Interview
Du 29 avr 2020
au 29 avr 2020

Silence, partout, le silence.

La mort d'une brebis fait place au silence. Peut être, pour une bande d'enfants, le passage à l'adolescence, au monde adulte, tout simplement. Un texte de Marie Berchoud, presque symbolique pour l'appel à l'écriture monBestSeller.com : Écoutez le silence
© photo Marie Berchoud© photo Marie Berchoud

Quand le silence est celui de la mort : un souvenir d’enfance

Cinq heures, premier village au sortir de l’alpage. Enfants tôt debout, émerveillés, accrochés aux balcons et aux murs. Parents qui chuchotent, Ils vont se rendormir, chut ! Chaque clan parle de l’autre. Se rendormir – pas question.  Ils arrivent, les voilà ! Houle de blanc et noir, énergie lente et sûre, sang dans nos veines, ils descendent, les voilà. Et eux, bergers fabuleux, hirsutes sous leur chapeau de feutre, certains vieux, d’autres presque enfants. Et si, et si, nous, moi…  aussi ?    

Transhumance estivale. Je parle ici des moutons, les vrais.  Éveil de gorge, cri du berger au plus cru de la nuit, où le voisin, bête ou homme, n’existe que par sa masse et ses yeux, Evohè, allez-hé-hé ! Descente de l’alpage, bâton de cornouiller, musette au flanc, museau à cul, les chiens entre l’arrière et les marges. Viornes et horties, cailloux, chemin, le suivre, éviter les pierriers, viser plus bas les sapins muets.  

Dernière transhumance, de mémoire, le berger frappe à notre porte. Une brebis est malade, peut-il la laisser pâturer vingt-quatre heures dans notre verger ? Bien sûr. Il reviendra demain, après avoir conduit l’ensemble du troupeau là où il doit.

La journée passe, nous veillons le mouton couché sur le flanc – pardon, il a dit la brebis, ça doit être une dame. Regard doux. Tristesse de la séparation ? Elle va mourir, disent les adultes, on les entend, ils disent n’importe quoi, c’est couru.  Chut ! Veillons, empêchons la mort ! Repas promis à punitions, nous nous relayons auprès de l’animal sous des motifs tordus, un arc oublié, une chaussette perdue, le panier de fruits resté au lavoir, là-bas. La brebis nous dit des choses, du vrai, à chacun de nous, écoutez, on écoute.

Le sommeil nous cueille, et la nuit qui tombe, tardive tandis que se voile aussi le regard, les yeux opacifiés de la brebis. Passera pas la nuit. Un enfant hurle, peut-être moi. Entrera avec elle dans l’éternité, corrige papa.

Au matin, foin d’équarrisseur, il va falloir l’enterrer, dit le berger. Il manie la pelle avec d’autres, nous aidons à l’essentiel : la cérémonie, aller voler des cierges.  Les églises ne sont pas encore fermées à cette époque. 

Passent les années. Fini, les vacances avec les parents, au lieu des familles, le sang dans nos veines crie Allez, vivez, dansez, découvrez ! Copains, voitures de fortune, avions, stop, autres troupeaux, steppes et villes antiques. Couleurs, tissus, nuits chatoyantes, rêves.

Nous venons de prendre à notre tour la route du mouton mort. Silence, partout, le silence. Quand mon temps sera venu, je voudrais mourir debout, tout pareil, en route. Et en silence.

Marie Berchoud (Collectif 15)

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@lamish, Bah, ça fait rien. Je me prépare à publier un roman, et j'ai pas bien l'habitude, donc... je tâtonne, et regarde par ci par là.... Bonne soirée.

Publié le 25 Juillet 2021

@lamish, Je suis larguée... qu'est-ce que cette affaire de lettre de l'alphabet perdue ?? S, ss ???

Publié le 25 Juillet 2021

@marie berchoud
C'est un texte magnifique que j'ai lu et relu.Souvenir d'enfance dites vous? Mais ce sont les souvenirs qui nous font ce que nous sommes et vous le dites si bien. Il y a de la puissance, de la délicatesse et tellement d'émotion dans vos mots. Merci, merci beaucoup

Publié le 09 Mai 2020