Actualité
Du 26 mar 2020
au 26 mar 2018

Comment choisir le rythme d’un texte ? Y-a t-il des règles ? Est-ce le fait de l’auteur, ou le texte l’impose t’il ?

Si Elen Brig Koridwen ne prétend pas être mélomane, elle se dit sensible à la musique des mots. La rythmique en est une dimension essentielle. La relecture à voix haute est un mode d’évaluation ; écoutons là.

La Rythmique des phrases est-elle la marque de fabrique d’un écrivain ou un simple réflexe spontané ?

La rythmique des phrases est un élément très important. Elle peut constituer la marque de fabrique d'un auteur, mais elle peut aussi être utilisée sciemment, pour créer une ambiance plus évocatrice.
Je fais partie de cette catégorie des auteurs qui pratiquent volontiers plusieurs cadences. Systématiquement, en passant d'un genre à l'autre (on n'écrit pas du polar comme de la romance – enfin, la plupart du temps : car, bien sûr, tout est permis !) ; ou, parfois, au sein d'un même roman.

En effet, il est intéressant de changer de tempo en fonction du thème ou du contexte. Pratiquer des ruptures de rythme est d'ailleurs un bon moyen de marquer les transitions narratives. 

Par exemple : 
– plus rapide pour une scène d'action ; 
– plus lent pour une scène paisible, ou, au contraire, pour faire durer l'attente du lecteur et, de façon subreptice, augmenter sa tension                          
– cadencé selon une rythmique très régulière, comme dans un poème, pour décrire longuement un paysage, etc ;
-  un rythme syncopé, inégal (quitte à produire un effet presque dissonant) sera, quant à lui, très efficace pour traduire le doute, la panique, la folie…

Une lecture récente détermine souvent notre ton et notre tempo

Beaucoup d'entre vous auront sans doute constaté qu'ils ont tendance à calquer non seulement leur ton, mais leur tempo sur celui du dernier roman qu'ils ont lu. On ne rédige pas de la manière au sortir de Stendhal, d'Albert Cohen ou de Boris Vian. Raison pour laquelle mieux vaut, en période d'écriture, lire plutôt des œuvres en phase avec votre travail, aussi bien sur le plan du rythme que sur celui du sujet.

Néanmoins, on peut considérer qu'en général, chaque auteur est habité par un rythme naturel, un tempo vers lequel il se sent porté presque malgré lui. Les uns utiliseront des phrases courtes et sèches, d'autres de longs développements proustiens, d'autres encore pratiqueront toujours un rythme irrégulier. Disons pour simplifier que, s'ils étaient poètes, certains écriraient en verts courts, d'autres en alexandrins et d'autres encore en vers hétérométriques. Toutes les nuances sont possibles et ont leur raison d'être ; chaque auteur possède sa ou ses voix intérieures, plus ou moins originales.

Le lecteur aussi a son propre rythme, conforme à sa manière de lire

Ce que les autoédités doivent bien comprendre, c'est qu'il en est de même pour chaque lecteur : il résonne naturellement selon un certain tempo, pratique sa propre scansion (dans le sens de : manière de déclamer), orthodoxe ou non, et ressentira chaque texte en fonction de ce rythme intérieur.
Je suis bien incapable de vous dire si, chez l'auteur comme chez le lecteur, la part culturelle – les lectures, les musiques qui nous ont marqués – est prépondérante, ou si des rythmes biologiques entrent également en jeu. Sans doute les deux…
La conséquence, c'est qu'il ne faut pas s'attendre à plaire à tout le monde : c'est impossible. En dehors même des idées, du caractère des personnages et de la qualité propre de l'œuvre (absence de fautes ou de maladresses, intérêt, originalité), le rythme du texte a une influence majeure sur sa perception par le lecteur.
À titre personnel, je ne raffole pas des romans entièrement composés de très longues phrases : ils ont sur moi un effet soporifique et vont parfois jusqu'à me donner le mal de mer. ;-) Mais les textes qui enchaînent les petites phrases très courtes finissent, de leur côté, par me porter sur les nerfs. Je préconise plutôt de pratiquer des variations de rythme.

Exemple : 
« La nuit était sombre. Il faisait chaud. La plage était là-bas. Il se déshabilla. La mer l'appelait. C'était irrésistible. Il se mit en marche. 

Ce passage me parlerait mieux sous cette forme :
« La nuit était sombre ; il faisait chaud. La plage s'étendait là-bas, invisible, au-delà des dunes hérissées d'ajoncs. Il se déshabilla lentement. La mer l'appelait. C'était irrésistible… Il se mit en marche. »
Mais j'ai bien conscience que chaque lecteur aura sa propre impression, et que certains préféreront la première formulation.

Amis auteurs, il ne faut pas pour autant vous laisser gagner par le blues : non, votre livre ne pourra jamais faire l'unanimité, ne serait-ce qu'à cause de cette bête question de tempo – et aussi du fait de bien d'autres paramètres. 
Mais ce n'est pas une raison pour vous fixer pour objectif de rédiger un livre agencé pour plaire à tout le monde. D'abord, parce que le résultat serait tout sauf assuré… Ensuite, parce que vous y perdriez votre voix, votre élan, et que rien ne « passe » moins bien qu'un ouvrage préconçu dans un but pragmatique.
À l'inverse, résistez à la tentation de vous dire « ah ben dans ce cas, autant faire comme je le sens et ne pas me soucier du reste. » Même si, on ne peut le nier, chaque livre a sa chance de trouver ses lecteurs sur internet, y compris les plus ineptes et les moins bien rédigés, un minimum de travail est nécessaire pour élargir vos chances d'obtenir un vrai lectorat.
Les considérations sur le rythme expliquent pourquoi prédire le succès de tel ou tel ouvrage relève de l'illusion : la qualité en soi est, hélas, insuffisante. Indépendamment du sujet, un roman enthousiasmera certains lecteurs, son tempo les fera littéralement vibrer ; et il déplaira d'emblée à d'autres, auxquels il ne « parlera » pas.

Rythmes neutres, vocabulaire accessible, thème grand public sont-elles la garantie d’un best-seller : non mais d'une meilleure accessibilité  !

Elles expliquent aussi pourquoi, faute de pouvoir être sûre de faire mouche, la grande édition a tendance à sélectionner ou façonner des blockbusters dotés de rythmes « neutres », peu marqués, avec des phrases assez régulières, ni très courtes ni très longues, qui sonneront de façon familière à un maximum de lecteurs et déplairont au moins de gens possible.

Pour séduire le plus grand nombre, l'édition joue bien entendu sur d'autres facteurs, comme un vocabulaire très accessible ou des thèmes « grand public ». Le résultat est indéniablement une perte d'originalité : on ne peut que constater une certaine homogénéité dans la production littéraire. Les voix très originales s'y font rares ; comme dans la société en général, la tendance est au consensus, au souci de ne heurter personne.

Raison pour laquelle j'aspire à voir l'autoédition favoriser pour de bon la libre expression, au lieu de se borner à vouloir imiter les faiseurs de succès faciles : que ressuscite enfin le foisonnement fécond du siècle passé, quand, enfin libérés de l'académisme et d'une critique empalée sur ses préjugés, les auteurs se livraient à une réjouissante débauche de créativité !

En résumé, amis auteurs, ne vous découragez pas ! Continuez à tracer votre sillon avec conscience, en disant ce que vous avez à dire, sans chercher à plaire autrement qu'en respectant le lectorat, c'est-à-dire en livrant un texte vivant, propre et bien présenté. Tôt ou tard, votre voix trouvera ses auditeurs.

Relecture à voix haute : la forme épouse le fond, le fond épouse la forme… Pas de règle, c’est l’alchimie du verbe

Parlons maintenant de la relecture à voix haute.
Lorsque je vous conseille de procéder ainsi, ce n'est pas pour vous faire remettre en question le rythme de votre texte, ou très peu.
Certes, vous allez constater des anomalies : des phrases si longues, si complexes ou avec si peu de coupures qu'elles sont impossibles à lire sans s'asphyxier. Si vous êtes obligé de vous y reprendre à plusieurs fois, ou si, au terme de la phrase, vous avez le souffle court, il faut la fractionner. 

Exemple :
« Symptôme d'un domaine un, l'investissement se permettant une idéologie, l'imaginaire, avec pour résultante une praxis partagée, où le signe achoppe sur une distinction d'avec le signal de sa linéarité, pensez donc à une physiologie du cerveau. »
On pense irrésistiblement, en effet, à un problème relevant de « la physiologie du cerveau »… :-D Un tel galimatias ne s'invente pas : je l'ai tiré de l'impitoyable et succulent Jourde et Naulleau, qui prête ces propos abscons à Philippe Sollers, inénarrable gourou éditorial de la Germanopratie. Mais ne vous méprenez pas ; dans son génie autoproclamé, Sollers sait aussi s'adonner à l'alternance de phrases lapidaires et de longueurs spasmodiques : « Cloute atmosphère et ça rime ! Cunnéimord en mésopotame ! Mimé d'âme ! Foutrant ! L'acteur reste plouc à mirer son crâne sur la tour silence entourée vautours, il se fait becqueter la sanie-misère, les poumons rouillis, la rateuse à flour, le floc des viscères, sa nouille et sa crouille, ses lambeaux ribias, bouffé vif à cru dans son bloc-lumière, il se tire de là en crachant son foie. » (Lois, p. 55-56)

Vous l'avez compris, l'objectif de certains écrivains « arrivés » est de bien rigoler tout en ébaubissant le péquin, confondu par la violence de cette dysenterie verbale.

Retour à notre propos d'origine.
En vous relisant tout haut, vous allez aussi pouvoir constater de possibles inadéquations entre la rythmique et le personnage concerné ou l'ambiance recherchée ; par exemple, si vous mettez de longues phrases ampoulées dans la bouche d'un enfant, ou utilisez ce tempo lent et solennel pour décrire une agression au coin d'une rue. (Encore que, dans ce dernier cas, tout peut fonctionner, même l'improbable : c'est l'inexplicable alchimie du verbe.)

Toutefois, la principale indication de la relecture à haute voix, c'est de traquer les fautes.
L'auteur qui n'a ni bêta-lecteurs, ni correcteurs (c'est mon cas depuis que je suis indé, et je sais que vous êtes nombreux à travailler dans l'isolement) finit par ne plus remarquer certaines scories.
D'abord parce qu'il connaît son texte par cœur, parfois jusqu'à la nausée, voire à la haine. Sa vigilance se relâche ; il focalise instinctivement sur les défauts qui l'obsèdent. Du coup, son regard risque de passer sur les autres scories de façon machinale.

En relisant mentalement un texte trop familier, il est normal de glisser sur certaines fautes sans en prendre conscience. L'interprétation est plus instinctive, plus globale (au sens de la lecture de même nom) ; elle fait davantage appel à la mémoire photographique, qui interprète plus qu'elle ne décrypte. 

Relecture à voix haute, les fautes apparaissent…

En lisant à voix haute, en revanche, on constate que le processus est un peu plus lent et laborieux. Les fautes qui passaient inaperçues deviennent des écueils sur lesquels on bute. Ainsi, la première chose que la relecture à haute voix vous aidera à repérer, ce sont les coquilles.

Vous allez également mieux discerner les répétitions. Lorsque l'on se relit mentalement, on est rarement alerté par leur éventuelle récurrence. À voix haute, ce n'est plus le cas : les répétitions sautent aux yeux, ou plutôt à l'oreille. 
Se relire tout haut est donc une façon d'aborder votre texte différemment, un peu comme en le soumettant au regard neuf d'une tierce personne. Mais, naturellement, ce n'est là qu'un « truc » utile, qui ne remplacera jamais l'intervention d'un bêta-lecteur avisé (plusieurs, de préférence) ou d'un correcteur patenté.

Voilà, mes amis. J'espère que ce petit billet vous aura apporté quelques pistes de plus pour vous aider dans votre tâche si complexe.

Excellente semaine et très bon travail à toutes et à tous !

 

 

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@lamish
Chère Michèle, merci pour ce commentaire qui illustre parfaitement les enjeux liés au rythme. Nous avons tous fait l'expérience de livres qui auraient tout eu pour nous plaire, mais qu'un phrasé inapproprié rendait pénibles à lire.
Amitiés

Publié le 10 Avril 2018

@Céline VAY
Merci à toi pour ce commentaire, chère Céline ! Non, il y a des règles quand même, les titres des articles ne sont pas de moi. :-) Des transgressions peuvent créer une atmosphère, mais en passant, sans abuser. Personnellement, je ne goûte pas du tout la prose de Duras, chez qui l'absence de virgules était systématique (ce procédé fut à la mode pour son allure moderne et son côté "écriture automatique"). J'ai tendance à préférer les styles "justes" au cabotinage, qu'il s'agisse de minimalisme ou de grands effets de manches. En revanche, j'aime beaucoup ta réflexion finale, très belle…
Amitiés

Publié le 04 Avril 2018

@Max Dougall
Merci beaucoup, cher Max, pour ce commentaire. Le message que vous y faites passer est essentiel à mes yeux et, justement, le dernier billet sur mon blog traite du style.
Bien amicalement

Publié le 28 Mars 2018

Bonsoir et merci @Elen Brig Koridwen pour cet intéressant article. Je suis entièrement d'accord avec vous : la forme importe autant que le fond. Le travail sur ce dernier (scénario, personnages, thèse défendue...) et parfois aussi, comme vous le soulignez, la peur de trop s'écarter d'un style consensuel perçu comme une norme, peuvent conduire à faire passer au second plan le travail du style. Pourtant il s'agit d'un aspect essentiel pour faire passer le message désiré. Ne soyons pas intimidés par la rythmique, la stylistique, ou même la poésie, qui peut beaucoup apporter à un texte : des chefs d’œuvre comme les Petits poèmes en prose de Baudelaire montrent que prose et poésie peuvent s'unir à la perfection.
Bien sincèrement, MD

Publié le 28 Mars 2018

@Michel CANAL
Je vous en prie, mon cher Michel ! Vous savez que ma récompense, c'est de penser que j'ai pu aider.
Pour la ponctuation, vous avez raison de souligner ce point : j'incluais sa vérification dans le travail sur le contrôle du rythme des phrases et leur éventuel fractionnement, mais ce n'était pas assez clair.
Amitiés

Publié le 27 Mars 2018

Merci @Elen Brig Koridwen pour ce nouveau billet.
Pour la rythmique et la musique, tout adolescent se rappellera probablement la phrase (qui pour ce qui me concerne m'a marqué à vie) : "Quels sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes".
Pour tout ce que votre savoir nous apporte, à nous indés (qui n'avons pas fait pour la plupart d'entre nous d'études littéraires supérieures), votre présence est aussi précieuse que celle d'André Malraux auprès de de Gaulle, laquelle le préservait de l'ignorance.
Pour ce qui est de la relecture à haute voix, vous avez raison. J'ajouterai pour ce qui me concerne (et que je conseille à tous mes amis auteurs que je corrige) que la lecture à haute voix permet aussi de placer la ponctuation adéquate.
Votre dévouement ne sera jamais suffisamment souligné, chère Elen. Merci pour tout le temps que vous nous consacrez. Avec toute ma sympathie.

Publié le 27 Mars 2018

@Pantinois
Autant que je me souvienne, tout est du même pot. :-)
PS : je ne dirais pas que ne pas avoir lu Sollers est signe de bêtise. Au vu de cette expérience, je suis même convaincue du contraire. :-D Le pire, c'est qu'il s'agit d'un homme brillant. Mais à force de le savoir et de se l'entendre dire, certains en arrivent à aimer se moquer du monde.

Publié le 26 Mars 2018