Interview
Le 18 juin 2015

Emmanuelle Allibert : "L’auto édition, un formidable pied de nez…

Emmanuelle Alliberts, interview sur monBestSeller.comEmmanuelle Allibert peint avec un humour ravageur, les coulisses d'un milieu professionnel aux codes très précis.

...à l’idée que les gens n’écrivent plus et ne lisent plus !" Attachée de presse aux éditions JC Lattès (ex éditions Plon), Emmanuelle Allibert est un témoin privilégié du monde de l’édition. Dans son livre « Hommage de l’Auteur absent de Paris », elle croque avec humour et une certaine jubilation l’Auteur, avec un grand A ! Ici, elle revient sur cette satire drôle, cruelle et tendre à la fois, nous parle aussi du rôle de l'éditeur et de sa vision de l'auto édition.

Question: 

Dans votre livre "Hommage de l'auteur absent de Paris", vous passez en revue tous les défauts de l’Auteur. Il est opportuniste, radin, pique-assiette, angoissé… Sont-ils tous comme cela ?

Réponse: 

Non. Tous ceux que j’ai rencontrés ont eu, une fois ou l’autre, l’un des travers que je décris mais aucun ne peut se reconnaître. L’Auteur de ce livre est un concentré de tous ces défauts. Je voulais me mettre dans la peau de l’auteur, aborder son parcours depuis le moment où il entre dans la maison d’édition jusqu’à celui où il est publié et qu’il atteint son Graal, le statut d’auteur.

Question: 

L’auteur dont vous parlez est assez privilégié…

Réponse: 

Oui, ceux que je côtoie ont plutôt réussi et ils ne se rendent pas compte du privilège qu’ils ont de pouvoir vivre de leur plume. Tout le paradoxe tient à la question de l’art et de l’argent. L’auteur voudrait être complètement en dehors des considérations matérielles or ce n’est pas possible car une maison d’édition est une entreprise. Elle accueille un écrivain, travaille pour lui et espère générer des bénéfices grâce à son œuvre. L’auteur dit écrire par nécessité mais il recherche aussi en permanence le succès et la reconnaissance. Les écrivains sont assez jaloux entre eux. Certains vendent beaucoup mais ne sont pas considérés. On pardonne peu le succès dans ce milieu. Il existe en fait deux catégories d’auteurs : ceux qui vendent beaucoup et ceux qui ont la reconnaissance du milieu.

Question: 

Comment avez-vous eu l’idée de ce livre ?

Réponse: 

J’ai commencé par écrire des anecdotes sur les écrivains pour « Le Magazine des livres ». Puis, j’ai réalisé des chroniques dans l’émission de Michel Field « Au fil de la nuit ». Angie David, éditrice chez Léo Scheer, m’a proposé d’en faire un livre. J’ai retravaillé les textes, écrit de nouvelles chroniques, étoffé le sujet. Je tiens d’ailleurs à préciser que les lettres présentées dans le dernier chapitre du livre sont authentiques. Cela fait dix ans, que je collecte les lettres envoyées à la maison d’édition. Elles sont comme une preuve scientifique de ce que je décris dans les chapitres précédents.

Question: 

Votre auteur a de nombreux défauts mais on a l’impression, dans votre livre, qu’il n’est pas très talentueux…

Réponse: 

Si bien sûr, mais c’était plus drôle de parler de l’auteur un peu boiteux que du très bon  écrivain. Et quand on évoque l’édition, il faut aussi aborder la question de l’industrie du livre, sujet que n’aiment pas beaucoup les auteurs… Pour être viable, une maison édition doit écouler un certain nombre de titres par an. Chez Lattès, nous en éditons une centaine. Nous n’avons pas cent auteurs exceptionnels chaque année. Nous suivons des auteurs mais leurs textes ne sont pas tous de la même qualité. Et puis il existe une grande part de subjectivité liée au ressenti du lecteur. Aura t-il envie de lire ce texte ? La maison d’édition ne peut pas se permettre de ne publier que des livres qu’elle adore sinon elle ne tient pas. Parfois, l’éditeur croit vraiment à un auteur et le livre ne fonctionne pas. Personne ne maîtrise rien. De fait, l’éditeur a une obligation de moyens mais certainement pas de résultats.

Question: 

Vous vous moquez aussi de l’éditeur, « le révérend père »… Le lien entre l’auteur et l’éditeur n’est-il pas un peu trop paternaliste en France ?

Réponse: 

Le lien entre un écrivain et un éditeur est assez particulier. D’ailleurs, on utilise le terme « maison » d’édition, pas celui d’« entreprise » ou de « boîte ». Ce métier touche à l’intime. Le romancier travaille seul pendant plusieurs mois, écrit souvent à la première personne. Les lecteurs lisent l’ouvrage chez eux, parfois dans leur lit. La rencontre de l’auteur avec le lecteur est aussi très intime. Les gens se confient, s’identifient à l’histoire. L’auteur est en permanence dans des rapports d’intimité et de fait, l’éditeur aussi. Une promotion peut être très violente. La maison doit protéger l’auteur de cette exposition, des critiques.

Question: 

Le travail de l’auteur est-il suffisamment encouragé et reconnu en France ?

Réponse: 

Je ne comprends pas les auteurs qui se plaignent. L’éditeur donne une avance, dépense de l’argent pour le papier, la couverture, l’impression, avant même que le livre ne soit en librairie et sans avoir la certitude qu’il sera remboursé. C’est un pari ! Si le livre ne marche pas, l’éditeur perd son argent. Pour un roman, l’éditeur trouve son équilibre à 3 000 exemplaires vendus.  S’il en vend moins, personne ne lui remboursera un centime. Il va même soutenir un auteur sur plusieurs livres. Nous ne sommes pas d’affreux grippe-sous. Aux auteurs qui râlent parce qu’ils sont insuffisamment payés ou reconnus, je dis : « auto éditez vous ! ». Montrez-nous que notre système est inique. La mise en page, la création d’une couverture, la correction…  nécessitent une expertise. D’ailleurs, les auteurs auto édités s’en rendent compte.

Question: 

Que pensez-vous de l’existence d’une plateforme comme monBestSeller ?

Réponse: 

Il y a de la place pour tout le monde. L’édition, depuis qu’elle est née, prétend qu’elle est moribonde. L’auto édition est un formidable pied de nez à cette idée que les gens n’écrivent plus, ne lisent plus et ne sont plus intéressés par les livres. C’est positif. Je suis aussi très confiante dans la position de la maison d’édition qui possède une vraie expertise, qui sait faire des livres.

Question: 

Comment les éditeurs voient-ils l’auto édition ?

Réponse: 

Les éditeurs ne considèrent pas l’auto édition comme une menace mais plutôt comme un phénomène très à part. La grande peur de l’éditeur est de passer à côté d’un chouette manuscrit. Il ne faudrait pas que l’auto édition soit la mort de l’envoi des manuscrits aux maisons d’édition.

Question: 

Qu’est ce que cela a changé pour vous de devenir auteur ?

Réponse: 

Je ne me considère pas du tout comme un auteur. Pour moi, un auteur est celui qui publie un roman. Mais passer de l’autre côté de la barrière m’a appris à être plus indulgente avec les auteurs dont je m’occupe. Les personnes qui travaillent dans une maison d’édition peuvent être un peu blasées quand un nouveau livre sort. Quand le mien est arrivé, cela m’a touchée. Il ne faut pas tomber dans la routine et garder intacte sa curiosité. La sortie d’un livre reste un événement.

Clémence Roux de Luze

"Hommage de l'Auteur absent de Paris" d'Emmanuelle Allibert, Editions Léo Sheer, dans toutes les bonnes librairies.

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12 CommentairesAjouter un commentaire
La position du 'révérend père' tenue par l'éditeur est encouragée du fait qu'il n'y a pas chez nous de tiers séparateur tel l'agent d'auteur comme c'est le cas dans d'autres pays...
Publié le 22 Juin 2015
J'imagine que lorsqu'on est attachee de presse dans une maison d'edition on a forcement des contacts dans les autres maisons, d'une facon ou d'une autre. Je ne serais donc pas plus surpris que cela d'apprendre que le manuscrit n'a pas ete envoye par la poste. Mais ce n'est pas non plus un scandal. Il faut aussi ajouter que les edition ELS (L.Scheer) sont loin d'etre une enorme maison avec des moyens de publicite ou de distribution colossaux. A part N. Reims ou S Azzedine, G Matzneff, je serais bien en peine de citer un de leurs ecrivains. Les livres qui y sont publies sont plutot confidentiels et tres portes sur la philosophie. D'ailleurs il est possible de proposer un manuscrit directement aux ELS par email, et d'etre lu et note par une "communaute" de lecteurs, un peu comme MBS.
Publié le 20 Juin 2015
Oui, il s'agit ici de passer à l'essentiel. Faisons avant tout les bons comptes, et avec lucidité sur nos déboires littéraires. Potentiellement, vous et mois vivons en moyenne dans ce pays aux alentours des 80 piges, précisons-le quand même, au cas où, si cela devait encore échapper à l'un d'entre-nous ! A l'échelle du temps, l'existence devient alors tout à fait insignifiante, là non plus, par déduction empirique, je n'apprends rien à personne. Partons donc du principe, mes amis ; permettez-moi cette proximité de circonstance pour l'occasion, je vous prie ! nous passons donc environ la moitié de ce temps éphémère, à nous poser des questions, d'ordre métaphysique pour les uns, et existentiels pour les autres. La vraie question prend alors tout son sens : Mais quel temps nous reste-t-il réellement à vivre? Si par déduction, vous trouvez la réponse, en écartant certains facteurs de risques aléatoires, propres à chacun, vous devriez alors être en mesure à ce moment précis de savoir vraiment à quoi nous devrions l'employer réellement. Et par la même occasion, si l'envie vous en prend, de définir avec objectivité, quelles sont vos priorités du moment. Maintenant, pour revenir au sujet qui nous intéresse, et également pour un souci de franchise avec vous, je suis moi-même dans cette expectative. Tout à fait de l'avis de Myriam, je cite : (sachant que ma vie n'est pas éternelle). Respectueusement, SSA
Publié le 20 Juin 2015
Colette, si vous ecrivez cela, au pire votre lettre d'introdution ne sera pas lue de toutes facons, au mieux ce la fera sourire celui ou celle qui lira. Je doute tres fortement qu'etre telecharge des milliers, des dizaines de milliers de fois ou plus sur des sites de telechargements gratuits, interesse le moins du monde un editeur potentiel :) @ Patrice, le livre d'E Allibert n'est pas publie par JC Lattes, mais par les editions de L. Scheer.
Publié le 20 Juin 2015
Dans le monde de l’édition, on nage dans le subjectif le plus insondable. Séduire un comité de lecture, qui se résume le plus souvent à un lecteur, relève du coup de bol (une chance sur plusieurs milliers). Non, les éditeurs ne cherchent pas les perles et ne possèdent d’ailleurs pas forcément la science propre à les identifier. Ils cherchent les livres qui peuvent se vendre, parfois uniquement pour la tête et l’allure de l’auteur (Sagan, Houellebecq, Despentes...), ou pour le seul titre (Indignez-vous, Baise-moi...). L’écrasante majorité des livres qui se publient ne sont pas issus de manuscrits anonymes mais sont le fait de privilèges. Les classiques de la littérature ne commencent jamais par un succès commercial immédiat, et les succès commerciaux n’entrent que très rarement dans la postérité. Beckett, Proust, Yourcenar, Céline, Montherlant, Mauriac, Mitchell (Autant en emporte le vent), Rowling (Harry Potter), Richard Bach (Jonathan Livingston)... Tous rejetés des dizaines de fois et souvent d'abord publiés à compte d’auteur. Et l’on se souviendra du canular d’Anne gaillard qui avait envoyé à l’étude plusieurs manuscrits connus (de Hugo, de Bory) en changeant le titre : tous rejetés par les plus grands éditeurs qui n’y ont vu que du feu, y compris la recopie du roman de Jean-Louis Bory, alors en grand succès, rejeté par un lecteur de son propre éditeur du moment (Belfond). Ne cherchez pas à vous faire reconnaître en littérature ; faites-vous plaisir, écrivez ce que vous ressentez et remettez cent fois votre ouvrage sur l’établi pour VOUS, pas pour un éditeur. La suite ne vous appartient plus et n’est qu’un jeu de hasard. Un bouquin auto-édité proprement a autant de chances de connaître le succès que chez un éditeur traditionnel.
Publié le 19 Juin 2015
Il existe quand meme de nombreux ecrivains qui vendent beaucoup et qui ont en plus la reconnaissance...:) Hugo ou Dumas etaient tres populaires et sont toujours regardes comme des romanciers et des ecrivains d'exception. St Exupery, Hemingway, Dickens, A. Christie etc... vivaient plus que confortablement de leurs livres. Houellebecq vend plus que la plupart des auteurs et en meme temps recoit les eloges d'une bonne partie des autres ecrivains ou des critiques litteraires. Heureusement, le public peut encore avoir bon gout :)
Publié le 19 Juin 2015
Merci pour ce témoignage. Il est évident que l'horizon de l'édition est en train de changer, en bien, en ouvrant grâce au numérique la porte à l'auto-édition et à l'éclosion de nouveaux talents. C'est déjà en train de se produire avec les auto-édités qui, plus compétitifs au niveau prix, grignotent de plus en plus de parts de marché et de places sur les listes des meilleures ventes. Amélie Antoine avec "Fidèle au poste" en est la preuve la plus récente. Mais les deux mondes peuvent coexister et travailler ensemble. L'auto-édition, c'est le vivier où les éditeurs vont pouvoir puiser pour renouveler ou renforcer leur catalogue. L'édition traditionnelle détient en revanche les clés de la grande distribution, de la reconnaissance et de la survie du livre papier, des librairies et de la culture en général. Les deux peuvent travailler de concert et tout le monde, lecteurs compris, y gagnera, même si des ajustements seront nécessaires de part et d'autre.
Publié le 19 Juin 2015
Je partage tout à fait l'avis très vivifiant de dufondesages. C'est bien le but de ma démarche. CC
Publié le 19 Juin 2015
Ceux et celles qui sont en auto-édition n'ont pas tous été refusés en maison d'édition... Plusieurs ont choisi cette voie pour garder un certain contrôle sur leurs œuvres. Moi la première! Je connais de grands écrivains qui songent à être ou revenir à leurs comptes justement par ce qu'ils n'ont jamais leurs mots a dire. En contre partie, la maison enlève un gros fardeau sur les épaules des auteurs, ce serait génial s'il ne serait pas si avare et augmenterait les royautés... Mais ça, c'est l'argent qui mène le monde, et en tant qu'auteurs ce n'est pas nous qui avont le plus gros porte-feuille ! J'ai opté à compte partagé ..... Elly
Publié le 18 Juin 2015
"La grande peur de l’éditeur est de passer à côté d’un chouette manuscrit." Cette phrase m'amuse sans que je puisse en définir la raison. Ah si, quand on sait comment fonctionne le tri des manuscrits et les comités de lecture, on est en droit de se poser des questions. Les taux de retours et le nombre de bouquins qui partent au pilon ne semblent pas les interpeller, eh bien qu'ils continuent comme ça. En attendant l'auto-édition se fait sa place.
Publié le 18 Juin 2015
Je crois que tant que les auteurs les plus lus resteront dans les maisons d'editions classiques, l'auto-edition restera juste un moyen pour celles et ceux qui ont ete refuses, d'etre lus. Mais pour un certain temps encore, l'edition classique restera le meilleur moyen pour une auteur(e) de percer. Bien sur on entend ici et la que les livres numeriques ont desormais supplantes les livres papiers. Mais je voudrais soulever deux points: - D'abord, dans ces livres numeriques il y a les ebooks des auteur(e)s confimes et publies par des maisons classiques. Or un auteur qui vend 100000 livres papier vendra au moins 10000 voire plus de copies electroniques du livre. - Ensuite, comme il y a 50-100 fois plus d'auteur-autoedites que d'auteurs en maison classiques, il n'est pas surprenant qu'en terme de chiffre, les auto-edites depassent els autres. Mais c'est le plus souvent quelques copies ou quelques dizaines de copies vendues par des centaines de milliers d'auteurs differents.
Publié le 18 Juin 2015
Et je pense personnellement que ledit pied de nez ne fait que commencer et que MBS pourrait bien en être l'un des précurseurs... Et si, par ce biais, nous passions du phénomène entièrement à part aux auteurs à part entière ? CC
Publié le 18 Juin 2015