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Du 18 déc 2025
au 18 déc 2025

La gastronomie et les repas de Noël en littérature

Bientôt Noël, les magasins débordent de victuailles, et les magazines de recettes. Actuellement, et surtout en France, aucune conversation sérieuse ne commence autrement que par "Et toi, quesque tu fais à manger, pour Noël ?" Et cela nous a rendus curieux chez mBS. Nous avons pensé vous offrir un festival de repas gastronomiques littéraires, une orgie de recettes, et nous sommes ainsi partis en chasse de l'écrivain et le festin de Noël et là... surprise

… le silence.

Ou plutôt : un vide inattendu, presque gênant.
Nous avons fouillé les bibliothèques, rouvert les romans, traqué la dinde, le pudding, la bûche entre les pages et rien. Ou presque rien. Chez les écrivains d’aujourd’hui, le repas de Noël n'existe pas ou si peu. Pas de tables débordantes, pas de sauces longuement décrites, pas de festins.
À la place : des solitudes, des silences, des jours ordinaires déguisés en fête.

 La littérature contemporaine ne mange plus Noël

Alors il a fallu se rendre à l’évidence : la littérature contemporaine ne mange plus Noël. Elle le contourne, le vide, s’en méfie. Trop de clichés, trop de conventions, trop de mythologies familiales prêtes à l’emploi. Le festin est devenu suspect, presque indécent.

Chez les femmes écrivaines, ce retrait n’a rien d’anodin. La table de Noël est longtemps restée un lieu assigné : soin, charge mentale, injonction à la convivialité, kilos inutiles. Beaucoup s’en sont éloignées, préférant écrire le manque, la fracture, la solitude, plutôt que rejouer la scène.
Manger à Noël, ce serait reproduire un modèle social .

Chez les hommes, le mouvement est différent mais convergent. La littérature s’est figée autour de la fin du XXᵉ siècle, quand le monde a cessé de croire à l’abondance heureuse. Les grandes tablées viriles, bachiques, ont cédé la place à des figures solitaires, désincarnées, souvent urbaines. Jim Harrison pouvait encore écrire la viande, le vin, la chasse. Il est mort en 2016, emportant avec lui une littérature du ventre.
À sa place, des auteurs comme Murakami décrivent des repas minimaux, fonctionnels, mangés seul, dans le silence : un plat suffit, sans débordement.

Pendant ce temps, paradoxe absolu : jamais la cuisine n’a été aussi visible. Livres de recettes somptueux, photographies luxuriantes, plats du monde, world food, chefs-starifiés devenus alchimistes des papilles et des yeux. On regarde la cuisine plus qu’on ne la vit. 
Les Top chefs et Master chefs nous gavent de recettes parfaites, de méthodologie sévère et d'images parfaites.

La littérature moderne serait-elle au régime ?

Repas symboliques, corps en retrait, plaisir sous contrôle.
Comme si le feu s’était déplacé : des pages vers les fourneaux, des romans vers les assiettes.

Emmanuel Carrère : Noël sans nappe
Chez Carrère, Noël n’est pas un décor, encore moins une carte postale. Ce qu’on y mange n’est jamais central — et c’est précisément cela qui fait sens. Dans ses récits autobiographiques, la nourriture apparaît comme un fait brut : on mange parce qu’il faut manger, entre deux crises de foi, deux élans mystiques, deux effondrements intimes. Pas de menu célébré, pas de plat fétiche, pas de transmission gourmande. Noël, chez Carrère, ressemble à un jour ordinaire chargé d’une tension invisible : on peut être à table et ailleurs, présent et dissocié. S’il y a un repas, il est presque gênant, comme tout ce qui prétend à la normalité quand l’intérieur vacille. On ne se souvient pas de ce qu’on mange, mais de ce qu’on pense en mâchant. Et c’est sans doute ça, son Noël : une mastication mentale plus qu’un festin.

Haruki Murakami : Noël en solitaire
Chez Murakami, Noël est rarement une fête : c’est une date. Dans La Ballade de l’impossible, le narrateur se retrouve seul la veille de Noël, avec un gâteau acheté presque machinalement. Il en mange une part, sans joie particulière, dans une atmosphère de silence et de manque. Pas de banquet, pas de famille, pas de tradition exaltée : juste un gâteau trop grand pour une seule personne, symbole discret de la solitude moderne. Chez Murakami, la nourriture n’est jamais spectaculaire ; elle accompagne l’état intérieur. Le gâteau de Noël n’est pas un plaisir, c’est un constat. On mange parce que le calendrier dit que c’est Noël, mais le cœur n’y est pas. Et cette distance — douce, mélancolique, presque anesthésiée — dit tout de son univers : les fêtes comme des bulles creuses où l’on entend surtout le bruit de ses propres pensées.

Un drôle de Noël, décidément.

Pour faire exception, J. K. Rowling : Noël à Poudlard
Chez Rowling, Noël est une orgie joyeuse et assumée. À Poudlard, la table se couvre de dindes rôties, de puddings flambés, de sauces épaisses, de montagnes de desserts. C’est un Noël anglais traditionnel, généreux, excessif, pensé pour des enfants souvent privés de famille.
Harry découvre Noël par la nourriture : l’abondance devient réparation. On mange pour se consoler, pour appartenir, pour oublier. Les plats arrivent comme par enchantement, mais ce n’est pas la magie qui frappe, c’est la chaleur et le réconfort. La grande salle illuminée, les assiettes pleines, les repas interminables disent une chose simple : ici, on est accueilli. Chez Rowling, Noël nourrit littéralement le récit. La fête passe par le ventre avant de toucher le cœur.
Et pour Harry, chaque bouchée est une preuve silencieuse qu’il n’est plus seul.

Mais nous sommes dans la fiction, à moins que...

Il faut retrouver les anciens pour célébrer en littérature les rituels de la gastronomie de Noël 

Colette : Noël à pleines mains
Chez Colette, Noël sent la cuisine avant même d’être nommé. On y trouve le beurre, les volailles, les gâteaux, les gestes précis et sensuels de la préparation. Elle décrit la nourriture avec une gourmandise charnelle, attentive aux textures, aux odeurs, à la joie presque animale de faire et de manger.
Noël n’est pas abstrait : il passe par la table, par l’abondance, par le plaisir. Chez elle, nourrir et se nourrir relèvent d’un même mouvement.

Le repas de Noël n’est pas seulement familial : il est une célébration de la saison, du présent. Colette ne sacralise pas la fête par la religion ou la morale, mais par la matière.
Et ce qu’on mange à Noël, chez elle, a toujours une fonction claire : rappeler que la vie, même brève, mérite d’être savourée pleinement.

Charles Dickens : Noël chez les Cratchit
Chez Dickens, Noël n’est pas une nappe repassée.. On met sur la table ce qu’on a, et on le sacre festin. Il y a l’oie et surtout ce pudding qui arrive comme un trophée, dur comme un roc, puis soudain solennel quand on l’enflamme au brandy et qu’on le coiffe de houx.
La cuisine devient théâtre : vapeur, odeurs.... Et là, Dickens fait son tour de magie préféré : il nous donne faim, puis il glisse l’idée que la vraie abondance n’est pas dans la viande, mais dans la chaleur du groupe. Chez lui, le menu est une morale… qui se mange.

Truman Capote : Noël à l’heure du fruit cake
Chez Capote, Noël commence avant Noël : il commence au premier matin froid où l’air annonce “le temps du fruit cake”. Ce n’est pas un dessert parmi d’autres, c’est une mission, une saison, presque une religion domestique. On imagine les fruits confits, les noix, la patience, les gestes répétés et surtout cette idée bouleversante : faire des gâteaux pour les envoyer à des gens parfois à peine connus, simplement parce qu’ils ont été “gentils”.
Le fruit cake est un colis de tendresse, un morceau de foyer qui voyage. Et Capote écrit ça sans sucre ajouté : une douceur, oui mais avec la lucidité de ceux qui savent que les fêtes sont aussi des endroits où l’on mesure l’absence. 

Marcel Proust  : Noël, version Swann
Chez Proust, Noël n’est pas une fête : c’est un mot qui travaille la sensibilité. Il décrit une maison “comme un gros soulier de Noël”, promesse de plaisirs presque surnaturels détail piquant, chez Mme Swann on ne dit même plus “Noël” : on dit “Christmas”.
Le repas devient signe social, signe de snobisme, signe d’époque : on parle du “pudding de Christmas” comme on porterait une expression anglaise à la boutonnière. Ce n’est pas tant ce qu’on mange qui compte, mais ce que la nourriture dit : l’imitation, l’appartenance, la petite comédie mondaine. Chez Proust, le menu a toujours une seconde couche : il nourrit le corps, puis il nourrit la jalousie, le désir, la douleur d’être tenu à l’écart. Un pudding peut faire très mal

 

 

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