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Le 28 nov 2023

Tribunes mBS - "SCA : le seuil de crédibilité acceptable" par Med Ærik ANTALL

L’écrivain de fiction ne dit jamais toute la vérité. Impossible de se conformer stricto sensu à la véracité absolue de certains faits, lieux, personnages ou institutions. Au-delà des événements historiques avérés, dont l’existence concrète ne souffre aucune contestation possible, il existe dans la crédibilité d’une intrigue fictionnelle un seuil de tolérance que nous, lecteurs, sommes prêts à accepter. Qui fait partie du contrat passé avec l’auteur. Encore faut-il que ce dernier place judicieusement ses curseurs afin que l’on n’ait pas la sensation d’être pris pour des imbéciles.
Tribune mBS de Med Ærik ANTALL : le seuil de crédibilité acceptable

Si l’on écrit un témoignage, on se doit de respecter la stricte réalité des faits que l’on relate. Réalité chronologique, géographique, historique, liens de parenté ou d’alliance, de subordination, de collaboration, de procédures ou de communauté d’intérêts. Il s’est passé ça, tel jour à tel endroit, M. Machin et Mme Bidule habitaient dans telle rue, et ainsi de suite. Bref, le témoignage retranscrit les choses pour expliquer ce qu’elles ont été, un peu à la manière d’un journaliste, d’un historien, ou d’un témoin oculaire interrogé par la police sous la lampe d’un bureau insalubre. Il va de soi que, dès lors, toute erreur compromettrait à la fois la compréhension du lecteur et notre propre éthique d’auteur.

Il n’en va pas de même pour l’écrivain de fiction, lequel n’a aucune éthique, aucun scrupule à tricher, mentir et travestir les choses dans son propre intérêt. Une ordure de première. Mais le pire, c’est que ça fonctionne. Ça fonctionne parce que sa posture relève d’une incroyable assurance. Résultat : même si personne n’est dupe, le lecteur n’a jamais besoin de se demander : comment faire avec cette « mauvaise foi » qui le caractérise ?

Quand je construis une histoire, je vérifie tout, absolument tout : les dates, les lieux, les événements, et cela, même si je ne les utilise pas ensuite ! Avec la minutie d’un horloger, il me faut asseoir mon intrigue sur des fondations solides, c’est-à-dire cohérentes. Au cas où un spécialiste tomberait dessus.

Eh bien, la voilà la véritable raison de cette minutie : le jugement du lecteur.

En clair, je n’ai pas envie de perdre la face, de passer pour un tocard, menteur, tricheur et manipulateur. Ce que je suis, manifestement.

Vous me direz, c’est normal, j’écris du polar, pas du fantastique. Détrompez-vous, le seuil de crédibilité acceptable s’applique tout particulièrement aux auteurs de fantasy. Kevin Lambert, finaliste du prix Médicis 2023, a demandé à une relectrice canado-haïtienne de vérifier la crédibilité de son personnage d’origine haïtienne.

Pierre Lemaitre ou Olivier Norek passent des mois en immersion totale dans les pays ou les villes qui seront au cœur de leur prochain livre.

La documentation assoit la véracité du contexte fictionnel. C’est pourquoi elle est une figure imposée de tout écrivain qui non seulement se respecte lui-même, mais qui respecte ses lecteurs ; elle fait partie intégrante de cette démarche. Cependant, il y a autre chose.

Suspension consentie de l’incrédulité

Connaissez-vous l’expression "suspension consentie de l’incrédulité" (de l’anglais willing suspension of disbelief) ?

Sans elle, un livre, ce ne sont que des mots sur des pages, et certainement pas une aventure qui peut nous émouvoir. Sans elle, quand un ourson vous vend un adoucissant dans une pub à la télévision, tout ce que vous vous dites, c’est « Pourquoi croire le moindre mot de cette publicité alors que je sais pertinemment que les ours en peluche ne savent pas parler, et encore moins faire la lessive ? »

Wikipédia décrit la suspension consentie de l’incrédulité comme "l’opération mentale effectuée par le lecteur ou le spectateur d’une œuvre de fiction qui accepte, le temps de la consultation de l’œuvre, de mettre de côté son scepticisme". Ce concept a été nommé en 1817 dans un texte de Samuel Coleridge.

Ici, la suspension de l’incrédulité prend soudain un sens précis : la fiction est une dimension à laquelle nous accédons en permanence, à travers la littérature, le cinéma, mais aussi toutes les formes de communication, y compris les panneaux routiers qui contiennent un fragment élémentaire de fiction. Sans elle, une bonne partie du réel nous est incompréhensible.

En narratologie, on l’appelle plus souvent "suspension volontaire de l’incrédulité". Volontaire, parce que le lecteur accepte de jouer le jeu !

Il se dit inconsciemment : "D’accord, je sais qu’en me lançant dans cette aventure, il y aura des moments où je vais hausser les sourcils, mais j’ai trop envie de me laisser embarquer". Tout ce que le lecteur espère, c’est que l’auteur aura du culot sans pour autant exagérer, car cela briserait net la confiance placée en son talent de conteur.

Coleridge suggère que si un auteur réussit à insuffler quelque vraisemblance dans un récit fantastique (par définition imaginaire), le lecteur suspendra son jugement à propos de la logique absolue d’une telle narration et passera outre sans s’offusquer. La suspension consentie d’incrédulité est tout particulièrement importante dans le cadre de fictions d’action, de comédie, de fantastique et d’horreur, et de toute fiction qui contient des rebondissements complexes, des effets spéciaux, mais aussi des arcs narratifs non réalistes ou des personnages peu crédibles. Héros invincible ou antagoniste super-méchant pour la plupart. Dans James Bond, par exemple, les curseurs sont un peu trop poussés.

 

Vouloir qu’une histoire reste logique avant tout, c’est interpréter à l’envers la nature même de la fiction.

Un tel concept avait d’ailleurs déjà été évoqué auparavant par Horace dans l’Ars Poetica, dans un contexte marqué par une baisse de la superstition et un scepticisme accru. Et, pour en terminer avec les références wikipédestres (wikipédantes ?), Shakespeare avait aussi mentionné cette notion dans le prologue de Henri V : « (...) nous mettions en œuvre les forces de vos imaginations. (...) Suppléez par votre pensée à nos imperfections (...) et créez une armée imaginaire (...) Car c’est votre pensée qui doit ici parer nos rois, et les transporter d’un lieu à l’autre, franchissant les temps et accumulant les actes de plusieurs années dans une heure de sablier ».

En acceptant ce contrat implicite qu’est le SCA, le lecteur accepte de vivre la fiction comme une réalité, une plongée en territoire inconnu dans laquelle il s’immergera avec d’autant plus de délectation qu’il la sait limitée dans le temps. Les bienfaits de la lecture dépendent aussi de cette expérience cognitive, tant il est vrai que certains fruits de l’imagination peuvent parfois trouver des applications dans la réalité, en dépit de l’incrédulité initiale.

 

La suspension de l’incrédulité, c’est le sens de la fiction.

Pour que l’apnée du lecteur demeure, la réalité inventée doit être très proche du monde réel. Et même si elle s’en éloigne, le défi de l’auteur consiste à faire croire que c’est possible, à les rendre lisibles ou regardables pour un œil expert. Dès lors, le lecteur, tout comme le spectateur d’un film ou d’une œuvre d’art basculé dans cette disposition mentale, sait que la réalité qu’il a devant les yeux est fictive, mais il l’acceptera temporairement pour mieux goûter le divertissement procuré. Parce qu’une histoire, à quoi ça sert ?

Depuis que nos ancêtres se sont rassemblés autour de la cheminée en se racontant des contes, la réponse est la même : le but d’une histoire est de nous divertir, de nous émouvoir, de nous éclairer sur la condition humaine et sur les relations entre les êtres. C’est vers ces objectifs que doit tendre un auteur, et toutes les autres considérations passent au second plan. La logique peut être un ingrédient important, un outil qui peut aider un auteur, mais elle peut aussi être une flingueuse d’intrigue. Du coup, la logique absolue s’efface toujours derrière les impératifs de l’histoire.

 

En littérature, la vérité logique ne répond pas aux mêmes impératifs qu’en mathématiques.

Pourquoi Superman ne balance pas tous ses ennemis dans le soleil ? Parce qu’en plus de ses pouvoirs, Superman essaie toujours d’agir avec compassion. S’il faut choisir entre perdre un peu de cohérence ou sacrifier le cœur de l’histoire, la logique passera toujours après l’émerveillement de la fiction.

Voilà ce que permet la suspension de l’incrédulité : elle ouvre un espace entre lecteurs et auteurs où la fiction peut opérer.

Ainsi, entre vraisemblance pragmatique et crédibilité, on peut raisonnablement affirmer que le principe de SCA s’applique à toutes les œuvres de fiction.

Et par extension, à toutes les œuvres d’art en général.

 

Med Ærik ANTALL

 

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27 CommentairesAjouter un commentaire

@Fanny Dumond3
Merci pour votre message qui m'a rappelé un moment intense de lecture. J'ai eu en effet la même expérience que vous avec ces trois livres.
Il y a un peu de ça aussi dans Harry Potter, même quand je le relis. Un héros invincible, qui nous sort de notre condition, tout en nous la rappelant car il a aussi ses failles (pour Harry, sa cicatrice, son lien spécial avec le mal, le fait qu'il soit orphelin, le fait qu'il ne soit pas très à l'aise avec les filles, par exemple). De même l'héroïne de Millénium est assez borderline. Elle est loin d'être douée dans tous les domaines. Donc, en effet, un héros invincible-imparfait et une intrigue qui met en jeu des forces mythiques (en gros le bien contre le mal) font passer beaucoup d'incohérences parce que le plaisir du lecteur est situé ailleurs que dans la recherche d'une conformité avec une réalité que précisément il cherche à fuir en lisant ces livres.

Publié le 05 Décembre 2023

Qui va nous offrir un somptueux article sur le réalisme magique ? A vos claviers !

Publié le 05 Décembre 2023

Pour rebondir sur le sujet de la tribune, le SCA, voici mon avis. J'"ai lu, voici quelques années, la trilogie Millénium (succès mondial) de Stieg Larsson dans laquelle son héroïne Lisbeth Salander réchappe de situations invraisemblables, peu crédibles, qui me faisaient souvent sourire, mais pas lâcher le bouquin. Elle sort toujours indemne de coups de feu, d'être enterrée vivante, etc et reprend l'enquête comme si de rien n'était alors que n'importe quel quidam serait mort ou à l'agonie. Je pense que le talent de cet auteur résidait dans le fait qu'il savait tenir son lectorat en haleine à suivre son héroïne à laquelle il s'identifie et qu'il tablait sur sa curiosité pour savoir le fin mot de l'intrigue. Quelques années après sa mort, David Lagercrantz s'est essayé à écrire le 4ᵉ épisode qui m'est vite tombé des mains. Je ne retrouvais plus l'ambiance ni le style, de Larsson, bien évidemment. Pourquoi ces écrivains rencontrent-ils un tel succès malgré les incohérences ? À mon avis, c'est parce qu'ils nous vendent du rêve, la possibilité de nous sortir de notre quotidien et du courage pour l'affronter. Ces lectures nous sortent de notre vulnérabilité, de notre condition d'humains. C'est ce que j'appelle mes lectures détente. Je ne me souviens plus de l'intrigue, mais de cette femme invincible. Un héros ne meurt pas dans l'imaginaire collectif.

Publié le 05 Décembre 2023

On peut utiliser "menteur" et "sincère" sans lien avec les notions de bien et de mal, si on veut.

Est menteur celui qui sait que ce qu'il dit est faux et essaye de le faire passer pour vrai. En ce sens, un auteur de fiction est un menteur. Et monsieur Antall, si j'ai bien compris, nous incite à bien mentir, c'est-à-dire à veiller à ce que le mensonge (le récit de fiction) soit vraisemblable, reste dans certaines limites au-delà desquelles le contrat tacite passé avec le lecteur est rompu.

Est sincère celui qui veut dire la vérité sans rien masquer et pense qu'il le fait quand il s'exprime. Un lien possible avec la littérature ? L'autobiographie : "Voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon..." (Rousseau, préambule des Confessions). En admettant que Rousseau (ou tout homme qui entreprend d'écrire son autobiographie) cherche à dire la vérité sans rien masquer, il y a donc bien un lien possible entre "sincérité" et ce genre littéraire.

Là où les choses peuvent devenir confuses (c'est une hypothèse) c'est quand un auteur (c'est son droit) présente comme une fiction un écrit qui est essentiellement autobiographique. Cet auteur peut alors affirmer qu'il a cherché à être sincère dans sa fiction. Mais c'est seulement parce que sa fiction (qui par définition est mensongère) n'en est pas une.

Publié le 05 Décembre 2023

@Zoé Florent
Alors, c'est que vous êtes plus forte que la plupart d'entre nous, et je vous félicite. Quelle terrible critique vous devez être !

Publié le 05 Décembre 2023

@Catarina Viti Amen !... N'empêche que la sincérité relève de la conscience individuelle, pas de la morale :-)... Bonne journée à toi aussi.
@ANTALL Désolée ! je ne commente..., pardon, je ne recommencerai plus ;-) !
@Eugénie Grandet Oui, oui... mais chut ;-) !

Publié le 05 Décembre 2023

Med, ça continue ! Je descends du bus à cet arrêt (au pied de la Bonne Mère).
@Zoé Florent. Mon but est simple. Utiliser des mots que tout le monde peut comprendre (à peu près comprendre). Si je parle de "qualité d'un récit", de "style", par exemple, je peux argumenter, me rapprocher d'une certaine objectivité dans laquelle le lecteur pourra se reconnaître ou trouver des arguments pour lui-même. Si je parle de "sincérité" de l'auteur, "d'écho de sa conscience", par exemple, je suis la seule à savoir ce que je veux dire, car ces termes sont par définition connotés. Ils alimentent l'irrationnel, la sentimentalité, les projections des lecteurs, avec, pour seul résultat de manipuler la communication.
Sachant que tu n'acceptes pas cette "altérité", et même que tu la nies, je m'en tiendrai là, et te souhaite une excellente journée.

Publié le 05 Décembre 2023

@Eugénie Grandet "Il y a mille et une manière de laisser croire à sa sincérité", vous apportez de l'eau à mon moulin sans le vouloir, puisqu'en tant que lectrice intuitive, et je ne suis probablement pas un cas isolé, je me laisse rarement berner... mais chut, nous sommes totalement hors-sujet !

Publié le 05 Décembre 2023

@Catarina Viti Eh bien ! N'ayant de goût que pour le dialogue (échange d'opinions pour le plaisir de la discussion), je ne vais pas te répondre point par point, encore moins éplucher tes commentaires de la même manière que toi. Je te donne cependant mon impression (perception, point de vue, sentiment) : ta réaction excessive (qui dépasse la mesure souhaitable ou permise) donne à réfléchir à deux fois avant de commenter quoi ou qui que ce soit... De là à ne plus s'y risquer, je crains qu'il n'y ait qu'un pas... Ton but ?

Publié le 05 Décembre 2023

@Zoé Florent
Je ne pense pas que la sincérité soit un critère littéraire. Pour un auteur qui maîtrise l'art de l'écriture, c'est-à-dire l'art de choisir et d'agencer les mots dans un but quel qu'il soit, il y a mille et une manière de laisser croire à sa sincérité. C'est une question de style et non pas de morale ; or, hors le style, il n'y a pas de littérature.

Publié le 05 Décembre 2023

Chère @Zoé Florent. Si si, et c’est bien pour cela que nous ne sommes jamais d’accord toi et moi. Et franchement, ce n’est pas pour le plaisir de polémiquer, car n’importe qui — n’importe quel linguiste — te le dira : sincérité (terme connoté laissé à l’appréciation de chacun) conscience individuelle (théorie largement contredite par l’évolution des neurosciences) que la morale collective (à définir, car elle varie dans l’espace temps). Ne pas masquer (verbe imprécis et sujet à caution) l’intention (concept à définir pouvant donner lieu à toute une littérature, voire plusieurs) relève de la sincérité (idem), quoi qu’elle véhicule (imprécis). Que l’intention soit noire, blanche ou en nuances de gris (terminologie fantaisiste), quand un auteur, ignorant [l’écho de sa conscience] (idem), se ment (qu’est-ce que mentir ? des volumes entiers ont été écrits à ce propos) à lui-même, il ment du même coup à ses lecteurs.
Tous n’y sont pas forcément sensibles (imprécis et aléatoire), mais je crois que cela incite à une certaine méfiance (à définir)... plus ou moins consciente ;-).
*
Et si, en plus, tout cela relève de l’inconscient, nous sommes mal partis.
De mon point de vue, et je l’écris ici pour que cela s’entende (désolée, Med), voici résumé notre point de désaccord. En tout cas, de mon côté, il n’y en a point d’autres : nous ne parlons pas la même langue. Raison pour laquelle nous n’avons pas la plus petite chance de nous entendre.

Publié le 05 Décembre 2023

Bonjour @Catarina Viti.
"On ne peut pas expliquer une chose en employant, pour la décrire, des mots qu'il faudrait définir un par un", écris-tu... Est-ce bien sérieux :-) ?
Mais tu as raison, ton avis sur la morale et la littérature (qui restent à définir) comme le mien sur la sincérité de l'auteur, en réponse au tien et ceux d'@Albert H. Laul_2 et @Antall, sont totalement hors-sujet.
Bonne journée !
Michèle

Publié le 05 Décembre 2023

@Zoé Florent. D'après moi, on ne peut pas expliquer une chose en employant, pour la décrire, des mots qu'il faudrait définir un par un, sans toutefois parvenir à un résultat probant pour ne serait-ce que deux locuteurs.
Revenons à la proposition initiale de Med Aerick : la vraisemblance d'un récit, sa qualtié. La relation lecteur/texte, et non la psychanalyse (ou plutôt la voyance) des intentions de l'auteur.
Un vieux débat sur lequel toi et moi n'avons jamais trouvé d'accord.

Publié le 05 Décembre 2023

@Catarina Viti Si je puis me permettre, Catarina (sans intention de te contrarier, juste pour le débat), il me semble que la sincérité concerne plus la conscience individuelle que la morale collective. Ne pas masquer l'intention relève de la sincérité, quoi qu'elle véhicule. Que l'intention soit noire, blanche ou en nuances de gris, quand un auteur, ignorant l'écho de sa conscience, se ment à lui-même, il ment du même coup à ses lecteurs.
Tous n'y sont pas forcément sensibles, mais je crois que cela incite à une certaine méfiance... plus ou moins consciente ;-).
Bonne soirée,
Michèle

Publié le 04 Décembre 2023

@Albert H. Laul_2. Bonsoir. Je ne suis pas sûre de vous suivre sur cette idée de sincérité. D'abord parce que la sincérité est en rapport avec la morale, et que j'ai du mal à me représenter le rôle (crucial) de la morale dans le processus de création artistique. Et, parce que, suivant les genres, cela nous conduirait dans des impasses difficilement tenables. Un livre que j'adore : "Lolita". Est-il sincère ? ou dit autrement : Nabokov était-il "sincère" en écrivant l'histoire de H.H. ? Actuellement, je relis Dostoïevski (malheur à ces lectures que nous faisons trop jeunes) : "Mémoire de la maison des morts", "les Possédés", etc. Y est-il question de sincérité ?
Vous comprenez bien que je ne cherche pas à vous donner tort pour avoir raison (je m'en tamponne les côtelettes), mais c'est une vraie question : la morale a-t-elle un rôle à jouer dans la littérature. Spontanément, je dirais que non.
En revanche, la congruence (qui n'est pas morale, mais qui mesure le rapport de concordance entre le texte et l'auteur, entre ses valeurs et son écriture) me semble fondamentale.
Voilà, voilà.

Publié le 04 Décembre 2023

Cher @ANTALL, vous n'êtes "absolument pas d'accord au sujet de la sincérité" et pourtant ce que vous écrivez, tant dans le fond que la forme, transpire la sincérité.

Vos cicatrices, la vôtre et celle de votre frère, sont sincères.

Et, entendons-nous bien, je ne parle pas de vérité. L'histoire tragique que vous racontez est peut-être inventée mais j'y crois car vos sentiments sont sincères. Et vous n'y pouvez rien ! Vos mots mêmes respirent la sincérité, suintent des sentiments réellement éprouvés. La sincérité a ceci de magique et de rassurant : elle ne peut être feinte sans se désagréger.

Et c'est la première chose, pas la seule, mais la première, que nous cherchons quand nous lisons : des sentiments réellement éprouvés, bref, de la sincérité.

Alors, oui ! le travail ! le travail ! le travail ! pour comprendre, analyser, décortiquer, expliquer, transcrire, transmettre, figer pour mieux saisir, le moindre sentiment qui nous traverse le corps et le cœur.

Sans un sentiment réellement éprouvé, aucune œuvre ne peut naître, aucune suspension consentie de l'incrédulité n'est possible.

Alors, je l'affirme, haut et fort, un roman à succès est une œuvre de sincérité.

Mais la réciproque est fausse. Toutes les œuvres de sincérité ne rencontreront pas le succès.

Et là, je vous rejoins.
Bien sincèrement,
Albert H. Laul

Publié le 04 Décembre 2023

Cher @Albert H. Laul_2 je ne suis absolument pas d'accord au sujet de la sincérité.
Un auteur peut être profondément sincère dans ses intentions et sa volonté de ne pas fourvoyer son lecteur, il peut commettre des erreurs et franchir le seuil de crédibilité en toute bonne foi.
D'abord, il y a la sincérité de l'auteur, vous avez raison, mais ensuite, il y a son travail.
À l'âge de dix ans, afin d'éviter l'humiliation d'une défaite, il m'a fallu stopper le plus sincèrement du monde le ballon de foot que mon frère s'apprêtait à pousser entre mon cartable et le poirier du jardin. Jamais je n'ai eu l'intention de lui balayer la cheville. Pourtant, après ce croc-en-jambe magistral et un vol plané digne d'un condor moldave, il s'est ouvert le crâne sur les picots acérés de la jardinière crépie. Douze points de suture. Traumatisme crânien. Mon père a gueulé. J'ai pas fait exprès. Personne ne m'a cru. C'était pourtant sincère, et ça l'est toujours.
Depuis, sa cicatrice fait craquer toutes les filles.
De rien, frérot.

Publié le 03 Décembre 2023

@Albert H. Laul_2 Que vous évoquiez la sincérité est assez rare pour être souligné.
La sincérité exclut le calcul, ce qui est rassurant par les temps qui courent.
En étant sincère, l'auteur accorde sa confiance à ses lecteurs.
Au-delà de la forme et du contenu, pour lesquels j'ai quelques exigences tout de même, j'y suis pour ma part très sensible.
Bon dimanche à tous.
Amicalement,
Michèle

Publié le 03 Décembre 2023

Merci @ANTALL pour votre chronique remarquable et digne d'un grand intérêt. (et merci @LAULAULA pour votre commentaire intéressant)

Mais je suis surpris de ne pas y lire une seule fois le mot SINCERITE.

Sincérité : Qualité d'une personne sincère, qui exprime des sentiments réellement éprouvés. Qualité d'un artiste qui s'exprime de façon sincère; caractère de l'œuvre ainsi obtenue. (CNRTL)

La cohérence ultime, c'est la sincérité.
La suspension consentie de l’incrédulité naît de la sincérité.
On croît toujours une personne sincère.

Le lecteur ressent cette sincérité à chaque mot ou il ferme le livre.

S'immerger totalement dans une époque, récolter pendant de longs jours les moindres détails d'un évènement historique, reprendre sans cesse le même vers surgi d'un sentiment, structurer son récit de la manière la plus logique possible, autant de manifestations différentes d'un même geste de l'auteur : agir en harmonie avec sa sincérité.

Seule compte la sincérité ! et . . . la loyauté à celle-ci.
Bien à vous,
Albert H. Laul

Publié le 03 Décembre 2023

@LAULAULA
Le hasard veuille que je me connecte ici le dimanche matin.
Je comprends mal votre intervention sur Wikipédia, outil intéressant (il y en a d'autres… Hérodote pour l'histoire, par exemple), et plein plein d'autres.
Mon propos était de dire que la définition de quelque chose ne peut venir de Wikipédia. Ce n'est pas un dictionnaire ni même une encyclopédie. C'est un outil avec ses erreurs. Il y en a. On peut difficilement appeler à la barre des témoins Wikipédia qui ne signe pas ses papiers, au contraire d'autres sources. ici, il est utilisé comme citation, ça me laisse bouche bée, ou presque.
Cordialement

Publié le 03 Décembre 2023

Tribune très intéressante, bravo et merci ! On pourrait modérer car effectivement nombre de parutions actuelles présentent des incohérences manifestes qui pourtant n'arrêtent pas des légions de fans, subjugués par les personnages et leurs situations. Personnellement les incohérences me stoppent net mais je ne suis pas la majorité, loin de là. En parlant de modération, @Claude H.B Wikipedia est armée de modérateurs implacables obéissant à des règles drastiques et dictatoriale. Mêle si évidemment certains semblent échapper aux filets (donateurs ?), je vois mets au défi d'arriver à publier un article sur une personne jugée trop banale ou un fait non vérifié

Publié le 03 Décembre 2023

@Zoé Florent Je bois à grandes goulées toute l'eau que vous apportez à mon moulin ;-)
Amitiés
ANTALL

Publié le 29 Novembre 2023

Bonsoir @ANTALL,
Il me semble qu’une histoire vraisemblable, mais présentant des incohérences, passera toujours moins bien qu’une histoire invraisemblable mais cohérente. Si le lecteur se prête volontiers à un scénario invraisemblable, qui lui permet de s’évader, de stimuler son imagination, il aura toutes les chances de décrocher dès que la confusion de l’auteur contrariera maladroitement cet indispensable processus d’immersion nécessaire à l’adhésion aux situations les plus improbables.
Merci pour cette tribune argumentée, fort bien rédigée au demeurant. Merci pour son agréable petite dose d’autodérision itou.
Amicalement,
Michèle

Publié le 29 Novembre 2023

@ANTALL
Pour qu’une fiction soit vraisemblable, il faut surtout que les personnages agissent en fonction de lois psychologiques qui correspondent à celles du lecteur. Dans beaucoup de récits amateurs que je parcours, les personnages semblent agir selon des lois étranges pour moi. Du coup j’ai l’impression que l’auteur fait l’économie d’une observation fine et originale de l’esprit humain pour lui substituer un stéréotype de personnage (reconnaissable par tous mais auquel on ne peut s’attacher) qui agit comme il est censé agir.

Publié le 29 Novembre 2023

Mais on passe chaque jour à se mentir à soi-même !

Publié le 29 Novembre 2023

Une tribune intéressante, même si elle enfonce quelques portes ouvertes. Comment l'éviter?
Un mot de trop, cependant : Wikipédia. Wikipédia est un outil intéressant, mais en aucun cas de référence. Qui contrôle son contenu ?

Publié le 29 Novembre 2023

Un propos plein de sens, que Marc Twain résumait par: "Contrairement à la réalité, la fiction se doit d'être plausible."

Publié le 28 Novembre 2023