Séries
Le 28 mai 2016

TANAGA d'Alice Quinn - Chapitre 8 : Ombre féline

Un nouvel épisode de TANAGA, la série d'héroic fantasy d'Alice Quinn à retrouver tous les mercredis et samedis sur le site. Tome 1 : Les ÉCORCHEURS - Chapitre 8 : OMBRE FÉLINE.
Tanaga. Série héroic fantasy d'Alice Quinn à lire gratuitement sur monBestSeller.comTanaga. Série héroic fantasy d'Alice Quinn à lire gratuitement sur monBestSeller.com

Chapitre 8

Ombre féline

Son retour fut morose. Théo se rendait compte qu'elle était très perturbée. Elle ne parvenait pas à mettre ses pensées bout à bout. Plus que jamais, elle aurait voulu pouvoir se blottir contre l'épaule protectrice de sa mère. Sa présence lui manquait cruellement.
Comment réagir à ce qui se passait ? Devait-elle admettre que tout était normal et que c'était sa perception des choses qui était modifiée, déformant le réel, faisant apparaître des monstres là où tout était ordinaire ?
À force de vouloir se réfugier dans un monde virtuel et s'être coupée de la vie de tous les jours, avait-elle fini par franchir une frontière invisible, celle qui sépare les gens normaux des fous ?
Ou devait-elle reconnaître que le monde, le bon vieux monde auquel elle était habituée, possédait en fait d'autres ressorts, d'autres espaces et que des monstres y évoluaient aussi tranquillement que n'importe quel quidam ?
Si tel était le cas, pourquoi ces monstres étaient-ils des Écorcheurs, comme dans son jeu ? Que voulaient-ils exactement manifester par leur intrusion hors de l'écran ? Leur désir était-il le même que dans le Jeu ? Détruire, dévorer, engloutir toute matière vivante, symbolisée par les Guerriers Glorieux dont Théo faisait partie ? Plonger le monde dans un univers de ténèbres, privé de lumière et de son ?
Théo se souvint brusquement avoir lu un jour que des expériences de torture avaient été tentées par les nazis en plaçant des êtres humains dans des cellules aseptisées, qu'on avait plongées dans le noir et qu'on avait capitonnées pour les soustraire à tout univers sonore.
Ces personnes avaient vite perdu l'esprit. Pourtant, on ne leur avait fait aucun mal. Raffinement suprême. Elles n'avaient pas été touchées, encore moins frappées. Et elles avaient été transformées en loques. Plus trace de la moindre humanité en elles. Des esprits déphasés, errants, effilochés.
Théo ne savait pas pourquoi ce souvenir était revenu dans sa tête. Était-ce ce à quoi ressemblerait le monde si les Écorcheurs les envahissaient ?
Elle monta l'escalier de son immeuble d'un pas lourd et n'eut pas envie de manger quoi que ce soit.
Comme une automate, elle exécuta les gestes rituels pour aller au lit : pyjama, lavage de dents, elle vérifia le répondeur du téléphone fixe, aucun message et elle se coucha frileusement entre ses draps, serrant contre elle son journal intime qu'elle cachait dans le vieux porte-pyjama de son enfance, en forme de chat.
Il était tout râpé et on avait du mal à reconnaître le pelage du célèbre Félix le Chat, tout noir, avec le museau, les bouts des pattes et de la queue blancs. Ce blanc était maintenant plutôt jaunâtre et le noir, à l'origine si brillant, avait fait place à un gris terne.
Petite, elle l'avait surnommé Lully et, par extension, c'était aussi le nom qu'elle avait donné à son journal.
Son sommeil, qui la surprit assez rapidement, fut néanmoins agité. Elle tournait fébrilement dans son lit, des images embrouillées la hantaient, son père inconscient sur sa civière, sa mère penchée sur elle dans son lit, un 4 x 4 lancé à fond fauchant tout sur son passage.
Quand une langue chaude et râpeuse frotta sa joue avec insistance, accompagnée d'un bruit lancinant de chaudière, comme le ronronnement d'un chat, Théo ouvrit les yeux, glacée de peur. Elle n'avait pas de chat, hormis sa peluche porte-pyjama et l'image qui décorait la première page de son journal.
Elle était seule dans l'appartement. Il était impossible que quoi que ce soit la touche, la caresse ou la lèche sur la joue en ronronnant.
D'ailleurs la sensation avait immédiatement disparu et quand elle porta la main à sa joue pour vérifier, elle ne rencontra que son cahier.
Elle se trouvait plongée dans le noir complet. Habituellement, la nuit elle ne fermait jamais ses volets et sa chambre était toujours éclairée par le lampadaire de la rue, mais il devait être cassé, car cette fois aucune lumière ne filtrait de la fenêtre et la pénombre était entière, opaque, épaisse, insondable.
Elle frissonna, se demandant si elle aurait le courage de se lever et de se diriger vers l'interrupteur. Elle regrettait de n'avoir laissé aucune lumière allumée dans l'appartement, ou de n'avoir pas planqué sous son oreiller sa petite lampe de poche basse tension.
Petit à petit, ses battements de cœur ralentirent. Elle avait certainement rêvé cette sensation mouillée qui l'avait réveillée. Mais elle ne parvint pas à se rendormir et, au bout de quelque temps, elle finit par sortir de son lit et par ouvrir l'ordinateur, attirée comme par un aimant.
L'espace virtuel se matérialisa automatiquement, sans même qu'elle en fit la demande et elle eut beau tenter de rejoindre le Break-Space, elle ne trouvait pas le moyen d'y accéder, étant sans arrêt renvoyée au Jeu et à sa situation dramatique. Nulle trace de ses coéquipiers, si ce n'est pour mentionner qu'ils ne faisaient plus partie de ce niveau.
Théo ne voulait plus jouer, mais elle comprit qu'elle devait absolument rejoindre les autres sous peine d'être définitivement anéantie, ou exclue du Jeu.
Et si elle voulait les rejoindre, communiquer avec eux, il lui fallait elle aussi passer l'ultime épreuve.
Cette fois, pas d'interférence dans le Jeu, d'images aperçues subrepticement. Fennec des Sables était bel et bien dans le champ virtuel de sa dernière bataille à mener avant d'être adoubée Guerrier Glorieux du niveau 5.

Elle était seule, enlisée dans le sable, mais cette fois toutes ses facultés étaient aiguisées et, lorsqu'un tentacule visqueux surgit de l'eau pour lui enserrer la taille, se glissant lentement vers son cou, elle réussit à matérialiser sans effort une arme blanche en forme de poignard, à entailler la matière visqueuse sans se blesser, faisant jaillir un geyser de liquide verdâtre et à parvenir à faire relâcher sa pression.
Le tentacule disparut et Fennec des Sables trouva enfin comment se sortir de la situation.
Théo comprenait maintenant pourquoi son épreuve ultime était une plage sableuse. Il s'agissait de faire valoir son nom, de s'en servir et de trouver en lui la réponse.
Fennec des Sables se replia sur elle-même et lentement se transforma en une masse sableuse, s'enfouissant profondément au cœur du silice.
Une grande inspiration emplit ses poumons de sable, la fossilisant intérieurement, rendant immédiatement impossible toute tentative de destruction de la part de ses ennemis.
Lorsqu'elle expira violemment, son corps se désintégra en milliers d'éclats sableux et fut projeté dans l'espace environnant.
Elle sentit alors qu'elle avait franchi le cap. L'univers défilait sous elle, en milliers de points de vue différents, comme sous l'effet d'une vision kaléidoscopique.
Le moulin où elle avait imaginé la veille se réfugier fut survolé et dépassé en une fraction de seconde et elle comprit que s'y cacher n'aurait de toute façon pas été une bonne idée.
Sous elle, un abîme vertigineux et bouillonnant, puis elle atterrit en douceur sur une herbe soyeuse, douce, tiède, semblable à une épaisse moquette.
Allongés dans l'herbe, ses amis, pouvant maintenant vraiment prétendre au titre de Guerriers, se reposaient, leurs épées brillantes à leur côté.
Leurs paupières étaient fermées et leur souffle apaisé. Un sourire de satisfaction se dessinait sur leurs visages numériques sommairement représentés. Ils étaient dépouillés des éléments métallisés composant leurs armures, les casques, les gants, les lances et les boucliers éparpillés autour d'eux, afin de se retrouver allégés de toute entrave dans leur repos.
Théo avait envie de les réveiller pour hurler sa fierté de les avoir enfin rejoints. Elle aussi, elle avait réussi. Elle aussi, elle avait gagné. Elle aussi, elle avait franchi la dernière épreuve, elle avait rejoint le Cinquième niveau.
Les autres personnages dormaient. Ils n'étaient donc pas connectés en ce moment. À qui, comment pouvait-elle faire part de ce moment si excitant pour elle et qu'elle attendait depuis si longtemps ?
Elle fit évoluer son avatar, Fennec des Sables, autour d'eux, examinant pour la première fois leurs traits, débarrassés de leur casque, de leur heaume qui habituellement leur cachaient le visage.
Elle essayait de deviner leur âge et lesquels étaient des filles si d'aventure elle n'était pas la seule. Mais impossible de deviner si c'était des filles ou des garçons, ou quoi que ce soit de personnel, tellement les visages étaient succinctement représentés.
Il y avait bien là Dream Song, avec ses peintures primitives, Glaive d'Or et son pagne bariolé, Œil de Faucon et ses plumes, ainsi que Ciel qui Gronde en lourde cuirasse de samouraï.
Devant l'écran, Théo s'ennuyait un peu, frustrée de n'être pas acclamée après sa réussite. Quand serait-elle adoubée ? Les autres l'étaient-ils déjà ?
Elle se mit à taper des chiffres sur le clavier, par désœuvrement, ce qui lui donna l'idée de chercher une formule chiffrée ésotérique, afin de tenter d'entrer dans le Break-Space, malgré l'interdiction qui lui était notifiée.
Elle expérimenta d'abord une suite de nombres premiers, qui étaient censés posséder un pouvoir particulier, puis, pour s'amuser, elle décida de ne taper que les premiers « premiers » de chaque dizaine, soit les : 1, 11, 23, 31, 41, 53, 61, 71. Arrivée là, elle remarqua que le 1 revenait souvent. Pourtant, pris séparément, on ne le comptait jamais dans les suites de nombres premiers. Elle tapa alors 1 tout seul.
Et soudain, quelque chose bougea dans le paysage. Une ombre féline s'approcha. Une sorte de grand chat, de la taille d'un poney, s'avança vers Fennec des Sables.
Sa fourrure, d'un noir profond, était par endroits d'un blanc immaculé et brillant - au bout de ses quatre pattes, comme s'il était botté et autour de son délicat museau - et présentait fugitivement des reflets dorés. Et au fur et à mesure qu'il dépassait les silhouettes allongées sur l'herbe, celles-ci s'éveillaient, ouvraient des yeux étonnés, s'étiraient.
Le fauve s'arrêta juste en face de l'effigie de Théo et d'une voix chaude et rauque prononça ces mots étranges :
– Tu m'as fait appeler, Fennec des Sables ?
L'animal prodigieux s'adressait à elle. Théo n'avait pas d'autre outil pour communiquer que son clavier et elle tapa fébrilement :
– Heu... Non... Qui êtes-vous ? Il n'y a pas d'animal dans ce jeu.
– Je suis ta conseillère. Je m'appelle Lully. Je suis la gardienne de la Salle du Conseil.
– Lully ? Oh... Comme mon...
– Oui.
– Je ne savais pas que j’avais une conseillère.
– Je ne fais pas partie des règles ordinaires de votre jeu. Je me sers de lui pour entrer en contact avec vous. Je viens juste de vous retrouver. Je suis là pour vous aider. Vous êtes en danger, il faut vous organiser. Faites vite.
– Mais... Je viens seulement de gagner. Il va y avoir une cérémonie d'adoubement...
– Je te parle de ça, justement. Attention à la cérémonie. C'est un piège. Maintenant que vous êtes réunis et isolés, vous êtes à leur merci. Dès qu'ils vous auront exterminés, le Temps des Écorcheurs installera le chaos sur la Terre. Ils ont déjà anéanti le royaume de Tanaga...
– Un piège ? Le royaume de Tanaga ? Mais de quoi parlez-vous ?
– Trouvez un moyen de communiquer entre vous. Débrouillez-vous. Il vous faut retrouver le Verbe Unique. Pour cela, vous devez vous connaître, savoir qui vous êtes, vous rencontrer, dans la Salle du Conseil.
– Je ne comprends rien à ce que vous dites.
– Entends ce que je dis et tu comprendras. Trouve la Salle du Conseil. C'est impératif.
Les autres Guerriers s'étaient approchés du lieu où s'échangeaient ces paroles, curieux, intrigués, fascinés.
– N'oublie pas que vous êtes les Pèlerins Glorieux.
– Les Pèlerins ? Je croyais que nous étions des Guerriers. Des Guerriers Glorieux.
– Non. Vous êtes comme ceux qui marchent en pays étranger, dans la quête impossible du verbe. Le Royaume du Tanaga a besoin de vous. La Reine du Zéphyr vous attend depuis si longtemps.
– Du Zéphyr ?
Leur mot de passe ! Celui qu’ils avaient tous utilisés, sans se concerter ! De quel inconscient collectif leur était-il parvenu ? de quel au-delà ? de quelle voix ?
Les Guerriers Glorieux se regardèrent, de plus en plus intéressés. Les propos du félin leur paraissaient incompréhensibles, mystérieux.
Brusquement, dans un feulement majestueux, l'animal s'éleva dans les airs sans effort et d'un bond aérien, comme au ralenti, il regagna le fond du paysage d'où il était sorti, se fondant dans l'image d'une forêt.
Les cinq alliés restèrent un moment pensifs, observant le paysage et quand ils tentèrent de parler, eux aussi ils ne trouvèrent pas trace des outils qui auraient permis la simultanéité d'une conversation.
Des bruits incongrus sortirent de leur bouche et ils éclatèrent de rire.
Théo aperçut alors, sur la colonne à droite de son écran, fugitivement, que le Break-Space était rebranché et elle s'y précipita, entraînant les autres à la suivre. Là au moins, ils pourraient parler et réfléchir à ce qui venait de se passer. Instantanément les personnages se retrouvèrent dans leur salle de repos, parlant, ou plutôt écrivant tous en même temps.
Les propos se chevauchaient, avides, curieux, pressés de comprendre ce qui se passait.
Ce félin mystérieusement apparu faisait-il partie du niveau 5, était-il là pour les guider vers une épreuve supplémentaire, ou se manifestait-il, comme il semblait le prétendre, tout à fait en dehors des règles, afin de leur dire quelque chose d'autre ?
Il semblait parler du Temps des Écorcheurs comme s'il s'agissait de quelque chose de réel, alors que c'était le titre du niveau 5.
Et quelle était cette reine dont il parlait ? Il n'y avait aucune reine dans le Jeu.
Tout cela avait-il un rapport avec ces interférences étranges, ces monstres Écorcheurs apparus dans la vie, ces accidents inhabituels, qui semblaient s'enchaîner avec une logique impitoyable ?
Théo fit part à ses amis de l'accident advenu à son père (avec un gros bip de censure sur le mot père) et elle fut étonnée de voir que Dream Song, qui se moquait d'elle le jour précédent, semblait cette fois complètement admettre leur inquiétude.
– Moi aussi, écrivit-il, hier, je suis allé jusqu'à la ville faire une course pour mes parents. J'ai eu envie de m'acheter une meat-pie, elles sont super bonnes là-bas. Au moment de payer, je me suis rendu compte qu'il me manquait cinquante cents. J'étais embêté, mais il y avait une femme à côté, avec son bébé dans une poussette. Elle avait assisté à la scène et elle m'a donné ce qui manquait pour que je puisse acheter ma tourte...
– Bon. D'accord et après ? Où veux-tu en venir ?
– Attendez, vous allez comprendre. En repartant, j'étais complètement absorbé par les derniers rebondissements qui m'avaient amené au niveau 5 et aussi par notre conversation, quand brusquement, alors que je traversais un pont, j'ai vu la femme qui promenait son bébé dans la poussette. Elle a trébuché et est tombée. Le landau a continué sa route sur sa lancée, heurté la rambarde du pont et l'enfant a basculé et a été projeté dans le vide. J'aurais voulu courir, me pencher, plonger, mais j'étais comme paralysé d'horreur. J'étais tellement horrifié que je n'ai même pas pu regarder ce qui lui était arrivé. Je sais que c'est lâche et je me le reproche depuis. Je n’ai pas pu dormir cette nuit.
– Mais ce n'est qu'un accident, horrible, d'accord, mais les accidents, ça arrive, c'est tout.
– Non, non. Ce n'était pas qu'un accident. Je trouve tellement incroyable ce qui est vraiment arrivé que je n'ose pas le raconter.
– Mais dis-le. Que s'est-il passé ?
– C'était eux. Les Écorcheurs. Je les ai vus de mes yeux, je vous le jure. Des soldats. Des Reptiliens. L'un d'eux tenait la femme plaquée au sol pour qu'elle ne puisse pas se relever.
Elle hurlait. L'autre a poussé la voiture avec l'enfant, violemment, contre le muret. Le troisième a projeté le bébé dans les airs. Puis ils ont disparu comme ils étaient apparus. Je suis le seul à les avoir vus. Je n'en ai parlé à personne. Je me suis enfui pendant que des gens appelaient les secours.
– Mais la mère, elle, elle a bien vu qui la retenait plaquée au sol ?
– Non, elle a dit qu'elle n'arrivait pas à se relever, car ses jambes se dérobaient sous elle. Dix minutes auparavant, elle m'avait aidé. Vous comprenez ? Je suis sûr que c'est la raison pour laquelle les Écorcheurs ont voulu la tuer...
Trois sur cinq. Il ne s'agissait plus d'hallucinations. Il y avait autre chose. Après un silence de quelques secondes, Œil de Faucon et Ciel qui Gronde se mirent à parler en même temps.
– Moi aussi. C'est comme vous, commença Œil de Faucon. J'ai vu les Écorcheurs. En cours de chimie. La prof faisait une expérience. Pendant qu'elle manipulait des tubes avec des produits dangereux, dont certains contenaient un acide violent, un Écorcheur s'est placé à ses côtés en ricanant et il a mélangé tous les produits entre eux. Cela a provoqué une petite explosion avec des éclaboussures qui ont giclé sur des élèves. Certains ont été gravement blessés au visage. Une fille, ma voisine de pupitre, a reçu quelque chose dans l'œil. C'était horrible, on aurait dit que son œil fondait. Un liquide orange, épais, dégoulinait sur sa joue tandis qu'elle restait bouche bée, muette, terrifiée. On l'a emmenée à l'hôpital. La prof s'est évanouie sous le choc, gravement brûlée. Personne ne comprend comment un accident pareil a pu se produire, mais moi je sais. Je l'ai vu. Et ce qui est le plus terrible, c'est que j'ai vu qu'il ne faisait ça que pour me narguer, peut-être me provoquer. J'ai essayé d'expliquer ce qui s'était passé, mais le principal m'a envoyé chez la psychologue du lycée, qui a déclaré que je tenais des propos incohérents à cause du choc, que j'étais traumatisé par l'accident auquel j'avais assisté.
– Et toi, tu as été touché par le liquide ?
– Non, pas une goutte.
– Moi aussi il faut que je vous dise, enchaîna Ciel qui Gronde. Je travaille dans un restaurant d'Etat pour aider mon ***...
Ciel qui Gronde avait failli parler d'un membre de sa parenté et apparemment, le censeur avait réagi. Ce qui ne voulait pas dire que la surveillance était réfléchie, intelligente. Il s'agissait peut-être juste d'un contrôle automatique, avec certains mots-clés déclenchant l'occultation.
– Je ne vais pas entrer dans les détails, puisque c'est impossible, mais sachez que j'ai vu un Écorcheur verser du poison dans une grosse marmite de soupe pour les clients d'un restaurant d'État. Le résultat fut terrible. Intoxication alimentaire qui a provoqué la mort de plusieurs clients. Le pire est que j'ai eu l'impression que tout était à cause de moi. Qu'il n'avait fait ça que pour me dire, ou me montrer quelque chose. Car j'adore cet endroit, j'adore discuter avec tous ces vieux qui ont connu l'ancien régime et qui me racontent leur jeunesse. Je les aime. Je n'arrive pas à supporter l'idée que je suis responsable de tous ces morts. J'ai peur. Ce Jeu est mauvais. Ce Jeu sort de ses limites. Pourquoi voyons-nous les Écorcheurs dans la vie ? Comment est-ce possible ? Et nous avons déjà franchi une étape affreuse puisque nous en sommes à en discuter, donc à admettre l'impossible.
Une fois que Ciel qui Gronde eut déclenché la série des questions, elles fusèrent, inépuisables, se succédant dans la colonne des dialogues trop rapidement pour que Théo perçoive qui parlait.
– Pourquoi ne nous tuent-ils pas directement ?
– Pourquoi s'en prennent-ils à des innocents qui ne connaissent même pas leur existence ?
– Pourquoi souvent des gens gentils avec nous ?
– Pourquoi sommes-nous les seuls à les voir ?
– Existent-ils vraiment ?
– Ce Jeu nous a-t-il rendus fous ?
– Que devons-nous faire ?
– Nous ne sommes même pas censés être ici, en train de parler, énonça Fennec des Sables. Le Break-Space nous était interdit aujourd'hui. Ce Grand Chat, qui se prétend mon conseiller, a dit qu'il ne fallait pas aller à la cérémonie d'adoubement. Que c'est un piège pour nous réunir, tous les cinq et nous anéantir. Dans le doute, il vaut peut-être mieux s'abstenir. Mais qu'allons-nous faire exactement ? C'est quoi cette histoire de Salle du Conseil ? C'est dans le Jeu ? Il dit que nous devons nous connaître mieux. Moi, je veux bien commencer. Je m'appelle ***, je vis à ***...
Théo s'arrêta brusquement. Chaque fois qu'elle tentait d'écrire une information sur son identité réelle, des blancs s'inscrivaient à la place des lettres et un bip sonore et désagréable se faisait entendre.
– C'est vrai, nous sommes censurés. Nous sommes donc épiés. On sait tout ce qui s'échange ici. Il est temps d'en tenir compte. Il nous faut vraiment trouver un autre endroit, déclara-t-elle.
– Je crois que les Écorcheurs ne sont pas des personnages de jeu. Ils existent vraiment. Ils ont trouvé le moyen de rejoindre notre monde, surenchérit Glaive d'Or.
– Arrête de délirer ! dit Œil de Faucon, plein d'espoir.
– Je suis d'avis qu'il faudrait arrêter de jouer un moment. On devient tous fous, soutint Dream Song.
– Non. Je crois que Glaive d'Or a raison. Moi aussi je trouve tout ça très étrange. Et s'ils existaient dans un autre monde ? Et s'ils se servaient du Jeu pour entrer dans le nôtre ? continua Fennec des Sables.
– Et si ce n'était pas du Jeu ? poursuivit Ciel qui gronde. Mais de nous. De nos pensées. De notre imagination. C'est peut-être à cause de nous qu'ils se matérialisent. On est trop obsédés par ce jeu. On finit par le matérialiser.
– Stop. J'en ai assez entendu. Je refuse de poursuivre une conversation aussi débile, avança Dream Song.
– C'est vrai. On doit cesser de jouer, ça nous rend dingues ? Si on s'arrête de jouer, les accidents s'arrêteront peut-être aussi ? et les visions ? affirma Œil de Faucon.
Ce dernier avis fit l'unanimité.
– Oui. Arrêtons. Pour voir si nos visions s'arrêtent. C'est peut-être lié. On joue trop. On provoque, peut-être, par l'intensité de notre concentration sur le Jeu, une matérialisation des éléments dans la vie.
Théo mesura à quel point ils étaient tous effrayés par la rapidité avec laquelle ils acceptèrent la solution proposée, c'est-à-dire de cesser de jouer. Pourtant, elle savait que chacun d'eux était un passionné et que ne plus jouer allait provoquer un vide terrible dans leur vie.
Mais la peur était la plus grande.
– Essayons de trouver des infos sur ce phénomène. Cherchons tout ce que nous pouvons récolter sur les mondes parallèles, les hallucinations ou les visions et aussi sur les mots suivants, prononcés par le Grand Chat : Reine du Zéphyr. Verbe Unique. Salle du Conseil. Pèlerins Glorieux. Tanaga. Monde Perdu. Et voyons ce que nous pouvons trouver aussi sur le Temps des Écorcheurs. Il en a parlé comme de quelque chose de réel, proposa Fennec des Sables.
– Ce serait bien de trouver le chemin vers cette fameuse Salle du Conseil, comme il nous l'a conseillé, suggéra Dream Song.
– Mais comment as-tu fait apparaître ce Grand Chat ? demanda Glaive d'Or.
– J'ai essayé une série de combinaisons de chiffres spéciaux, j'avais un livre sur ça, quand j'étais au collège, j'ai essayé au hasard. Je ne sais pas lequel a marché. En tout cas, en dernier j'ai juste tapé le 1. Mais je ne sais pas si c'est ça. Ce n'est peut-être qu'une coïncidence ? C'est peut-être lui qui m'a dénichée tout seul.
– Mais où allons-nous faire nos recherches si nous ne nous approchons plus de nos ordinateurs ? s'inquiéta Ciel qui Gronde.
– Allons dans les bibliothèques de nos écoles, de nos villes, dans les médiathèques, proposa Œil de Faucon.
– On n'a qu'à se donner rendez-vous dans cinq jours à la même heure. Quelle heure est-il ? questionna Dream Song, qui avait l'air d'adorer organiser les choses.
– OK. Pour moi il est ***.
Le bip strident déchira le silence en même temps que des lignes scratchées brouillèrent l'écran. C'était terminé. Ils n'étaient plus en contact.
Théo batailla un moment pour tenter de rétablir la connexion, sans succès. Elle regarda l'horloge de l'ordinateur. Il était une heure du matin.
Elle finit par éteindre l'ordinateur et frissonna. Elle se retrouvait devant l'écran éteint, dans son bureau vide, dans son appartement vide. Tous les événements de sa vie récente rejaillirent à son esprit, la baignant d'une sourde inquiétude. Elle se sentit soudain toute petite et abandonnée dans une dimension trop dure pour elle.
Au bout d'un moment, elle se leva de son siège pour regagner sa chambre, en repensant au visage du terrible Yaraki entrevu le matin même dans sa classe.
C'est alors qu'elle entendit un bruit furtif derrière la porte. Un froissement de matière, un cliquetis et comme un ricanement sournois. Son sang se glaça dans ses veines.
Les Écorcheurs.
Ils étaient là. Chez elle. Juste là, dans le couloir.
Que lui voulaient-ils ? Théo avait peur. Pourtant elle avait du mal à admettre que les Écorcheurs fussent ici. Dans son monde. Dans sa vie de tous les jours. Et malgré ça, elle en était sûre. C'était eux.
La poignée se mit à bouger lentement, ce qui entraîna un tremblement irrépressible chez Théo. Ils allaient entrer dans la pièce, lui sauter dessus, l'embrocher avec leurs immenses lances. Que faire pour leur échapper ? Elle s'éloigna doucement du mur et se blottit sous la table de travail en s'y pelotonnant le plus au fond possible.
Le bruit imperceptible de la porte qui grinçait légèrement sur ses gonds lui fit comprendre qu'ils pénétraient dans la pièce. Le cliquetis de leurs armes se fit plus proche. Recroquevillée sous le bureau, Théo retenait son souffle, sans parvenir à empêcher ses dents de s'entrechoquer.
Elle aperçut soudain la pointe d'une grosse botte ferrée à quelques centimètres de son visage. L’Écorcheur contournait le bureau.
Il marchait lentement et elle l'imaginait, son épée à la main, ses yeux rouges furetant dans tous les sens, à sa recherche. Mais la cherchait-il vraiment, ou savait-il d'instinct où elle s'était réfugiée, faisant durer l'attente, certain de pouvoir fondre sur sa proie quand bon lui semblerait ?
Théo se souvint alors de la conversation qu'elle venait d'avoir avec ses amis, quand Œil de Faucon avait dit que c'était sûrement leurs imaginations qui les faisaient naître et apparaître. Elle ferma alors les yeux de toutes ses forces et se mit à brouiller les images terrifiantes des Écorcheurs, qui la parasitaient dans sa tête.
Des billes de toutes les couleurs, puis des zébrures, enfin un espace blanc, lumineux, se succédèrent sur son écran mental, puis elle imagina un paysage paisible, où aucun danger ne pouvait se cacher, une prairie amicale, souriante, à peine vallonnée, une étendue de jeunes pousses de blé vert.
Quand elle se sentit totalement pénétrée de cette image sereine, elle ouvrit les yeux brusquement et sentit immédiatement qu'elle était désormais seule. Elle se leva, peu rassurée, pour constater qu'en effet, plus aucun Écorcheur ne furetait dans la pièce. Elle sortit lentement dans le couloir : vide.
Personne. Est-ce que cela voulait dire que les Écorcheurs n'existaient que dans son imagination, qu'ils n'étaient donc pas réels, que c'était la raison pour laquelle les autres ne les voyaient pas ? Ou bien que son imaginaire avait le pouvoir de leur donner une consistance réelle ?
Théo remarqua que son tremblement avait cessé. C'était déjà ça. Mais elle avait toujours le cœur qui battait à toute vitesse et la respiration altérée.
En essayant de récapituler le plus calmement possible, il fallait bien reconnaître qu'elle venait de vivre une série d'événements extrêmement traumatisants et qu'elle avait failli y passer quelques minutes auparavant. Devant ses yeux il y avait comme des papillons multicolores et affolés qui voletaient. Elle n'arrivait plus à aligner une pensée cohérente.
La conversation dans le Break-Space n'avait pas vraiment arrangé les choses, au contraire, son inquiétude s'était vue confirmée par ce qui était arrivé aux autres Guerriers.
Elle se rendit à la cuisine pour boire un verre de lait et regagna son lit où Lully, son journal, l'attendait sagement à côté de son vieux porte-pyjama.
Elle y décrivit les événements récents, puis le rangea à l'intérieur et, brusquement envahie par une immense fatigue, elle se laissa glisser dans le sommeil, un peu rassurée tout de même d'avoir trouvé une parade aux attaques des Écorcheurs, souhaitant que ça dure, que rien de nouveau ne vienne perturber ce nouvel arrangement qui pouvait la sauver de bien des situations à l'avenir.
Juste avant de sombrer totalement dans un sommeil sans rêve, elle se dit qu'elle devrait faire connaître sa parade à ses amis, afin qu'ils puissent eux aussi l'utiliser, mais comment faire ? Ils ne devaient plus communiquer ensemble avant cinq jours.
Puis elle se rasséréna en pensant qu'il fallait leur faire confiance. Ce qu'elle venait de découvrir, ils pouvaient le deviner aussi. Ils étaient aussi forts qu'elle. Après tout, eux aussi étaient des Guerriers maintenant. Ils étaient tous au niveau 5. Ils étaient les meilleurs. Ils étaient sortis vainqueurs de toutes les épreuves.
Sa dernière pensée fut pour l'étrange chat rencontré dans l'espace du Jeu, qui se nommait, comme son journal, Lully.

C’était Ombre Féline, le chapitre 8 de TANAGA - 1 – Les écorcheurs
© Alice Quinn - tous droits réservés – 2016

Rendez-vous mercredi pour le chapitre 9 du tome 1 de TANAGA !

 

J’ai voulu retrouver avec ce roman d’héroïc fantasy la joie de l’écriture de feuilletons, qui m’a toujours fascinée. J’espère que vous partagerez cette passion avec moi.
Dans un premier temps, 2 tomes seront donc ainsi déclinés chapitre par chapitre, gratuitement, en ligne, le temps qu’il faudra, à raison de 2 chapitres par semaine, les mercredis et les samedis, à 10 heures.
Si des fautes, des incohérences ou des coquilles se sont glissées ;-) à mon insu dans le texte, je vous serais reconnaissante de m’en informer.
D’autant plus que le roman ne sera publié et proposé à l’achat pas avant la mi-Août, je pourrai donc y apporter les corrections et améliorations nécessaires, grâce à vous.
Si vous désirez lire le roman dans sa continuité, vous avez la possibilité de l’acheter tout de suite en pré-commande. Vous le recevrez automatiquement dès sa publication le 27 juillet dans un format numérique.

_____________________________________________

Illustration couverture par Alex Tuis
Graphisme couverture réalisée par Kouvertures.com

Vous avez un livre dans votre tiroir ?

Publier gratuitement votre livre

Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…

Bonjour @Yannick A. R. FRADIN,merci au contraire pour ce long compte rendu des "petits" détails qui fâchent!
C'est juste le boulot annoncé qui me chagrine à cause du temps!
Mais pour le fond, je serais bien bête de ne pas être heureuse d'avoir un correcteur si pointilleux!
Donc vous avez toute ma reconnaissance!!! Éternelle!
à mercredi prochain ...

Publié le 29 Mai 2016

Bonjour Alice et merci pour ce chapitre. Sapristi, il s'y en passe des choses :-) Tout cela se précise et la dimension heroic fantasy entre vraiment en jeu (je dois avouer que jusque-là je n'avais pas trop le sentiment qu'il s'agissait d'heroic fantasy, sauf sur les quelques passages ayant trait justement au jeu).
@Colette bacro : haha je ne suis pas un chasseur de coquilles, mais je remonte les choses qui m'interpellent, ça peut toujours être utile^^ En tout cas, c'est gentil pour le charmant et enthousiaste, vous allez me faire rougir (charmant je ne sais pas, mais enthousiaste je le suis assurément).
@Alice Quinn : je vous propose ci-après une petite liste des choses qui m'ont interpellé. Comme d'habitude il ne s'agit que de simples points de vue. Vous prenez ce qui vous intéresse et vous jetez le reste :-) Voici donc : "Comme une (un) automate, elle exécuta les gestes rituels pour aller au lit : pyjama, lavage de dents, elle vérifia le répondeur du téléphone fixe, aucun message et elle se coucha frileusement entre ses draps, serrant contre elle son journal intime qu'elle cachait dans le vieux porte-pyjama de son enfance, en forme de chat." --> cette phrase me semble peu digeste en l'état. Beaucoup de "elle" et ponctuation pas forcément claire ou en tout cas adaptée ; un espace de trop avant "serrant" / "les bouts des pattes" --> le bout des pattes ou les bouts de pattes mais les bouts des pattes, ça m'a gêné / "Elle essayait (pourquoi un imparfait et pas un passé simple ici?) de deviner leur âge et lesquels étaient des filles si d'aventure elle n'était pas la seule." --> deux fois être d'affilée / "Mais impossible de deviner si c'était (c'étaient) des filles ou des garçons" / "Elle tapa alors 1 tout seul. (ce qui me gêne ici, c'est que trois phrases plus tôt, Théo a commencé par 1, pourquoi y revient-elle ensuite et pourquoi cela a-t-il un effet alors que précédemment non?)" / "Le Royaume du (de) Tanaga a besoin de vous." / "eux aussi ils (à mon humble avis, ils est en trop ici, et le aussi me gêne : eux non plus ne trouvèrent pas) ne trouvèrent pas trace des outils qui auraient permis la simultanéité d'une conversation." / "– C'était (c'étaient) eux. Les Écorcheurs." / "– Mais la mère, elle, elle (ce second elle est-il vraiment utile?) a bien vu qui la retenait plaquée au sol ?" / "Tous les événements de sa vie récente rejaillirent à (ce "à" me gêne) son esprit," / "C'était (c'étaient) eux." / "Elle y décrivit les événements récents, puis le rangea à l'intérieur et, brusquement envahie par une immense fatigue, elle (inutile de répéter elle ici à mon avis) se laissa glisser dans le sommeil, un peu rassurée tout de même d'avoir trouvé une parade aux attaques des Écorcheurs, souhaitant que ça dure, que rien de nouveau ne vienne perturber ce nouvel arrangement qui pouvait la sauver de bien des situations à l'avenir (pfiou, phrase très longue et peu digeste qui mériterait peut-être d'être scindée)." / "Sa dernière pensée fut pour l'étrange chat rencontré dans l'espace du Jeu, qui se nommait, comme son journal, Lully" → cette subordonnée est-elle vraiment utile ? On avait très clairement fait le lien au fil du chapitre. / Plusieurs répétitions un peu gênantes par leur proximité immédiate (par exemple avec les mots Théo, paysage, clients, etc...) / des virgules à mon avis trop fréquentes devant « et » et « ou ». Voilà, désolé pour le pavé. J'espère que vous trouverez des éléments utiles et que vous n'aurez pas l'impression que je fais un retour négatif. C'est plutôt le contraire. Je trouve le texte de belle qualité, on plonge dans l'histoire sans difficulté et le rythme est bon. Les éléments dont je vous fais part ne sont que des petits détails. Je suis un lecteur casse-pied qui chipote facilement :p À mercredi pour la suite !

Publié le 29 Mai 2016

@Colette bacro
Oui, Colette, merci... J'attends ses remarques...
Je sais pour le papa, mais il est temps dans l'histoire justement qu'il s'efface un peu
et laisse Théo aller vers son destin... :-)
à mercredi prochain...

Publié le 29 Mai 2016