Ce fut Jeannot qui découvrit l’œuf.
Il jouait aux billes avec petit Pierre et Jean-Paul pendant l’interclasse. Une bille, lancée trop fort, s’était égarée dans le parterre de fleurs bordant le gazon qui entourait la cour de récréation. Jeannot se précipita, soulevant les feuilles, écartant les plantes, bien plus soucieux de récupérer son bien que d’épargner les chétifs végétaux. C’est là qu’il fit sa découverte.
Il se trompa d’abord sur la nature de l’objet. Les couleurs vives, agréablement mêlées, dont le soleil augmentait encore l’éclat, l’abusèrent. Il crut, le cœur battant, avoir trouvé une de ces billes de verre de taille imposante, remplies par un procédé mystérieux, d’ondulations aux couleurs chatoyantes, qu’il utilisait, quand il avait le bonheur d’en posséder, à un rôle toujours spécifique, dont l’importance était dictée par la rareté. Un camarade inconnu l’aurait égarée là.
Il déchanta rapidement, car la taille de l’objet était trop importante. De plus, sa forme ovalisée ne pouvait pas la faire rentrer dans la catégorie des billes, même de luxe. Intrigué, il s’approcha pour mieux observer. Cela ressemblait à un œuf. Mais ça ne pouvait en être un, car tous les œufs qu’il avait vus jusque-là, s’ils présentaient la même forme en plus ou moins grand, n’avaient qu’une teinte terne, passée, seulement agrémentée parfois d’un piquetage à peine plus prononcé. Celui-là était haut en couleur. Sur sa surface lisse se mêlaient les couleurs les plus vives dans un tourbillonnement harmonieux. Il en émanait une beauté éclatante, dont la virtuosité naturelle forçait l’admiration.
Fasciné, Jeannot tendit sa main et le prit précautionneusement. L’œuf était lourd et pesait dans la paume, qu’il occupait presque entièrement. Avec un peu d’appréhension, il le secoua. Il ressentit une sorte de vibration, lui indiquant que l’œuf était plein. Il se leva, et mettant son autre main en cloche par-dessus l’œuf pour le protéger, il alla montrer sa découverte à petit Pierre et Jean-Paul.
Les garçons restèrent bouche bée.
— Que c’est chouette, s’exclama petit Pierre, mais qu’est-ce que c’est ?
— Ben, c’est un œuf, tu vois bien.
— Ça va pas non ! Un œuf, ça n’a jamais eu toutes ces couleurs.
— Peut-être que quelqu’un l’a peint ?
— Sûrement pas. Si c’était de la peinture, ça se verrait. On voit bien que les couleurs font partie de la coquille.
— Moi, je sais ce que c’est.
— Ah bon, c’est quoi ?
— C’est un martien qui l’a fait.
— Ah ah, elle est bien bonne celle-là !
— Et pourquoi ? Moi, j’y crois aux martiens. D’abord, on a des preuves qu’ils existent.
— Oui, mais ils pondent pas d’œufs.
— Et pourquoi ils pondraient pas d’œufs ?
— Les martiens, il parait que c’est des humains comme nous, mais qu’ils sont plus petits et qu’ils sont tout verts.
— Et puis, même s’ils sont petits et verts, c’est pas pour ça qu’ils ne naissent pas dans des œufs.
— Et nous alors, on n’est pas nés dans des œufs.
— Mais on n’est pas des martiens !
— Et si c’était un œuf de martien, pourquoi il serait ici dans la cour de l’école ?
— J’en sais rien, moi. Les parents l’ont peut-être oublié. Ils sont venus ici pour explorer, la nuit, et l’œuf est tombé de leur soucoupe.
— Ou alors, ils l’ont laissé exprès. Pour qu’il reste des martiens quand ils seront repartis sur leur planète…
Sa phrase fut interrompue par une grande ombre qui les recouvrit tout à coup. Ils se retournèrent. C’était le maître d’école qui les regardait d’un air courroucé. Il faut dire qu’absorbés par leurs palabres, ils n’avaient pas entendu la fin de la récréation sonner. Le maître les tança vertement.
— Alors, vous êtes sourds ? Vous trouvez que vous n’êtes pas assez dissipés en classe ? Qu’est-ce que tu as dans la main Jeannot ?
Jeannot n’avait pas pensé à dissimuler sa trouvaille. Il fut bien obligé de montrer l’œuf au maître d’école. Ce dernier le regarda d’un air dégoûté.
— Qu’est-ce que c’est que cette horreur ? Et c’est pour ça que vous ratez la classe. Ça n’est pas sérieux. Vous devriez être punis.
Il s’empara de l’objet, et le lança dédaigneusement par-dessus le mur de l’école. Et s’en fut vers sa classe. Les trois garçons entendirent le bruit mat de la chute de l’autre côté du mur et — mais aucun des trois n’aurait pu le jurer — ils crurent percevoir comme un gémissement.
Ils restèrent là, statiques, ébahis quelques secondes. Mais le maître d’école revenait vers eux et leur envoya une bourrade.
— Mais on n’a rien fait ! pleurnicha Jeannot
— Allez, rentrez. Et estimez-vous heureux que je ne sois pas plus sévère !
Jean-Louis Ermine
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@Nama Traore, @lamish, Merci, je suis content de vous avoir donné un petit instant de bonheur.
@Sylvie Petitmarie, Merci Sylvie. C'est bien le problème, ces enfants ne sont coupables (?) que d'avoir enfreint les règles du maître !
Agréable j'aime les formats très courts bravo
Très joli texte,j'aime beaucoup les dialogues des enfants .Par contre je ne vois pas bien de quoi sont coupables les protagonistes.Cordialement.