qu’attendent les lecteurs quand ils ont un texte entre les mains, c’est qu’il les touche, qu’il les émeuve, qu’il les fasse rire, qu’il les embarque, qu’il les fasse réfléchir, qu’il les fasse grandir. Donc tout texte qui porte en lui tout ou partie de ces promesses, nous le jugeons de qualité et le publions. Cela ne se départ évidemment pas d’une écriture maîtrisée.

Question: 

Le concept de ligne éditoriale a-t-il un sens chez les indés. Et si oui, quelle est-elle ?

Réponse: 

Les textes sont minutieusement sélectionnés, et retravaillés au besoin. J’avoue être tatillon, voire casse-pied, à ce niveau-là, mais c’est un minimum qu’on doive au lecteur. Par ailleurs, je sais qu’on exigera davantage d’une structure comme la nôtre que d’une maison d’édition traditionnelle, et qu’on ne manquera pas de nous traiter d’amateurs à la moindre occasion. La ligne éditoriale se veut généraliste. Le principe est de publier tout auteur prometteur, quel que soit son genre littéraire. Nous publions aussi bien de la fiction que de la non-fiction.

Question: 

Vous annoncez déjà 3 lancements entre mars et avril 2016. Pourquoi avez-vous décidé d’éditer ces auteurs ? Et la suite ?

Réponse: 

Je ne résiste pas au plaisir de citer ceux qui ouvrent le bal de la publication : Élodie Mazuir, Brigitte Hache et Tudual Akflor.
Pourquoi ces auteurs ? Eh bien, parce que ce sont des auteurs, précisément. Et de beaux auteurs. Je veux dire par là qu’ils ont une écriture et un univers propres, identifiables dès leurs premiers mots. Ils possèdent leur musique et leur style. C’est tout ce que nous attendons d’un auteur. Et chacun de ces textes, à sa manière, nous a touchés.
Dans Le Pianiste et les matriochkas, Élodie Mazuir nous montre un magnifique chassé-croisé entre cinq personnes qui vont se rencontrer, se heurter, s’abîmer et s’aimer. C’est un récit drôle, émouvant, qui donne foi en l’amour et en la vie, et qui est servi par une écriture poétique et lunaire.
Avec Locataire, Tudual Akflor nous plonge dans un univers absurde à la Ionesco et oppressant à la Polanski. Il y a aussi quelque chose de kafkaïen dans ce terrible huis clos entre un propriétaire et son locataire saisonnier. Leur confrontation inexpliquée va monter dans les tours jusqu’à l’apothéose, dont je ne vous révélerai rien. Tudual manie le suspense et l’humour noir à la perfection.
Et enfin, dans Beaucoup de peine, beaucoup d’espoir, beaucoup d’amour, Brigitte Hache nous raconte, l’espace d’une nuit, une histoire de vengeance, de rédemption et… d’amour, avec pour personnages principaux trois personnes qui ne se connaissent pas mais que l’on va découvrir étroitement liées malgré tout. Brigitte a une écriture épurée qui porte à merveille la mélancolie et la tendresse.

La suite, ce sont des publications à un rythme d’une ou deux par mois, avec pour commencer un thriller fantastique intitulé Le Septième Prophète, écrit par Matt Verdier, un auteur publié avant chez Mnémos. Puis il y aura un récit de vie incroyable signé Pascal Aquien, Lucrèce n’est pas une femme, le parcours d’un transgenre qui a mené une longue carrière au cabaret, et qui a croisé la route, entre autres, de Jean Marais et Marlène Dietrich. On n’attendait guère Pascal Aquien dans ce registre, car ce professeur de littérature anglaise à la Sorbonne et vice-président de son conseil scientifique, est avant tout un spécialiste d’Oscar Wilde (traducteur, biographe et préfacier pour La Pléiade) et de Thomas de Quincey (directeur de collection pour La Pléiade). Suivront des romans de littérature générale, avec Iza de Gisse et sa superbe tétralogie Shoot, sur le combat d’un jeune toxicomane pour se sortir de son enfer ; du thriller/polar avec Le Pas du diable, de Françoise Bénassis, auteur publié auparavant chez Mercure.
Et plein d’autres belles choses, mais je laisse aux lecteurs le soin de les découvrir, le moment venu.

Question: 

L’auto édition permet à de nouveaux auteurs de se révéler via les plateformes, l’édition permet aux professionnels de repérer les talents via le circuit classique. En quoi cette nouvelle approche de l’édition apporte-t-elle une vraie valeur ajoutée au circuit ?

Réponse: 

Une structure comme les indés, label éditorial qui fonctionne comme un label musical, permet de mettre ces forces en présence et de faire le lien. D’un côté, il existe des auteurs talentueux et prometteurs un peu livrés à eux-mêmes et qui aimeraient bien être soutenus par un éditeur ou avoir la caution d’un professionnel ; de l’autre, il existe des éditeurs qui, pour des raisons variées, ne lisent plus de nouveaux auteurs, ou en laissent filer, ou ne font plus le travail de découverte, ou ne prennent plus de « risques ».

            "L’époque est tout de même au formatage et à la best-sellerisation.
                         Or nous sommes convaincus, chez les indés,
     que les lecteurs apprécieraient tout autant la diversité, l’originalité, la nouveauté.

C’est en ce sens que nous ajoutons de la valeur au circuit. En effectuant un travail de découvreurs et de propulseurs de talents.

Propos recueillis par Isabelle de Gueltzl

Venez retrouver Laurent Bettoni à Livre Paris 2016 sur le stand monBestSeller. La date et l’heure vous seront communiqués sur le site la semaine du 7 mars.

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#emancipationcollective
Le numérique a décidément loupé le coche. Lorsque les auto-édités se positionnent eux-mêmes en intermédiaires, l'auteur, au lieu d'être rémunéré, devient le marché. Pressé de partout, pour produire, et consommer des services, qui au final ne créeront pas plus de littérature, mais moins de visibilité pour les oeuvres noyées dans la masse ...

Je n'ai pas compris la question qui m'a été posée durant le speed dating d'amazon ce jeudi 17 mars. Vous m'avez demandé si La Femme invisible était féministe et si au final elle avait eu raison de l'être ... Pour moi, cette question est non seulement tendancieuse, discriminatoire, mais confirme le combat que je mène pour une plus grande visibilité non seulement des problématiques liées à l'invisibilité conférée aux femmes par une société machiste, à laquelle les femmes elles-mêmes collaborent, le jeu de la séduction jouant en leur défaveur (Luce Irigaray), mais aussi de la puissance de leur style, et de leur autorité comme auteurES :

http://www.amazon.fr/La-femme-invisible-Tina-Noiret-ebook/dp/B015VN2H6U

Vous avez bien raison de ne pas nous faire de cadeau ... car l'injustice forge la voix comme l'enclume bat le fer ... En littérature, les seuls vrais combats, sont ceux à voix nue, filmés ... Comme je l'ai dit par la suite dans l'interview, "les machines sont plus intelligentes que les gens" car ... cette promotion que vous vous permettez de me refuser, la "machine" amazon me l'avait déjà proposée en décembre, et je l'ai reçue pour le mois de janvier ... et j'en ai bénéficié. En conséquence de quoi, je peux affirmer que c'est de la machine Amazon (sa base de données et son programme amazon) dont nous avons besoin, non de vos services éditoriaux.
Les femmes peuvent créer leur propre maison d'édition "Les IndéEs" ... Vous savez que c'est facile et que ça ne coûte rien ? @Patrice Dumas @Anna Kriakovna@lamish @Julien Rigottier Gois @Alice Quinn
@Shinigami

Publié le 18 Mars 2016

@Patrice Dumas : Merci pour le complément d'information. La phrase "signe finalement un contrat d'éditeur" me fait effectivement peur...

Publié le 11 Mars 2016

@Anna Kriakovna : Analyse très juste !
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'attends toujours l'explication de la phrase :

"Quand l’auteur quitte le label pour un éditeur, le label perçoit un pourcentage sur les droits couverts par le contrat d’édition."

Publié le 10 Mars 2016

Hum... Je ne sais pas trop.... :

- 6,99€ pour un e-book, ça me semble bien plus cher que les prix pratiqués sur Amazon (surtout pour de nouveaux auteurs). Hyper sexy ? Hum...
- Aussi, le taux de rémunération papier me semble correcte (15%) mais pour le numérique 25%, ça me semble peu. Cela veut dire que concrètement, le label se prend 45%.
Pour quel service ?

Extrait du site :

sélection rigoureuse des manuscrits ;
retravail sur les textes sélectionnés, si nécessaire ;
publication aux formats électronique et papier ;
promotion et communication.

Est-ce que ça comprend : La rédaction d'un résumé ? D'une couverture faite par un professionnel de l'édition ? Qu'est-ce que vous entendez par promotion et communication ?

L'avantage c'est qu'il n'y a pas l'air d'avoir de coûts, ce qui permet à la fois aux nouveaux auteurs de ne pas dépenser trop d'argent et comme le label prend l'essentiel de sa rémunération sur la vente (et non des prestations annexes), au moins on est sur qu'ils essayeront vraiment de promouvoir le livre !

A voir ce que ça donne.

PS : Si on peut m'éclairer sur la deuxième partie de la phrase tiré du site :

Tant qu’un auteur reste dans le label, il est sous contrat d’édition et perçoit un pourcentage du prix HT des livres papier et électronique.

Quand l’auteur quitte le label pour un éditeur, le label perçoit un pourcentage sur les droits couverts par le contrat d’édition.

Publié le 08 Mars 2016

Bravo pour cette initiative ! J'espère que cette aventure trouvera le succès escompté. Entre l'édition traditionnelle et Amazon, il est grand temps de redistribuer les cartes !
J'ai actuellement des romans qui font le tour des maisons d'édition, mais j'avoue être séduit par le concept de ce nouveau label. Cela mérite d'y regarder de plus près...

Publié le 08 Mars 2016

Encore un bel article, je découvrais il y'a encore peu de temps Laurent Bettoni par le livre d'Elisabeth Sutton.
Je trouvais sa position moderne et explicite. J'avoue que ce monsieur m'impressionne, c'est plaisant et j'espère que son idée de rassembleur fera des émules. Je m'en vais de ce pas tenter ma chance et essayer frapper à sa porte numérique.

Publié le 05 Mars 2016

Longue et belle vie au Label des Indés! Vas-y Laurent!

Publié le 04 Mars 2016