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Du 29 juin 2021
au 29 juin 2021

Peut-on échapper à l’autobiographie ?

« Autobiographiques : cet emploi de l'adjectif indique assez que notre propos n'est pas d'analyser l'essence d'un genre, mais de saisir le sens d'un geste.

Geste variable en ses manifestations, parfois évident, parfois diffus, tantôt lucide, tantôt déplacé ou égaré en des domaines inattendus, en deçà de toute intention. Geste qui signe ultimement tout texte, et qui est celui par lequel s'y inscrit le sujet de l'écriture. Comme s'inscrit à son tour, en sa façon de lire, le sujet de la lecture. »

Serge Doubrosky, Autobiographiques : de Corneille à Sartre, PUF / Perspectives Critiques, 1988 ***

Comment délimiter le genre autobiographique, dans la mesure où c'est tout le temps quelqu'un qui écrit ?

Comment délimiter le genre autobiographique, dans la mesure où c'est tout le temps quelqu'un qui écrit ? Celui qui écrit, qu'est-ce qu'il met de lui, consciemment ou inconsciemment, dans le texte qu'il produit ? Untel écrit une autobiographie dans laquelle ses amis ne le reconnaissent pas. En revanche, ils disent de son dernier roman ou de sa tragédie que c'est tout lui. Quel est le critère qui distingue l'écrit autobiographique d'une fiction à la première personne ? Ne peut-on parler de soi en parlant d'un personnage de fiction ? Suffit-il, pour garantir l’authenticité autobiographique, de décréter : « c'est moi, me voilà tout entier », comme Rousseau dans cette page célèbre :

« Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi. (...) Que la trompette du Jugement dernier sonne quand elle voudra, je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : " Voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon, et s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire ; j'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être faux. Je me suis montré tel que je fus ; méprisable et vil quand je l'ai été, bon, généreux, sublime, quand je l'ai été : j'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même. (...)" »

Rousseau s'amusait sans doute en écrivant ces mots. Le meilleur juge de la sincérité, s'il en fallait un, ne serait évidemment pas soi-même. La sincérité ne peut être un critère de l'autobiographie, puisqu'elle est invérifiable.

Une autobiographie, c'est un récit à la première personne dans lequel l'auteur déclare raconter sa vie

Je me contenterai donc d'une définition minimaliste : une autobiographie, c'est un récit à la première personne dans lequel l'auteur déclare raconter sa vie. On voit, à partir de cette définition, comment les frontières de ce genre sont poreuses avec cet autre genre qu'est le roman, qui, à mon avis, l'englobe. Dans le roman, comme dans l'autobiographie, un auteur raconte une histoire à l'aide d'un récit. Dans les deux cas, il est tout à fait impossible de discerner ce qui, dans l'histoire racontée, est inspirée de la vie de l'auteur ou non.

Mais surtout : l'histoire (le fond) ne précède pas le récit (la forme). C'est le récit qui donne sa forme à l'histoire ; on ne connaît l’histoire qu’à travers son récit. Il y a donc, dans tous les cas, quels que soient les faits qui ont inspiré l'auteur, un travail d'écriture, une construction, un art (artificiel),

une composition, une organisation, un tri, des choix, des perspectives, etc. qui font que l'oeuvre d'art est toujours une fiction, même si son sujet est censé être le Moi.

Une fiction, donc. Non pas parce que l’histoire serait inventée (l'invention est un concept aussi difficile à cerner que la sincérité). Mais parce que, inspirée ou non de faits réels, l’histoire est toujours une présentation : quelque chose qui prend forme au moment où un lecteur découvre le récit. J’ai utilisé présentation plutôt que représentation, car représentation (du réel) suppose une antériorité du réel sur la fiction. Il y aurait des faits qui se seraient produits dans la réalité et on les rendrait présents (re-présenteraient) par le récit. Or, comme je l’ai dit plus haut, les faits ne précédent pas le récit mais, en quelque sorte, sont créés par le récit.

D'où ce qu'on appelle « le style ». Le style, c'est la signature d'un écrivain, ce à quoi on le reconnaît, même s'il raconte une histoire qui a déjà été racontée mille fois avant lui. Mais lui la raconte d'une façon unique, reconnaissable entre toutes. Peut-être, au fond, le style est-il ce qu'il y a de plus autobiographique chez un écrivain ? Beaucoup plus autobiographique, en tout cas, qu'une histoire censée avoir pour sujet sa vie, mais qui pourrait être celle d'un autre.

***

Peut-on échapper à l’autobiographie ?

Après cette longue introduction, il est temps que je réponde à la question posée dans le titre de cet article : peut-on échapper à l’autobiographie ?

De tout ce que j’ai écrit plus haut découle ma réponse : non, on ne peut pas complètement. L'historien, le biographe, le critique littéraire disent aussi quelque chose d'eux. Certes, ils travaillent à partir de documents. Mais ces documents, ils les interprètent, ils les choisissent, comme ils ont choisi de travailler sur tel auteur ou telle période. À travers chaque texte, même le plus impersonnel, l'auteur se dit, qu'il le sache ou non. Le geste autobiographique, celui de tout auteur, comme celui de tout lecteur qui comprend ce qu'il veut bien comprendre, dépasse le projet autobiographique. Ce n'est pas parce que l'auteur dit « j'y suis » qu'il y est. Et inversement. Le « je » se niche là où il veut, partout, et de préférence à l'insu de celui qui s'en prétend le maître.

Il existe pourtant un moyen, si l’on y tient, d’y échapper : c’est la parodie. En imitant un autre auteur, ou en s’inscrivant délibérément dans un genre dont on épouse les codes, on a davantage de chances de passer inaperçu.

Le problème, et je finirai là-dessus, c’est que beaucoup d’auteurs font de la parodie sans le savoir. Dans ce cas, pardonnez-moi d’être désagréable, mais ça ne s’appelle plus de la parodie. À mon avis, cela s’appelle de la mauvaise littérature.

Blanchet Rachid* * Blanchet Rachid est l’auteur de Confession de Rachid Blanchet, en ligne sur mBF

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L'autobiographie, jamais l'écrivain ne pourra y est échapper. Tant que ses écris sont le fruit de son propre imagination, sa personne voire sa personnalité sur développée ou sous développée reviens à lui. Sauf si des témoignages approuvent ses dires, son vécus.
La se situe la réalité non la fiction.

Publié le 21 Juillet 2022

Enfin logiquement, un évènement est forcément antérieur ? @Blanchet Rachid
Donc, pour moi, les faits précédent le récit...
Pour preuve, c'est l'évènement qui provoque l'écrit (voir un film catastrophe ...)
J'ai écris une autobiographie et j'ai utilisé la dérision, parodié volontairement, mais même ainsi, elle est réelle dans le cerveau du gamin. (sic, exemple)
Il reste encore les proportions certes, mais cela est secondaire puisque le sens n'en est pas effacé, à fortiori le fond est toujours présent.
.
C'est le lecteur par ses traductions littéraires ou pas, qui rend l'écrit différent par son interprétation intellectuelle.
Enfin, échapper à l’autobiographie me parait bien difficile puisque chacun utilise son vécu/connaissance pour traduire une lecture. (je parle du lecteur)
Voilà comment, je pensais les choses avant de lire cet article,
Ai-je changé d'avis ? pas certain. mais je m’interroge ...

Publié le 16 Juillet 2021

Très intéressant, je vais y revenir pour étudier la forme ....

Publié le 13 Juillet 2021

L'autobiographie a cela d'étrange qu'elle parle de soit, et non d'elle-même. Je voudrais bien lire un jour l'autobiographie d'une autobiographie...

Publié le 13 Juillet 2021