Il y a dans Gabriel est parti une écriture rare, ciselée, presque suspendue. Une langue poétique, précise, qui nous tient dans une tension douce mais constante, une sorte de mélancolie vibrante. En tant que lectrice, je me suis laissée porter, émue, comme prise dans un souffle discret qui ne faiblit jamais jusqu’à la dernière page.
J’ai cru, à plusieurs reprises, que Gabriel allait retrouver la foi — non pas celle d’un Dieu extérieur, celui du monastère, mais une foi intime, tournée vers l’enfant qu’il avait été. Une foi en lui-même. J’ai cru que ce prénom d’archange allait incarner quelque chose de lumineux, une part de divin intérieur, prête à renaître. Mais non. L’espoir s’efface doucement, et une partie de Gabriel meurt, malgré la vie qui continue autour, malgré le succès, malgré la reconnaissance.
Il reste cette étrange sensation en bouche, comme un goût de cendre ou d’absence : celle de la vie sans élan vital, sans cet instinct que donne l’amour. On se dit qu’il aurait pu le trouver ailleurs, cet amour, dans un autre lien, un autre regard… mais le roman ne nous le donne pas. Il nous offre autre chose : l’acceptation d’une certaine forme de perte, d’abandon à une vie dénuée de sacré, presque mécanique. Et c’est aussi, d’une certaine manière, le reflet de beaucoup de nos existences.
Le style, superbe, est à la fois intime et distant, comme si le narrateur observait Gabriel depuis un ailleurs, dans une position presque méta. Pour ma part, peut-être aurais-je aimé plus de dialogues, un peu plus de souffle du côté des vivants — car c’est là que je me tiens, dans ce mouvement, dans ces éclats de voix. Mais cela n’enlève rien à la puissance du livre, ni à la force tranquille de cette plume rare. Une vraie écriture d’auteur, marquante, habitée.
Publié le 19 Avril 2025