Étrangement, le renard, qui semblait lui aussi avoir flairé le danger, au lieu de se diriger vers une des portes comme il en avait pris le chemin, revint sur ses pas. Elle reprit le chemin inverse, là où elle était sûre de ne plus être surveillée et avisant une lourde table de bois ancienne, recouverte d'une tapisserie élimée, elle se faufila dessous, Zerda à sa suite.
Ils laissèrent passer la petite troupe qui les poursuivait, puis le renard se remit à japper doucement et l'entraîna à nouveau. Il semblait avoir changé d'avis et ne plus vouloir sortir du château mais, au contraire, remontait les corridors vers le cœur de la bâtisse.
Devant la petite porte carcérale qui menait aux souterrains et aux geôles, il se mit à gratter le sol et Théo ouvrit la porte.
Il descendit en courant l'étroit escalier humide et brusquement s'arrêta sur un palier. Pourtant il n'y avait là qu'un mur de pierre poussiéreux. Mais Zerda refusait maintenant d'avancer, restant fixement en arrêt devant le mur bas et sombre qui leur faisait face.
Lorsque Théo fit mine de continuer sans lui, il se mit à geindre doucement pour la rappeler. Pas de doute. Il y avait un passage dans ce mur.
C'était certainement une porte secrète menant quelque part, mais où ? Et, surtout, comment l'ouvrir ?
Elle entendit le bruit des pas de course de l'équipe du directeur à sa recherche. Dans quelques minutes, ils se rendraient compte qu'elle n'était pas sortie du manoir et qu'elle n'était nulle part dans le château, ils penseraient donc forcément aux cellules et ils la trouveraient ici, prise au piège devant ce passage secret dont elle ignorait le mécanisme ou le code.
Elle se mit à chercher fébrilement sur le mur, essuyant la poussière de ses mains, car elle entrevoyait des signes inscrits dans la pierre.
On aurait dit des graffitis, qui, loin d'être récents, étaient tracés d'une main depuis longtemps disparue sans doute.
Certains signes étaient des chiffres romains, d'autres des dessins, une écriture qui lui semblait presque familière dans son étrangeté.
Le Livre de la Prophétie. Sur la couverture. Elle se souvenait, à présent, avoir vu sur le Livre les mêmes signes. C'étaient des runes. Étaient-elles surnaturelles ? Étaient-ce là des runes de Passage ?
Plus bas, à gauche des runes, la représentation graffitée d'une galère, reproduisant nettement des rames, la structure de l'embarcation, avec ses voiles auriques, semblait annoncer que cette porte pouvait conduire à un grand voyage, au-delà du monde.
En effet, juste sous le bateau étaient gravées des terres, forêts, châteaux et collines. Une ligne en fixait la limite, comme s'il s'agissait là de la terre, puis Théo remarqua que le bateau voguait sur des flots de nuages et que loin au-dessus, tout en haut de la porte, au-delà des inscriptions runiques, on pouvait déceler, au creux d'un cirque de collines, un immense château de pierres noires luisantes, surmonté de grandes tours et entouré d'un lac baignant dans une brume qui en effaçait les limites.
Menaour Kazell !
Son château. Celui de la Galerie du Plenum. Dans le Monde Perdu.
Théo sentait qu'elle y était. Derrière ce mur, derrière cette porte étroite, se profilait son chemin. Celui qui la mènerait à la Galerie du Plenum, d'où elle pourrait enfin parler aux autres, les rencontrer et aviser de la conduite à tenir.
Comment faire pour comprendre, pour deviner le secret du mécanisme ?
Elle tenta de toucher certains des signes qui ressemblaient à des chiffres, comme si elle actionnait un code digital, mais sans succès.
De toute façon, elle n'aurait pu ni les enfoncer, ni les glisser dans de quelconques encoches. De toute évidence, il n'y avait pas de touches s'apparentant à un système moderne d'ouverture de porte. Elle repensa alors à Luz.
Luz, son sésame qui lui avait permis jusqu'ici d'entrer partout où elle l'avait voulu. Dans la Galerie du Plenum quand elle avait été avec Lully, dans la cour de Menaour Kazell, aussi bien que dans Le Livre de la Prophétie.
Elle saisit à son cou l'épée miroitante et chercha désespérément un rayon de soleil pouvant lui permettre de plaquer l'ombre de l'épée sur une empreinte.
Mais, outre qu'elle se trouvait dans un corridor sombre, empêchant toute possibilité de jeu lumineux, elle n'aurait su où projeter ce contour si elle l'avait créé, car nulle part dans le mur ne se profilait une trace d'épée.
Désespérément, Théo frottait le mur, quand elle aperçut, entourant l'embarcation, des formes étranges. Elle ne parvenait pas à en discerner le dessin exact.
C'est alors que quelque chose d'incroyable se produisit.
Zerda se dressa sur ses pattes arrière, grimpant le plus possible avec ses pattes avant le long de la paroi, pendant qu'une luminosité surnaturelle, qui semblait émaner de ses yeux, éclairait différemment les signes sur le mur.
Ce que cette lumière révéla la captiva tellement qu'elle en oublia de s'étonner du phénomène insolite qui permettait à Zerda de transformer son regard en lampe torche ?
Et là, grâce à cet éclairage fabuleux, elle découvrit, à l'emplacement des formes entourant le bateau et qui paraissait maintenant comme porté par elles, deux empreintes de main.
Elles ressemblaient en tout point à celles que l'on voit sur les reproductions de gravures rupestres. Sa mère les lui avait montrées tant de fois, car elles avaient baigné son enfance de rêveries infinies, ces fameuses gravures dont son père était le gardien et qu'il faisait visiter aux touristes.
Incomplètes, apparaissant faiblement au gré de la luminescence rasante projetée par le regard même du renard, elles étaient pourtant bel et bien là. Nul doute possible. Comment se faisait-il qu'elle ne les ait pas vues plus tôt ?
Sans doute la poussière s'était-elle si bien incrustée dans leurs creux qu'elles avaient été jusque-là impossibles à déceler ? Les effleurements et frottements désespérés de Théo sur le mur, ainsi que l'éclairage de Zerda, en avaient dévoilé l'existence.
Attirée par ces empreintes, Théo s'en rapprocha jusqu'à y apposer ses propres mains.
Comme un aimant, elles se collèrent au mur et y restèrent fixées, sans qu'elle puisse les en détacher. Le petit animal se resserra frileusement contre elle, en gémissant doucement. Dès qu'elle s'était plaquée au mur, l'éclairage singulier émanant de ses yeux s'était éteint.
Lui aussi semblait tout à la fois inquiet et désireux de traverser cette cloison qui les séparait de... Mais de quoi ce mur les séparait-il exactement ? Théo ne voulait pas trop approfondir. Elle était en fuite, elle voulait rejoindre Nalyd, elle devait trouver la Galerie du Plenum et une intuition, provoquée par le comportement de Zerda, l'avait guidée vers ce mur. Elle ne voulait pas se poser plus de questions.
Soudain, un raclement sourd se fit entendre et l'épaisse cloison de pierre s'ébranla lentement, répercutant une secousse dans tout le corps de Théo.
Elle glissa un peu mais continua à plaquer mains, joue et jambes contre la paroi de pierre froide qui bougeait.
Lentement, Zerda collé à elle, elle suivit le mouvement du mur qui pivotait sur un axe central, mais au bout d'un moment, le sol en pente la déséquilibrant, elle ne parvint plus à maintenir sa verticale.
Le mur paraissait pivoter également sur un axe horizontal, se mettant à pencher dangereusement, comme s'il désirait se détacher de ce corps épousant les formes tracées depuis des siècles sur les pierres qui le constituaient.
Elle finit par tomber de tout son long dans un étroit passage au centre duquel ruisselait une eau sombre, fraîche, un peu visqueuse.
Le renard léchait son cou, ses épaules, la reniflant avec intérêt, la pressant, par son attitude, à se relever.
Dans une trépidation irrégulière, la porte de pierre se referma lentement. Théo et Zerda se retrouvèrent dans les ténèbres.
Frissonnante, Théo s'accroupit et se pelotonna contre le petit renard, le contact de cette chaleur de vie la rassurant un peu.
Elle n'avait pas eu bien le temps de fixer dans sa mémoire la forme précise du passage ni la hauteur de ses parois resserrées de part et d'autre.
Une seule chose était sûre, l'eau s'écoulait dans la direction d'une pente assez raide et c'était le seul endroit vers lequel elle pouvait se diriger.
Penchée en avant, une main posée sur la tête de Zerda, elle avança sans hésiter, raffermie dans sa décision par le fait qu'il avait l'air de bien savoir où il allait. Au bout de quelques pas, une lueur diffuse, très faible, légèrement verdâtre, se mit à projeter un éclairage nébuleux sur les lieux.
Théo mit un moment à comprendre que la lumière provenait encore des yeux de Zerda. Comme tout à l'heure lorsqu'il l'avait aidée à lire les signes sur le mur, il lançait à présent aussi un faisceau ouaté sur leur chemin, juste assez pour que Théo puisse voir où la portaient ses pas.
Elle marchait dans le lit d'un petit ruisseau souterrain, enfoui dans les profondeurs de la terre, dans ce qui semblait être une grotte longue, fine, sinueuse, semblable à un long serpent vide.
De chaque côté, si proches qu'elle les frôlait sans arrêt, les parois verticales de cette brèche dans la montagne s'élevaient si haut qu'elle ne pouvait en déceler la fin.
Un inextricable fouillis de buissons, de branchages et de ronces formait un plafond végétal profond au-dessus de sa tête, mais bien plus haut. Elle n'aurait pu, même en grimpant sur une ou deux aspérités, en arracher une seule branche.
Impatiente de sortir de ce chemin rebutant, elle pressait le pas, gardant la main sur le renard par peur de le perdre, d'autant plus qu'il lui faisait maintenant office de lanterne.
Ils marchèrent longtemps ainsi, serrés l'un contre l'autre. L'air semblait se raréfier et Théo étouffait. Sa respiration se faisait sifflante et elle se mit à tousser, une toux sèche, rocailleuse, qui lui brûlait la gorge.
Elle entendait Zerda respirer de façon plus saccadée qu'auparavant, comme si lui aussi manquait d'air.
Elle avait froid, elle frissonnait et elle ne savait comment se réchauffer, si ce n'est en marchant de plus en plus vite.
Puis la soif se mit à la tenailler, desséchant un peu plus s'il le fallait sa gorge qui commençait à enfler.
Au bout d'un moment, le doute s'empara de l'esprit de Théo. Allait-elle vraiment quelque part ? Ne s'était-elle pas enfermée toute seule dans un piège mortel ? Ce chemin la conduirait-il à Nalyd ou ailleurs, n'importe où ? Avait-il même une fin ? Était-ce la voie vers la Galerie du Plenum, ou celle vers la mort ?
Le manque d'oxygène commençait à obscurcir ses pensées, de plus en plus funestes.
Les mêmes questions, lancinantes, rôdaient dans son esprit. Que faisait-elle là ? Allait-elle mourir ici, sans même savoir vraiment pourquoi ? Sans avoir approché un tant soit peu du mystère des passages entre les Mondes ? Était-elle vraiment un des Pèlerins Glorieux du Monde Perdu ? Si oui, quels étaient son rôle, sa fonction, sa mission ?
Puis, petit à petit, même ces pensées la quittèrent. Elle n'arrivait plus à réfléchir de façon cohérente. Elle continuait à marcher, mue par un instinct de survie dicté par une volonté qu'elle ne se connaissait pas.
Car pour le moment elle n'en avait plus. Plus envie de rien. Dans l'incapacité totale de décider quoi que ce soit.
Simplement une voix en elle lui dictait de continuer à faire ce qu'en d'autres temps elle avait décidé de faire.
Puis, au détour d'un méandre du ruisseau malsain, un éclaircissement brutal l'aveugla et elle dut se boucher les yeux avec les mains pour ne pas être éblouie.
Un faisceau éclatant, tombant de très haut, baignait le ruisseau d'une lumière surnaturelle.
Immédiatement, elle reconnut l'endroit.
Elle était non loin du site de Bonchurch, dans ce que les touristes appelaient les cheminées du Diable, à quelques pas du lieu où elle avait entrevu l'identité de ses amis Guerriers grâce à la source enchantée. Elle avait appris depuis que c'était l'endroit même où Dana, la mère adoptive de Dame Belissama, était morte.
Un frisson la parcourut.
Elle reconnaissait bien le terrain maintenant, même si la source ne faisait plus entendre son bruit cristallin.
Elle aspira une bouffée d'air à pleins poumons et se mit à courir devant elle, sachant qu'à un tournant elle déboucherait brusquement en plein air, dans un bois surplombant la mer, non loin d'une vieille église.
Dans sa précipitation, elle trébucha sur une racine ou un caillou et tomba de tout son long et brutalement le nez dans le ruisseau. Le choc raviva sa douleur à la mâchoire, lui arrachant des larmes.
C'est alors qu'elle la vit. La trace de l'épée. Celle du château de Menaour Kazell. La même que celle du Monde Perdu, creusée dans la grande Pierre bleutée.
Elle gisait là, sur le sol, au milieu de pierres, de ruines et des siècles de caresses liquides du ruisseau n'en avaient pas altéré la gravure.
– Je l'ai trouvée. Non ? C'est incroyable ?
En proie à une émotion intense, Théo sentait ses joues se couvrir de larmes. Elle avait trouvé le Passage. Elle avait retrouvé la Pierre. Irisée. Merveilleusement veinée de jaune, de bleu et de vert. La Labradorite. La Pierre du Passage. Elle avait trouvé la clé de la Galerie du Plenum. Elle allait enfin pouvoir se rendre dans la salle et rencontrer les autres.
Elle allait enfin ne plus être seule dans cette aventure fatale qui la dépassait et dont elle ne parvenait pas à saisir toutes les règles. Elle en pleurait de joie, elle en riait aussi, oubliant sa meurtrissure, à genoux dans l'eau devenue claire, caressant éperdument le pelage de Zerda qui se laissait faire en silence.
Elle voulut placer son épée dans le creux et se souvint alors qu'elle n'avait plus en sa possession qu'une miniature, un bijou, une réduction de Luz.
Frénétique, elle saisit sa petite chaîne avec son pendentif, et elle tenta de recommencer le coup de l'ombre qui avait marché une fois déjà avec le Livre, mais rien à faire. Elle ne parvenait pas à générer une correspondance entre les deux formes. Celle de l'ombre de l'épée et celle de l'empreinte de la pierre.
Ce n'était peut-être pas la bonne heure, ou elle était trop loin de la source de la lumière, quoi qu'il en soit, ça ne marchait pas.
Ses larmes de joie se transformaient lentement en sanglots de désespoir.
C'était injuste ! Elle était si près du but ! Elle avait trouvé la serrure d'entrée, elle avait bien une clé, mais les aléas en avaient transformé la taille au point de la rendre impraticable.
Pourquoi alors lui avoir permis de garder son épée sous cette forme réduite si ça ne pouvait pas lui servir ?
Petit à petit, elle se calma, regarda vers la sortie et se dit que c'était dommage, mais trop de temps s'était écoulé depuis l'époque de Menaour Kazell. Tout avait changé. Les choses n'étaient plus à leur place. Il fallait qu'elle se résigne.
Il était temps de sortir de ce boyau malsain et d'essayer de rejoindre Fishbourne, pour reprendre le ferry.
Une fois en sécurité en Angleterre, elle signalerait l'absence de Nalyd. Elle ne voulait pas l’abandonner.
C’était Passage, le chapitre 7 de TANAGA - Saison 2 – Torfed
© Alice Quinn - tous droits réservés – 2016
J’ai voulu retrouver avec ce roman d’héroïc fantasy la joie de l’écriture de feuilletons, qui m’a toujours fascinée. J’espère que vous partagerez cette passion avec moi.
Dans un premier temps, 2 tomes seront donc ainsi déclinés chapitre par chapitre, gratuitement, en ligne, le temps qu’il faudra, à raison de 2 chapitres par semaine, les mercredis et les samedis, à 10 heures.
Si des fautes, des incohérences ou des coquilles se sont glissées à mon insu dans le texte, je vous serais reconnaissante de m’en informer.
Vous pourrez trouver la saison 1, Les écorcheurs, sur Amazon.fr le 27 juillet 2016
Pour la saison 2, Torfed, ce sera le 15 Aout 2016.
Vos remarques et retours me permettront de corriger ces détails avant la sortie.
Merci de votre aide et participation.
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Illustration couverture par Alex Tuis
Graphisme couverture réalisée par Kouvertures.com
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Beaucoup de répétitions et de maladresses dans ce chapitre, cela a gêné ma lecture, mais pas au point de me sortir de l'histoire. A bientôt sur le chapitre suivant :-)