Interview
Le 25 nov 2015

Peut-on protéger le titre de son livre ? Et comment ?

Protection-titre-droit-d-auteur-sandrine-bouvier-ravon-avocate-propriete-intellectuelle« Le titre d’une œuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’œuvre elle-même »

Le titre d’un livre c’est comme le prénom de son enfant, si personnel, si difficile à décider. C’est aussi comme un sésame ouvre-toi contenant toutes les promesses de richesse à découvrir. Certains titres font même jaillir immédiatement le nom de l’auteur tant ils ont marqué ses lecteurs. Le pouvoir d’un titre est tel que le droit considère qu’il peut être dissocié du contenu et protégé en tant que tel. Comment ? Dans quelles conditions ? Sandrine Bouvier Ravon, avocate spécialiste du droit de la propriété intellectuelle du cabinet Cousin & Associés, nous éclaire.

Question: 

Sandrine Bouvier Ravon est avocate au barreau de Paris depuis plus de vingt cinq ans. Spécialiste du droit de la propriété intellectuelle, elle traite notamment de questions liées au droit d’auteur. Ses clients dans ce domaine sont des éditeurs, des auteurs, des producteurs, des designers… Elle anime parallèlement depuis 5 ans la commission de travail « Droit d’auteur et Publicité » de l’Association des Praticiens du Droit des Marques et des Modèles (APRAM).

 

Peut-on protéger le titre de son live ?

Réponse: 

Oui, le titre d’un livre est protégeable par le droit d’auteur. Mais il y a une condition : il doit présenter un caractère original. La loi dit exactement : « Le titre d’une œuvre de l’esprit dès lors qu’il présente un caractère original est protégé comme l’œuvre elle-même » (article L.112-4, alinéa 1er du Code de la Propriété Intellectuelle).
Deux questions se posent alors. Comment apprécier l’originalité d’un titre de livre ? Et faut-il déposer son titre pour qu’il soit protégeable par le droit d’auteur ?

Question: 

Alors tout d’abord, si tout est question d’originalité, comment apprécier l’originalité du titre d’un livre ?

Réponse: 

La question est bien délicate. Comment considérer qu’un titre, qui peut n’être qu’un mot ou un groupe de mots, est original ?
Les Tribunaux estiment qu’une œuvre de l’esprit n’est originale que si elle porte « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ». Un critère bien difficile à manier pour les titres ! Mais la jurisprudence peut donner quelques repères.
De nombreux titres ont été jugés originaux pour des raisons différentes : L’empreinte de l’ange, en ce que ce titre recourt à une métaphore, Tarzan ou Clochemerle qui sont des créations de toutes pièces, L’affreux Jojo ou Le livre des je t’aime, reconnus originaux du fait de la juxtaposition insolite des termes.
En revanche, les tribunaux ont considéré que des titres comme Parlez-moi d’amour, Les Dames du Lac, Angélique -ainsi que les titres constitués de prénoms usuels tels que Louise ou Manon- sont dépourvus d’originalité.

Question: 

Faut-il déposer son titre pour qu’il soit protégeable par le droit d’auteur ?

Réponse: 

Non, c’est inutile. Mais, en cas de litige, la question de la preuve des droits de l’auteur sur le titre peut se poser.
Il peut y avoir plusieurs manières de prouver son droit d’auteur.
Lorsque l’auteur du livre a déjà signé un contrat d’édition, l’éditeur se charge parfois de faire une « retenue de titre ». La liste est publiée chaque semaine par Livres Hebdo et les titres ainsi « retenus » depuis 2006 sont accessibles sur leur site Internet. La preuve des droits de l’auteur sera ainsi facilitée.
La publication du livre est la meilleure des preuves des droits de l’auteur. Mais elle ne permet de faire remonter la preuve qu’à la date de la publication, et non à la véritable date de la création.
Avant la signature d’un contrat d’édition, ou avant la publication par un éditeur, il peut être intéressant d’envoyer à la Société des Gens de Lettres (SGDL) le manuscrit (avec le titre en page de garde), qui en assurera un dépôt pour quatre ans et confèrera une preuve en cas de litige.
On peut aussi placer un résumé du manuscrit contenant le titre dans une enveloppe Soleau à l’INPI, ou déposer le manuscrit chez un huissier ou un notaire.
On peut également décider de déposer un titre de livre comme marque à l’INPI. En général, le contrat d’édition laisse cette prérogative à l’éditeur, qui ne procèdera à un tel dépôt que s’il estime que le succès qui peut être attaché à un livre le justifie, par exemple s’il pense que l’exploitation de droits dérivés est prometteuse. Ce sera notamment le cas pour les titres de bandes dessinées les plus célèbres, ou même pour le nom de leurs personnages.

Question: 

Dans le cas d'un titre qui ne peut être protégé, quels sont les recours lorsqu’on juge qu’il y a plagiat lors de la sortie d’un livre au titre identique ou proche ?

Réponse: 

Tout d’abord, je dois préciser que, du point de vue de la syntaxe, le mot « plagiat » n’a aucune signification en droit de la propriété intellectuelle ; il ne fait pas partie du Code de la Propriété Intellectuelle. Nous parlerons donc plutôt d’« atteinte aux droits » ou de « contrefaçon ».
Si le titre n’est pas original et ne peut donc pas être protégé par le droit d’auteur, le Code de la Propriété Intellectuelle offre néanmoins une autre possibilité fondée sur le droit de la concurrence déloyale.
Selon l’article L.112-4 alinéa 2 du Code de la Propriété Intellectuelle, un titre, même non original, ne peut être utilisé sans autorisation « pour individualiser une œuvre du même genre dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion ».
En effet, un titre, même banal, peut néanmoins avoir un fort pouvoir d’attraction. Pour reprendre l’exemple d’Angélique qui a été jugé comme n’étant pas original, en revanche, un tiers ne pourrait reprendre le prénom de la fameuse Marquise des Anges pour en faire le titre de son livre, sous peine risque de confusion.
Cette disposition a permis de sanctionner la reprise de titres identiques à des titres antérieurs tels que J’attends un enfant et J’élève mon enfant.

Question: 

Comment est apprécié ce « risque de confusion » ?

Réponse: 

La question, plus délicate, de savoir s’il y a atteinte lorsque les titres ne sont pas identiques mais simplement similaires, dépend en effet de l’appréciation du risque de confusion.
Le risque de confusion nécessite que les titres en cause se trouvent dans un rapport de concurrence. Ils doivent individualiser aux yeux du public les œuvres en cause, par exemple grâce à leur notoriété. Il doit y avoir une exploitation effective des œuvres sur le territoire français.
Ainsi, un livre qui n’a pas encore été édité, ou qui serait épuisé depuis longtemps, ou qui n’a connu aucun succès, ne pourrait pas revendiquer la protection du deuxième alinéa de l’article L.112-4.

Question: 

Pour résumer, peut-on dire que réutiliser le titre -original ou non- d’un ouvrage déjà paru, présente toujours des risques de poursuite par l’auteur initial ou ses ayants-droit ?

Réponse: 

Oui, l’auteur initial peut invoquer le droit d’auteur si son titre est original, pour empêcher le second livre d’être diffusé sous le même titre, en invoquant le premier alinéa de l’article L.112-4 cité ci-dessus.
Et comme on vient de le voir, si le titre n’est pas original, il peut invoquer les dispositions de l’article L.112-4 alinéa 2, s’il existe un « risque de confusion », comme indiqué ci-dessus. C’est comme cela que le célèbre J’élève mon enfant de Laurence Pernoud par exemple n’a pu être réutilisé.

Question: 

Y-a-t-il une durée de protection d’un titre ou tombe-t-il dans le domaine public au bout d’un certain temps ?

Réponse: 

Lorsque le titre est original et qu’il est protégeable par le droit d’auteur, le titre tombe dans le domaine public en même temps que l’œuvre, à savoir 70 ans après le décès de son auteur.
En revanche, et même lorsqu’il est déjà tombé dans le domaine public, le titre peut encore être protégé par le second alinéa de l’article L.112-4 cité ci-dessus, à condition toutefois qu’il soit encore édité et connu du public et qu’il existe ce fameux « risque de confusion ».

Question: 

Est-ce qu’on pourrait titrer aujourd’hui un livre À la recherche du temps retrouvé ? 50 nuances de bleu ? Mon Petit Prince ? Les gens malheureux ne lisent pas et ne boivent pas de café ? La liste de mes dégoûts ? La dernière gorgée de bière ?...

Réponse: 

Tous ces titres posent de délicates questions dans la mesure où ils font clairement référence à des titres de livres très connus. À ce titre, ils peuvent être interdits sous l’angle de la concurrence déloyale au sens de l’alinéa 2 de l’article L.112-4.

Ce sera le cas des titres de livres récents mais également de titres de livres qui sont tombés dans le domaine public. Néanmoins, encore faut-il que l’auteur du titre initial prouve l’existence d’un risque de confusion, et il pourrait être imaginé de soutenir que la notoriété du titre d’origine exclut le risque de confusion.

Sous l’angle du droit d’auteur, on peut se demander si ces titres ne pourraient pas être considérés comme des « parodies ».
Le Code de la Propriété Intellectuelle autorise les parodies « sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source », la parodie étant néanmoins entendue restrictivement.
À mon avis, les titres de livre cités ci-dessus ne pourraient être acceptés qu’à la condition que l’œuvre qu’ils identifient soit toute entière une parodie de l’œuvre notoire dont elle s’inspire. Le but de la parodie est de faire rire ou sourire sans chercher à nuire à l’auteur de l’œuvre d’origine. C’est donc uniquement l’intention humoristique qui permet à la parodie d’échapper au droit d’auteur.
Il faut donc veiller à ce qu’il n’y ait aucune confusion avec les œuvres originales, qu’il existe une réelle intention humoristique et qu’il ne comporte aucune intention de nuire aux œuvres originales.

Par ailleurs et même s’il n’existe pas de risque de confusion -par exemple, entre À la recherche du temps perdu et À la recherche du temps retrouvé- le parasitisme peut permettre de sanctionner une référence injustifiée à la notoriété d’une œuvre d’origine. La prudence est donc recommandée, lorsqu’on veut utiliser un titre faisant référence à une œuvre très connue...

Néanmoins, un arrêt récent de la Cour d’Appel de Paris (du 2 avril 2014) a estimé qu’il n’existait pas de risque de confusion entre le livre dénommé Le décodeur de Cinquante nuances de Grey, et le roman 50 nuances de Grey, car la forme d’abécédaire de ce premier, son format et son illustration de couverture permettaient de distinguer les deux ouvrages…, mais surtout, le premier était un commentaire du roman, pour lequel il est usuel « que les libraires et les distributeurs les associent », et enfin, ce commentaire ou analyse « contribue également à la renommée de l’œuvre première »… La cour semble ainsi privilégier le droit à la liberté d’expression, sur la concurrence déloyale.

Auteurs, on ne saurait néanmoins trop vous conseiller de faire au minimum une recherche d’antériorité sur Google pour vérifier que le titre que vous avez choisi pour votre livre n’a pas déjà fait l’objet d’une publication. Et ainsi de pouvoir évaluer les risques de reprise.

Propos recueillis par Isabelle de Gueltzl

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Article très intéressant et très clair.
On vois bien l'impossibilité de donner à un ouvrage un titre déjà existant ou susceptible de créer une confusion avec ce dernier.
De mon côté, j'ai écrit des textes qui sont uniquement composés de titres de livres publiés plus ou moins récemment et cet exercice de style ne peut à mon avis constituer une concurrence déloyale à l'égard d'un autre auteur. Cependant, aucune des exceptions prévue par les dispositions de l'article L122-5 du code de la propriété intellectuelle ne semble applicable à cette situation. Suis-je donc dans l'impossibilité de publier ces textes ?
Merci pour votre éclairage.

Publié le 14 Mai 2021
Excellent article Maître ! La problématique juridique en droit d'auteur se situe sur le terrain probatoire. De manière générale, la propriété littéraire et artiste souffre d'un écueil évident : l'absence de dépôt légal. L'enveloppe Soleau, quant à elle, n'est plus adaptée aux usages numériques d'aujourd'hui. C'est pour cela que des sociétés comme MaPreuve (www.mapreuve.com) existent. MaPreuve donne la possibilité à toute personne physique ou morale de protéger leur fichier numérique en quelques clics. Il s'agit de preuves d'intégrité et d'antériorité sur toute création et notamment sur des œuvres littéraires. La preuve est rendue possible par horodatage normée et signature électronique sécurisée (effectuée par un tiers de confiance de l'Etat). Je suis intimement convaincu qu'en tant qu'auteur, il est évident qu'il faut se ménager une preuve d'antériorité et d'intégrité sur l'oeuvre créée.
Publié le 04 Décembre 2015
@Patrick Moindrault : attention, si le titre est protégeable par le droit d'auteur (donc s'il est "original" ....ce qui est très subjectif ...) alors peu importe le registre. Sinon, il faut apprécier le risque de confusion : s'il y a beaucoup d'œuvres utilisant "la nuit américaine" il y aura d'autant moins de risque de confusions. Mais attention toujours au parasitisme (= tirer indument profit de la notoriété d'un tiers) ... @Robert Dorazi : avant, tout était plus compliqué ! les éditeurs avaient accès au "dépôt légal", sinon, il fallait traîner dans les bibliothèques pour chercher ...
Publié le 30 Novembre 2015
Donc je ne pourrai pas intituler mon prochain roman : Harry Potter fait l'ecole buissonniere! Dommage, sur un malentendu j'aurai pu en vendre quelques millions avant qu'on s'apercoive que ca ne parlait pas du tout de sorciers.... ;)
Publié le 27 Novembre 2015
Aujourd'hui Google peut permettre de se rendre compte si un titre a deja ete utilise ou non, mais il y a 10-15 ans ce n'etait pas le cas. Des lors comment les ecrivains pouvaient-ils eviter des titres similaires?
Publié le 25 Novembre 2015