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Du 13 oct 2022
au 13 oct 2023

« À son réveil, rien n’avait changé » Philippe De Vos - Un destin

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Après une saison de pluie, le soleil s’invite brutalement. Dès l’aube, la nature se métamorphose. La grisaille d’hier, la végétation en berne, les pull-overs et les cols roulés tombent dans l’oubli. Ce matin, rien ne semble pareil.

Nathan pointe son nez à la fenêtre, puis regarde l’éphéméride : 3 mai !

Au pied d’un chêne, un hérisson frétille sous les feuilles d’automne où il s’est blotti vers octobre. Il hume l’air, scrute l’horizon et s’éveille à une nouvelle vie.

Nathan ouvre sa fenêtre et hume, à son tour, l’air. Des senteurs fraîches et mémorielles viennent chatouiller ses narines. Son hibernation prend fin. Les longues journées mornes à végéter, à traîner son corps du lit à l’ordinateur, sans exaltation, se sont dissipées. Chapitre clos !

Les années de Nathan sont réglées comme une horloge suisse. D’octobre à avril, il fait le hérisson. Aux premières senteurs de mai, il sort de sa léthargie pour vivre intensément ses aventures extraordinaires qui l’accompagneront jusqu’aux derniers jours de septembre. Des aventures inouïes, d’une variété aussi étendue que la gamme de couleurs qui lui saute aux yeux ce matin : jasmins, tulipes, roses, lilas, jonquilles explosent leurs coloris à perte de vue, de jardin en jardin.

Les aventures de Nathan résonnent aux noms d’Arsène Lupin, Edmond Dantès, Lucien de Rubempré, Nestor Burma, Dom Quichotte, Ulysse, Jean Valjean, Julien Sorel… Avec eux, il voyage à travers les siècles, traverse les océans, brave la mort, tombe amoureux, vit de frissons et de passion. 

 

La maison de Nathan est haute et étroite. Au-dessus du deuxième étage, le grenier est devenu son antre secret. C’est là qu’il érige ses piles de livres, hautes et fébriles. Chaque pile ressemble à la tour d’une cité et entre ces tours, Nathan déambule dans des rues imaginaires. Sa quête est celle de la perle rare. Pas celle de Steinbeck relue bien des fois. Non, celle qu’il cherche est d’une tout autre espèce. Elle ne se monte ni en bague ni en collier. C’est la quête du chef-d’œuvre absolu : LE LIVRE ! LE ROMAN ! Celui qui devra hanter sa mémoire jusqu’à la fin de ses jours, quitte à effacer tous les autres. Les autres auront le destin d’une flamme, celle qui éclaire de manière éphémère, la flamme qui jaillit, se dandine, se pâme et s’éteint naturellement.

Nathan a passé l’hiver à empiler des livres comme certains entassent les souvenirs. Ceux-là vivent dans le passé, lui se forge un avenir radieux. Que d’aventures à venir dans ces « tours » ! Ainsi, d’octobre à avril, il navigue sur les pages des librairies en ligne. Il recherche ses futures lectures et lorsqu’il a un coup de cœur, il commande et se met à guetter avec impatience le passage du « livreur ». Mais d’octobre à avril, Nathan ne fait rien d’autre qu’empiler ces livres les uns sur les autres. Il fabrique de nouvelles tours et ces tours créent de nouvelles rues qu’il baptise « 120 rue de la gare », « Rue des boutiques obscures », « Rue Morgue », « 36 quai des Orfèvres »…

Ce matin, Nathan s’arrête Rue de la sardine. La tour lui arrive à hauteur de hanche et ne doit son équilibre que par un astucieux enchevêtrement dont il détient le secret. Tout en haut, vers décembre, il a positionné l’ultime étage : un « poche » dont la couverture représente un ciel orageux sur un paysage sauvage. L’ensemble baigne dans des coloris de vert sombre presque inquiétants.

D’emblée, Nathan a aimé cette couverture qui semble correspondre aux caractères ombrageux et secrets des personnages. De la passion, des drames se cachent dans ces pages. Longtemps il a hésité à acheter ce livre. Il ne se sentait pas digne de le lire. Étrange comme la lecture d’un roman peut l’intimider. Le roman se donne à ceux qui le méritent. Mais un peu avant Noël, il s’est senti enfin prêt. Au printemps, le roman lui livrera ses mystères.

Il a donc installé ce dernier étage de la tour et ce matin l’envie irrésistible de l’explorer le saisit à la gorge. Aussi il déploie sur sa terrasse un parasol et se verse une tasse de café, étale son corps sur une chaise longue, et enfin commence le voyage.

L’incipit l’attrape de suite. Il est vif, violent, il est source d’une histoire triste et captivante. Tout y est ! Ou presque. Même le mystère ! Que cachent les termes « inquiéter », « merveilleux », « agitation », « misanthrope » ? Autant d’informations en si peu de mots !

Alors, Nathan se cale un peu mieux dans sa chaise longue. Le voyage va durer 420 pages. Nathan est un lecteur lent. Ce n’est pas un petit voyage et même Nathan aime traîner des pieds. Un livre ne s’avale pas, il se déguste. Il lui arrive souvent de relire un passage afin d’en savourer les sucs. Ainsi, le voyage ne se détermine pas en pages, mais en heures. Probablement une douzaine d’heures, sans compter les pauses, ses allées et venues à réfléchir, à endosser la peau du personnage auquel il s’identifie. À maudire ses adversaires, ses ennemis.
À aimer ses femmes ! À souffrir avec lui. À douter comme lui. À espérer un signe du ciel.
À craindre la fin de l’histoire. À craindre la mort. Car la tragédie est inéluctable.

Sentant arriver cette mort, Nathan freine sa lecture, résiste à la tentation de se transporter à la dernière page de suite… pour savoir. Il retient le temps, implore l’indulgence de l’auteur.

Mais Nathan le sait ! Si l’auteur a fait son œuvre, il n’y a qu’une seule issue à ce funeste sort : la mort. Encore elle, la garce !

Alors que la nuit s’invite et que le printemps lui donne rendez-vous au lendemain, Nathan ferme son livre. Une larme coule le long de sa joue. Il remise le livre au côté de ses autres destins et s’en va se coucher. Mort du héros !

 

Le matin suivant, alors qu’elle s’éveille à la douce lueur du jour, Maude se glisse hors de son lit. Trois jours de repos ! Que faire ?

Elle s’attarde un long moment à la salle de bains, lit quelques messages sur son téléphone portable et boit son café lentement. Puis un livre qui traîne là depuis quelque temps attire son regard. C’est un « poche » à la couverture illustrée d’un ciel orageux sur un paysage sauvage. L’ensemble baigne dans des coloris de vert sombre presque inquiétants…

 

Ce matin, au réveil de leur nouvelle lectrice, rien n’a changé pour Heathcliff, Catherine et Hindley. Ils s’apprêtent à revivre les mêmes drames.

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Publié le 11 Décembre 2023