Jean Benjamin Jouteur
Présentation

Après une courte carrière de conseiller juridique , je me tourne vers le théâtre participatif. Comédien et psychothérapeute, j’occupe tour à tour ou conjointement les postes de consultant spécialisé dans la prévention, concepteur d’outils interactifs, enseignant spécialisé dans le théâtre social.
Parallèlement à mon activité de thérapeute familial, j’assure pendant plus de vingt ans la direction d’une compagnie de théâtre spécialisée dans la prévention des conduites à risques.
La plupart de mes bouquins sont des versions romanesques librement de spectacles que j’ai créés. La prévention est souvent présente en arrière-fond.
Mon ouvrage “Cahiers d’un chevrier qui venait de la ville” et la trilogie “Errances d’un pantouflard” sont en grande partie autobiographiques.

Jean Benjamin Jouteur a noté ces livres

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voici, une fois n’est pas coutume, une chronique en forme de coup de gueule. J’ai lu « État-limite » de Pascal bézard, et je me suis retrouvé dans un monde familier, un monde que je connais bien l’ayant côtoyé pendant pas mal d’années. Le monde des gens qui ont mal à leur âme, qui ne vont pas bien du côté de la tête, qui sont fâchés avec eux même. Pour donner dans le court, bienvenue dans le monde des « états limites », d’où le titre du bouquin. On dit aussi borderline. Ce livre ne nous parle de personnes qui ne sont ni névrosés ni psychotiques. Les personnages oscillent plutôt entre schizophrénie pseudo-névrotique » et « psychonévrose grave ». Un peu dur à définir, je sais, pour faire simple, ils ne vont pas bien du tout… Alors, bien sûr, ils ont besoin d’aide… Et voici que rentre en jeu le monde des soignants… Que j’ai également fréquenté, de loin, même si j’étais l’un d’eux. Un monde empli de gens qui se prennent pour Dieu le père, ou tout au moins, pour l’un de ses disciples… ils sont tellement persuadés de détenir la vérité… Ils savent ! Que savent-ils ? Eh bien, au cours de leurs études, ils ont mémorisé toute une batterie de protocoles qu’aujourd’hui ils dispatchent auprès de leur patient sans vraiment prendre la peine de les adapter à chacun… Vous êtes schizo… Tel traitement Vous êtes parano… Tel traitement Vous voulez en finir ? … Tel traitement ! Vous êtes dépressif ? Mais non, c’est un simple passage à vide… vous n’êtes que sensible, croyez-moi, je suis un professionnel, et vous n’êtes qu’un malade ignorant sont état. Le gros problème des maladies mentales, ce sont les étiquettes qu’on leur donne… : Vous êtes ci, mais non, vous êtes ça… Dans le DSM, le guide des maladies mentales, 410 troubles sont répertoriés… Ce qui permet à certains soignants, lorsqu’ils se trouvent devant des cas qu’ils ne comprennent pas, d’affirmer… Non, désolé, je ne trouve pas, donc votre maladie n’existe pas… veuillez changer de symptôme ou mieux les formuler. Ou bien… Votre maladie tombe bien, j’ai justement une nouvelle molécule médicamenteuse à tester sur un nouveau trouble que nous venons juste d’inventer. Ou enfin… Vous êtes… quoi ? Ah ? Désolé, aucun traitement n’est prévu pour ce type de troubles. Passez votre chemin… ou revenez nous voir lorsque vous aurez avalé trois boites complètes d’antidépresseur. Oui parce que ces gens-là sont également grands pourvoyeurs de cachets en tous genres… De ces pilules du bonheur qui ne soignent pas, certes, mais qui possèdent le grand mérite d’abrutir ceux qui les consomment, de les rendre accros, ou éventuellement de les aider à dormir très, très longtemps, quand ils en consomment trop. En France, il faut, soit essayer de mettre fin à ses jours, soit tenter de tuer son conjoint à coup de couteau pour que la psychiatrie s’intéresse à vos symptômes en les jugeant… Préoccupants. Donc internement… cachets, Surveillances, encore cachet, fouille au corps, milieu fermé, infirmiers balaises en guise de maton, toujours cachets… Puis un beau matin, un psychiatre de service, qui ne vous voit que le lundi de chaque semaine, car il est seul pour gérer des dizaines de tordus, estime que tel patient semble aller mieux… donc autorisation de sortie. Il faut bien récupérer des lits, les maladies mentales sont légion. Et il vaut mieux investir dans un nouvel hôtel des impôts plutôt que dans des hôpitaux pour dingos. Donc, les dérangés supposés guéris quittent le milieu hospitalier… et une fois lâchés dans la nature, ils reprennent leur vie d’avant… et rechutent pour la plupart sitôt libéré de leur camisole chimique. Retour à la case départ… Tout ça, Pascale Bezard nous le raconte d’une façon intime et personnalisée… il a placé sa plume dans le trou d’une lorgnette grossissante braquée sur une famille dysfonctionnelle du fait des maladies mentales qu’elles affrontent, en plus d’affronter un milieu médical et administratif censé l’aider, mais qui ne fait que l’égarer. Au fait, définition du mot : censé : Être considéré comme devant être ou devant faire quelque chose ; être supposé… Bezard possède une écriture bien à lui. Nerveuse, haché, aussi troublée que ses personnages… je dirais presque aussi borderline ou maladroite, essoufflée, parfois, imprécise… se cherchant… mais tout ça est volontaire… ça place le lecteur dans la situation de l’accompagnant… Celui qui lui aussi en prend plein la figure… mais qui, pour la plupart de temps, est oublié par les professionnels de santé… ou carrément repoussé et dédaigné parce que, intime du patient, il connait bien ses tourments… On lui recommande de laisser faire les pros… d’aller jardiner son carré de salades plutôt que de jouer les psys. Bon, je noircis sans doute la situation… Il y a de bons soignants, des personnes sachant intervenir en être humain, sachant parler aux gens en évitant par exemple de les considérer comme de simples sujets interchangeables… Des gens qui soignent l’âme avant d’abrutir les corps. Lisez ce bouquin, il est, hélas, très fidèle à ce qu’il se passe dans nos institutions dont la mission est, parait-il, de venir en aide aux personnes souffrant de déséquilibres mentaux. On se plait à clamer que certains coins de France sont des déserts médicaux… je rajouterai que l’ensemble de la France est un désert en ce qui concerne le traitement des maladies mentales et l’accompagnement des patients ou de leurs proches. Moi quand je dis ça… Pour une fois, je ne dis pas rien ! Et Bezard le dit aussi très bien.
Publié le 18 Décembre 2023
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Il est des bouquins qui ressemblent à des confessions intimes. On y rentre dedans avec précaution afin de ne pas déranger celui ou celle qui se confie. En tant que lecteur, on ressent cette étrange émotion de ne pas lire les mots que l’on découvre, mais de les entendre. Ça n’est pas une discussion ouverte, on ne cherche pas à prendre la parole et encore moins à donner son avis sur ce qui est dit. On a conscience que ce serait inutile et même mal venu. Parfois, souvent même, seule une écoute est nécessaire. Celle ou celui qui s’ouvre à vous n’a nul besoin de conseils ou de leçons. Si pudiquement il se découvre, c’est dans le but de partager des secrets devenus trop lourds pour qu’il puisse encore les porter seul. Rendre compte, rapporter, faire savoir… C’est sortir de l’isolement. Et qu’importe que l’on ait affaire à une fiction ou à un témoignage… L’auteur vous confie des moments d’existence qu’il trimballait sans doute depuis longtemps et qu’il devait partager. Qu’ils les aient vécus ou pas, on s’en fiche. Il les a pensés, il les a écrits… Ils viennent forcément de quelque part. La folie de l’exil appartient à ce genre de bouquin. Des gens modestes qui se révèlent, que l’on croise dans la rue sans les voir, des personnes anonymes sans histoire extraordinaire à raconter, sans cadavre sur les bras, sans coup de feu ni trahison, ça paraît anodin, inintéressant… Et pourtant. Quelle est la chose que tous, qui que nous soyons, poète ou nabab, drôle ou sévère, riche ou miséreux, exilé ou installé, nous possédons ! Une famille ! Elle peut être éclatée, puissante, dans la dèche, dysfonctionnelle, aimante, délirante, reconstituée, déchirée, en morceaux, ignorée, brisée ou enfin soudée… Il n’empêche qu’un jour, elle a existé. Et les petits riens qui la constituent, les drames, les secrets, les non-dits, les silences, les instants d’amours, les câlins, les mises au point, les souvenirs, les drames, les aïeux du passé, les enfants du présent, ceux qui viendront après, les cousins et les pièces rapportées, tout ça nous concerne, nous touche, nous alarme… Pourquoi ? Parce que tout ça nous fait exister. Pour Barbara Abel, la reine du polard belge, la famille est un microcosme exacerbé, tout y est plus fort. « La folie de l’exil » nous raconte une famille, donc à première vue, il nous décrit un contexte si « familier », si commun à tous, qu’il est facile d’en déduire qu’à le lire, nous risquons de nous ennuyer. Franchement, ce n’est pas le cas. En plaçant la vie secrète d’une famille comme bien d’autres sur la place publique, ce roman nous dévoile la vie privée d’inconnus qui nous ressemblent. Car, quelque part, c’est aussi de notre propre famille qu’il s’agit. Celle dans laquelle nous avons grandi, celle qui nous a déçus ou surpris, celle qui nous a fait pleurer ou rire, celle que nous découvrons trop tard, celle que nous aurions aimée avoir ou encore celle que nous regrettons d’avoir subie. Nos secrets et fêlures ne ressemblent peut-être pas à ceux des personnages que N, mais ils sont bien là… En nous. Nous les cachons ou choisissons de les ignorer. En lisant ce bouquin, il peut arriver qu’imaginaire et réalité se mélangent. Il peut arriver aussi que l’on joue au jeu des comparaisons, des projections ou des regrets. Famille réelle, faille redoutée, famille idéale ! Qui n’a pas songé un jour d’être l’enfant, abandonné ou volé, d’autres parents, parents qui resurgiraient un jour pour nous emmener vers une autre vie. Vous vous rappelez « la famille Groseille, la famille Quesnoy, la substitution à la naissance d’un enfant de riches et d’un enfant de pauvres ! Il y aurait tant à dire sur les secrets de famille, je n’en divulguerai pas plus. Je risquerai de dévoiler une évocation intime que Natalia conte bien mieux que moi, avec pudeur, émotions et justesse. Vous l’aurez compris, j’ai apprécié ce livre… Il n’y a peut-être que le titre qu’il porte que je remettrais en question. Pour moi, l’exil n’est pas l’élément principal. Quant à la folie, c’est souvent ce que l’on n’accepte pas, ou ce qu’on ne comprend pas. Il existe simplement des êtres humains qui souffrent, qui sont perturbés dans leurs esprits ou leurs comportements par des maladies. Plus on tente de comprendre ces gens, plus on accepte de les soigner, moins la folie existe.
Publié le 02 Août 2023
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J’ai lu « le royaume s’effondre » de Yolaine Rivière et j’aurais envie de dire, c’est d’ailleurs ce que je vais faire : « Enfin un bouquin qui, traitant de la révolution de 1789, se permet de remettre quelques pendules historiques à l’heure. Bon, d’accord, ce sont peut-être mes origines ethniques qui me poussent à clamer que rebelles et victimes mourant pour la liberté ne sont pas toujours dans ce camp des présumés gentils désigné de façon officielle. Tiens pour exemple, la prise de la Bastille dont on nous rebat les oreilles à chaque 14 juillet… C’est une supercherie que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de Fake news. Voici pour exemple une tragique vérité très bien résumée dans ce livre. La Bastille n’a jamais été prise par le peuple de Paris, un peuple sur lequel le gouverneur de la célèbre forteresse a refusé de tirer. Ce grand dadais un peu naïf s’est contenté d’ouvrir ses portes en grand… Et, bien évidemment, il s’est fait massacrer avec ses hommes malgré une promesse qu’il avait négocié. Celle que lui et ses hommes auraient la vie sauve. L’histoire est écrite par les vainqueurs, c’est bien connu. Aïe ! Je risque de me faire des ennemis dans la gent des sans-culottes encore en exercice, ma foi, tant pis. Ça ira, ça ira, certes ! mais il faut bien reconnaitre que parfois ça ne va pas… Et quand l’oppressé devient à son tour bourreau, il ne vaut pas mieux que l’oppresseur. Justement, Yolaine dénonce les horreurs commises par les terribles « colonnes infernales ». Certains nient encore la vérité, pourtant, de nos jours, on parlerait sans nul doute de « crime contre l’humanité » ou de génocide. Klervi, l’un des personnages principaux du livre, commente la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en débutant son discours par cette phrase : « Nous sommes tous libres et égaux en droit. Une égalité purement rhétorique, une liberté purement fantasmée ». Je le reconnais, lire le discours de Klervi a été pour moi un véritable plaisir tant je me reconnaissais dans ses mots. J’ai lu ce passage plusieurs fois. Bref ! Contrairement à certains des lecteurs dont j’ai lu les commentaires, je n’ai pas regretté que le volet « historique » étouffe quelque peu la romance. Il me semble, qui plus est, que ce ne soit pas le cas. L’histoire d’amour est bien là… Mais elle passe en second plan, car il ne peut en être autrement. Tout comme Scarlett et Reth Butler emportés tous deux par la guerre de Sécession, Klervi et Emrys subissent la Révolution française de plein fouet. Ils n’ont pas le temps de s’aimer, ils n’ont que le temps de survivre. Pourquoi j’ose cette comparaison avec ce magnifique roman-fleuve de Margaret Mitchell, parce qu’il existe un certain nombre de points communs entre les deux ouvrages. D’abord la force, l’intelligence et la volonté du personnage féminin, sa capacité à être écoutée, son humanisme aussi. Puis l’aspect épique et passionnant du roman que l’auteur parvient à entretenir tout au long de son ouvrage. Les descriptions très justes et réalistes d’un contexte historique en ébullition. La misère de ceux que l’on appelle « Petites gens », leur courage et leur faculté de se relever malgré le harcèlement constant des oppresseurs au pouvoir. En quatre mots, c’est un bon roman… Dépaysant, passionnant et instructif. En plus, c’est bien écrit, fluide, très documenté mais non redondant. Un ouvrage que j’ai vraiment apprécié et que je recommande. J’attaque bientôt la suite ! A bientôt pour de nouvelles aventures épiques... Kenavo !
Publié le 14 Juillet 2023
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Insultées, humiliées, frappées, chassées, torturées, lapidées, tel fut le sort de nombreuses filles d’Ève à travers l’Histoire. Si nos sociétés actuelles considèrent enfin la femme comme un individu à part entière, dans un passé pas si lointain, de terribles sévices étaient spécialement destinés aux dames ayant commis l’erreur de s’éloigner du chemin étroit qui leur était imposé. Bon, quand je dis que nos sociétés actuelles considèrent enfin la femme comme un individu à part entière, je devrais préciser : la plupart de nos sociétés actuelles. Car certaines, servies par une police d’État « religieuse » composée de fonctionnaires servant un obscurantisme religieux qui n’a rien à envier à nos braves inquisiteurs du XII° siècle, maintiennent une oppression aussi barbare que systématique, piétinant allégrement, au vu et au su du monde entier qui s’en tape, les plus élémentaires droits de l’homme (ou plus exactement ceux de la femme). Bon, d’accord, pas bien de juger des us et coutumes qui ne sont pas les nôtres. Pas politiquement correct de critiquer des pratiques ancestrales que nous, pauvres occidentaux décadents, ne pouvons comprendre. Trop choquant d’exposer au grand jour des agissements intolérables de ces pays qui nous abreuvent de leurs devises, notamment en nous achetant des armes. C’est vrai, il est plus simple et moins coûteux pour nous de s’émouvoir devant des titres de livres en les modifiant au nom de l’égalité et de la parité. Hypocrisie quand tu nous tiens ! Voilà de quoi parle ce texte ! voilà ce qu’il dénonce… Et si j’étais un singe, j’applaudirais des quatre mains… Mais étant un simple humain, je n’en possède que deux, il faudra s’en contenter. Donc : « Clap, clap ! » Ce bouquin, à l’écriture nerveuse, hachée, dressée comme un doigt accusateur, balanstique un bon coup de tatane à ceux qui nous vendent la luxueuse, lumineuse, raffinée Riyad, charmante ville cosmopolite, capitale du Royaume d’Arabie saoudite qu'il faut à tout prix visiter pour profiter de ses palaces. Il nous détaille comment, dans cette cité où l’argent coule à flots, un richissime ministre dépensera des dizaines de milliers d’Euros dans le simple but de s’offrir un jus de fruits occidental. Il nous informe, souvent avec humour et modernité, que cette montagne de pognon trop facilement amassé, sent mauvais, tout comme la politique de ségrégation qu’il sert. Un livre rapide, sec comme un coup de trique, qu’il faut absolument lire pour comprendre et surtout admettre qu’il existe encore des combats nécessaires à mener pour la véritable égalité.... Y aller simplement en vacance fait de nous des complices... Il faut des témoignages comme celui-çi. Au passage, j’ai adoré l’interlude jouissif thaïlandais… Vous m’avez fait rire Magali… Au théâtre, ça s’appelle l’effet « tragicomique » et vous le maniez fort bien, bravo et merci. Une confession… cet épisode m’a rappelé quelques inavouables souvenirs de fêtes lors desquelles, que l’on soit homme ou femme, on se sent vivants à grands coups d’excès.
Publié le 22 Juin 2023
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Ce bouquin rentre dans la catégorie : pavé littéraire… Et pas seulement parce qu’il dépasse allégrement les 500 pages. Les pavés ! Ces blocs de pierre, destinés aux revêtements de nos chaussées, se composent souvent de granite, de grès, de porphyre, mais aussi de calcaires, de marbre, de roche volcanique, etc. Eh bien, ce bloc de mots, « Le néant et l’infini », destiné à nous distraire, mais aussi à nous instruire et à nous faire réfléchir, se compose lui aussi de tout un panel de thèmes, complémentaires certes, mais bien différents. Plus qu’une lecture en passant, cette « véritable brique de références » amène le lecteur à se plonger pendant de longues heures dans un dédale de pages qui s’étirent presque à l’infini. On peut dire que ce livre est un engagement à long terme, nul ne sait le temps qu’il faudra y passer pour en venir à bout. Il propose une expérience intense. Des pages et des pages d’aventure. On les dévore, car on est happé par l’histoire. Suivant pas à pas les personnages sur une longue période, nous vivons leur épopée, partageant leurs émotions, des quelques joies qu’ils éprouvent aux drames déchirants qu’ils traversent. Parlons du titre : Le néant et l’infini. Le néant étant le vide illimité, il est donc la même chose que l’infini qui est le plein illimité puisque les deux notions de plein et de vide occupent la même place illimitée. C’est ambitieux comme raisonnement, ambitieux comme ce livre et comme son titre qui fait bien sûr référence à Pascal et à son fameux discours de l’infini et du néant censé démontrer l’existence de Dieu : « J’ai en moi l’idée d’un être parfait, or je ne suis pas parfait, donc cette perfection divine ne peut venir de moi, mais seulement d’un être parfait, qui existe donc ». Pourtant ce bouquin n’évoque, ni vraiment la religion, ni l’existence ou l’inexistence de Dieu. Il dépeint, avec une précision glaçante, comment des hommes, se prétendant être de foi, ont pu, par fanatisme, par cupidité, par intérêt, ou simplement par bêtise, créer et servir cette détestable machine à broyer de l’humain, à torturer et à tuer que l’on nommait : Inquisition. À l’instar de l’un de ses personnages principaux, le poète et dramaturge, Antonio José da Silva, qui vécut réellement dans la première moitié du 18° siècle, ce bouquin évoque ce bloc de pierre qui, une fois jeté dans la mare, rend ses eaux agitées, troubles, boueuses. Il accuse. Devenant alors l’un de ces pavés qu’on lance d’une barricade afin de dénoncer l’injustice et l’inhumanité d’un régime politique. Il est un adage qui dit que l’on fait du mal à ceux que l’on aime. On oublie de préciser qu’on aime souvent ceux qui nous font du mal. L’histoire de cette passion amoureuse que nous conte Dame Sylvie en est la preuve. Antonio, cet artiste séduisant, talentueux, en avance sur son temps, cet homme droit et juste va être fauché, détruit, laminé en raison de l’amour passionné que Frei Sebastião, prêtre dominicain, inquisiteur du Saint-Office et peintre, lui porte. Et cet amour est partagé. Et voilà que surgit un autre thème. Un thème dérangeant qui pose question : La rédemption. Quel prix un homme doit-il payer pour parvenir à se racheter des horreurs qu’il a pu commettre ? Un monstre a-t-il droit au pardon ? Kundera avance que vivre dans un monde où nul n’est pardonné, ou la rédemption est refusée, c’est comme vivre un enfer… Eh bien, dans la presque totalité de ce livre, cette terrible interrogation demeure ancrée chez le lecteur… Frei Sebastião, ce prêtre, croyant, intelligent, talentueux, instruit, amoureux, passionné… Dois-je le détester pour ce qu’il fut ou ai-je le droit de lui pardonner pour finalement parvenir à l’aimer ? Ou mérite-t-il son enfer éternel ? Est-ce un fanatique ? Un homme qui se trompe, un faible, une victime qui s’est fourvoyée, qu’il s’est laissé entraîner ? Ou bien est-ce tout simplement un lâche ? Un type prêt à tout et même au pire pour parvenir à posséder ce qu’il convoite ? Pour résumer, ce roman est aussi un recueil historique, riche d’arguments, de références, de commentaires, de citations. Il est l’œuvre d’une historienne maîtrisant parfaitement son sujet.
Publié le 02 Juin 2023

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