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Du 22 avr 2022
au 22 avr 2022

Double Je

Frank Esposito nous explique à travers sa nouvelle le vrai sens de la résignation, celui de l'acceptation après la révolte. Pour le pire probablement. Une participation à l'appel à l'écriture monBestSeller dans laquelle, nous espérons, peu de couples se reconnaitront
Jour après jour, le double jeu nous rongeJour après jour, le double jeu nous ronge

«Plus je me sens fragile, plus j’ai besoin de toi. Pourtant, à certains moments, j’ai la sensation que quelque chose cloche. Une voix intérieure me souffle « méfie-toi » !

Au fur et à mesure, nos petites escarmouches verbales deviennent de plus en plus fréquentes. Néanmoins, elles se terminent toujours bien, car elles masquent ce que je ne veux pas voir. Je me répète que tout va bien et finalement j’y crois. Tu me rabroues, tu me critiques, et souvent tu me rabaisses. Oui, mais on continue à se parler. N’est-ce pas le secret des couples faits pour durer ? Et puis quand je suis triste, tu refermes tes bras sur moi et j’y oublie tout.

Je crains ton visage fermé. Je fais tout pour éviter tes silences prolongés, tes petites phrases assassines. Chaque jour, tu m’humilies, tout en prétendant ne vouloir que mon bonheur. De l’extérieur, les autres me regardent d’un air envieux, pensant que je vis avec l’homme idéal. Contrarié, tu peux passer en un instant d’une profonde tristesse à une fureur terrible. À côté de cela, tu as énormément de côtés positifs, tu me fais même rire, parfois.

J’attribue à ton passé difficile toutes tes phrases dures, tes ordres, tes insultes. De mon côté, j’occulte tes phases négatives en me disant que ça ira mieux demain. Pour moi, tu fais simplement preuve de rigidité. Je ne veux pas voir cela comme de la violence. Ce fonctionnement me paraît normal. C’est le nôtre, voilà tout. D’autant qu’après ces accès d’agressivité envers moi, tu redeviens un être charmant, tendre, adorable. Tu donnes l’impression d’un être parfait. Je dois donc tout faire pour être une bonne épouse. Mais mes efforts ne sont jamais suffisants.

Je suis allée voir un médecin pour faire le point. Au terme de la séance, il m’a dit que c’était à mon mari de consulter. Il a semblé comprendre ta personnalité, sans même que je lui fournisse tous les détails. Il m’a mise en garde en parlant de manipulateur, mais à mes yeux William tu n’es pas cela. Peut-être un peu capricieux et caractériel, mais pas manipulateur. J’étais encore trop aveuglée par mes sentiments pour prendre au sérieux tout avertissement. Quand je t’en ai parlé, tu m’as répondu que j’étais folle, que notre couple n’allait pas plus mal qu’un autre, que tout était de ma faute.

Je suis nulle, lente et je rate tout ce que j’entreprends. C’est miraculeux que tu aies pitié de moi et que tu ne me quitte pas pour quelqu’un de plus efficace. Pour me faire pardonner, j’ai abandonné ce médecin.

En contrepartie de ces moments où tu me pousses à me haïr, de tous ces instants de honte qui m’incitent à m’isoler, il y a ces périodes merveilleuses que nous vivons tous les deux. Celles qui chaque fois me sauvent alors que je suis à la veille de m’effondrer.

Tu es mon docteur Jekyll et Mister Hyde : tu sembles avoir une double personnalité. Ta jalousie maladive te pousse à me surveiller tout le temps et à me faire des crises violentes au moindre prétexte. L’instant d’après, tu redeviens doux et tendre. Tu agis comme si rien ne s’était passé. C’est très déstabilisant : avec toi, je ne sais jamais à quoi m’attendre. J’erre en pleine confusion mentale. Je pense que c’est moi qui ai un problème, que c’est moi qui ai besoin d’être internée.

J’ai pensé plusieurs fois à te quitter. Au début, partir était devenu une obsession, mais ça n’était jamais le bon moment. Et puis je ne savais pas comment faire : je n’avais nulle part où aller, pas d’argent, plus aucun ami vers qui me tourner…

Au quotidien, constamment tu me surveilles et tu me contrôles. Comme tu es très maniaque, tu vas jusqu’à inspecter le haut des meubles après le ménage. Tu m’interdis d’avoir des animaux, d’acheter des fleurs, d’avoir des tableaux… Tu ne désires rien d’« inutile ». Mais surtout, tu exiges que nous montrions toujours l’image d’un couple parfait. Quand des gens viennent à la maison, c’est « mon épouse par ci, mon épouse par là ». Les sourires satisfaits de tes invités sont bien la preuve qu’ils ne comprennent pas ce que mon regard perdu veut exprimer.

Tu me répètes sans cesse que j’ai de la chance de vivre auprès de toi. Que sans toi, je n’existerais pas ! Et je le crois. Progressivement, je finis par ne plus rien décider. La décoration de la maison, mes propres vêtements… C’est toi qui choisis tout…

Mon amour, avec le temps, j’ai cessé de m’opposer, j’ai lâché prise. Que deviendrais-je sans toi ?

 

 

 

 

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@Lamish ter
Bonjour Michele,
Comme vous, je crois dans la détermination des nouvelles générations. Cependant, en attendant, il faut que les personnes concernées sachent reconnaitre un pervers narcissique pour mieux s'en défendre. Amicalement. Franck

Publié le 25 Avril 2022

@Claudey
Bonjour Claudey,
Merci pour votre commentaire. La poussière n'est qu'un exemple de l'ingéniosité des pervers pour confondre leur proie, tout est bon pour les convaincre de leur infériorité…
Bonnes lectures sur Mbs.

Publié le 25 Avril 2022

@Franck Esposito
Bonjour,
sobrement écrit et très justement décrit.
On est tous un peu parfois comme cela dans un couple, mais là manifestement il y a de la cruauté, chercher la poussière au dessus des meubles, quelle horreur !
par ailleurs, étant nouveau sur le site, pouvez-vous me dire quels sont les critères de l'appel à l'écriture ?
Merci / bonne journée !

Publié le 25 Avril 2022

@Cécile Quétier
Bonjour Cécile,
Je pense comme vous que le terme de "bourreau" est adapté à ces individus qui, bien trop souvent, poussent leur victime au suicide si celle-ci n'a pas la possibilité de fuir !

Publié le 24 Avril 2022

@Serge Viala
Effectivement un vaste sujet...J'ai du couper et recouper mon texte pour rester dans le standard de l'appel à écriture.
Pour ceux que le sujet intéresse, j'ai remanié ce passage d'un roman que j'ai écrit il y a quatre ans. Il a pour titre "Chicago River". ( https://www.amazon.fr/dp/B07TY3X1NN)

Publié le 24 Avril 2022

@Maureen Hann
Tout d'abord merci d'avoir laissé un commentaire…
Le cas des pervers narcissiques est un sujet qui me tient à cœur depuis que je l'ai découvert il y a quelques années. Malheureusement, il est peu exploité dans les romans. Pourtant de nombreuses victimes en ont fait l'expérience dans leur vie privée ou à leur travail si j'en crois les nombreux témoignages que j'ai pu recueillir. Amicalement. Franck

Publié le 24 Avril 2022

@Frank Esposito
En lisant ta nouvelle et sûrement toutes celles qui viendront, je me rends compte que le thème de cet appel à l'écriture nous met en face de la lâcheté, celle des bourreaux et celle des victimes(qui souvent est plus excusable). Personne n'a le courage de se regarder en face pour ce qu'il est ou pour ce qu'il subit.. Merci pour ton texte, qui dans les contraintes de l'exercice, nous restitue avec justesse les mécanismes psychologiques de l'emprise et de celle (ou celui) qui en est le jouet.

Publié le 23 Avril 2022

@Frank Esposito
Quel double jeu terrible et néanmoins bel et bien existant. Les couples se parent de leurs plus beaux atours aux yeux du monde, mais que se cache t-il vraiment derrière les portes closes …Eux seuls le savent. Hommes ou femmes subissent malheureusement cela chaque jour. Très bel écrit, dramatique et réaliste. Se remettre sans cesse en questions alors l'autre est en faute et qu'il nous démolie, moralement, physiquement, les deux… Un sujet qui ressort comme tabou puisque les gens ne veulent voir ce qui existe bel et bien dans beaucoup de couple.
Merci de mettre ce sujet en avant aujourd'hui, merci pour le partage.
Amicalement
Maureen

Publié le 23 Avril 2022