Interview
Le 06 Jan 2025

L'écriture : un voyage intérieur vers la vérité

L'écriture, distincte de l'expression spontanée, permet de plonger dans un espace mental où se mêlent rêves et souvenirs, conduisant à une réinterprétation de la vie. Cette écriture nécessite une élaboration minutieuse, et peut révéler une vérité universelle sur notre existence L’expérience d'écriture peut-elle engendrer une transformation personnelle, indépendamment de toute reconnaissance littéraire ? C’est avec ce questionnement d’Ernesto Férié que nous inaugurons une nouvelle année d’aventures littéraires sur monBestSeller.
Tribune littéraire sur monBestSeller - L'écriture : un voyage intérieur vers la vérité

            L’écriture, quand elle fait effet, nous plonge dans un espace mental intérieur, peuplé d’images évanescentes que nous élaborons à partir du texte, et qui ont quelque chose de commun avec celles du rêve ou du souvenir. Selon Proust, ces images sont, en fin de compte, plus authentiques que celles que nous croyons saisir avec notre intelligence, lors de notre vie, puisqu’elles sont le fruit d’une réappropriation par la mémoire sensuelle, puis d’une recréation par le style. Le temps de l’homme, ses expériences, les moments de sa vie, en grande partie vécus à son insu, ne pourraient être que retrouvés. Seul l’art serait capable d’en rendre compte à peu près fidèlement.

            Depuis quelques années, je m’interroge sur ce que signifie pour moi l’écriture, et je me demande si Proust a raison : l’écriture est-elle vraiment, en quelque sorte, la seule manière de vivre sa vie, d’en avoir connaissance, d’en être l’auteur ? L’écriture est-elle une quête de vérité ?

Les mots : un pont entre la vie et la création littéraire

            L’écriture est une manière particulière d’utiliser les mots. Mais une manière parmi d’autres. Nous passons en effet une grande partie de notre temps à lire, à parler, à écouter, à raconter, etc. Notre vie est pleine de mots.  D’où l’idée qu’il suffirait de les rapporter pour, en quelque sorte, transcrire directement dans un texte l’expérience vécue. Quand j’écris ce qu’on m’a dit, je déplace les mots d’un espace à un autre, je fais entrer des mots vécus dans un espace textuel. De même, quand je raconte à un ami quelque chose qui m’est arrivé, cela n’est pas très différent de ce que je fais quand je rédige une histoire pour des lecteurs.  Ce sont les mêmes mots qui servent dans la vie et dans le livre. Les mots n’imitent pas la vie, ils n’en proposent pas une représentation : ils sont le point commun entre la vie et le texte. Ce qu’un auteur exprime est du même ordre que ce que n’importe qui est susceptible à tout moment d’exprimer dans la vie.

            Il y a pourtant une différence. Car, autant dans la vie nous nous exprimons le plus souvent de manière spontanée, autant le texte est presque toujours le résultat d’une lente élaboration. C’est donc cette notion d’élaboration qui importe, qui fait la spécificité de l’écriture par rapport à l’expression spontanée.

            Le détour par le rêve et le souvenir nous fera peut-être mieux comprendre de quoi il s’agit.

Rêve, souvenir et écriture : une même quête d’interprétation

            Lorsque, dans notre sommeil, nous rêvons, notre esprit produit des images à partir de ce que nous avons vécu la veille. Ces images sont le résultat d’une ré-élaboration, d’une re-création du vécu. Elles en soulignent ou en déforment certains traits et, souvent, comme le disent les psychanalystes, elles permettent au rêveur (quand il s’en souvient), de mieux comprendre ce qui lui est arrivé, de jeter un éclairage inattendu sur les événements. Les images du rêve ne déforment pas la réalité, elles la montrent telle qu’elle a été vécue à l’insu du rêveur. Elles la lui révèlent. Elles la lui interprètent.

            Il en va de même avec le souvenir. Le souvenir est le résultat d’un filtrage. La vie vécue, passée au tamis de la mémoire, est en quelque sorte ré-élaborée, purifiée par le temps. Le souvenir est un diamant du passé, ce qu’il reste de nos amours, de nos enfances, de nos aventures. Une interprétation qui en conserve l’essence.

            L’écrivain opère un travail analogue : comme le rêve et le souvenir, à partir d’un matériau fait de ses lectures, de ses expériences, mais aussi, justement, de ses rêves et de ses souvenirs, l’auteur élabore un texte qui est une interprétation de la vie vécue. Comme un traducteur d’une langue étrangère, l’auteur nous révèle ce qu’est notre vie véritable, ce qui en fait l’essence. Puisque nous sommes étrangers à nous-mêmes et à notre propre vie, puisque le sens ne nous est pas donné, puisque sans cesse il nous échappe, c’est à l’écrivain de nous le révéler, de le fixer, comme un collectionneur de papillons, dans une forme parfaite. Un texte est comme un tableau. Dans une forme limitée, il révèle une vérité universelle.

L’écriture comme transformation de soi

             Il me semble pourtant que mon expérience récente contredit cette théorie. Depuis quelque temps, en effet, j’ai le sentiment que ma vie vécue est plus authentique que celle que je trouve interprétée dans les livres. Comment cela est-il possible ?

            Mon hypothèse est la suivante : cela fait six ans que j’écris, six ans que, avec la maladresse d’un enfant qui imite une grande personne, je tâtonne dans l’écriture de textes plus ou moins narratifs. Et si cette expérience, qui n’a pourtant donné aucun résultat littéraire, artistique, m’avait tout de même transformé ? Et si la tentative-même suffisait, non pour toucher un lecteur, non pour le transformer, lui, mais, pour me transformer moi, dans la mesure où ce que je vise est cette interprétation dont j’ai parlé plus haut ?

            L’écriture serait alors une expérience de transformation pour celui qui la pratique, dans la mesure où il aurait pris conscience de la nature spécifique de cet art : non pas un usage ordinaire des mots, mais un usage extraordinaire en vue d’une re-lecture, d’une interprétation-épure, d’une quête de vérité de la vie vécue. Jusqu’au moment de cette quête où l’auteur amateur, transformé par ce travail sur le texte de ses livres, voit le texte de sa vie éclairé par une mystérieuse lumière. Le livre infini, jamais terminé, toujours ébauché, retouché, porté au plus profond de l’être, ne viendra jamais au monde. Je ne serai jamais écrivain. Mais je serai peut-être un homme authentique, auteur d’une vie authentiquement vécue.

Ernesto Férié

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14 CommentairesAjouter un commentaire

Il me semblait pourtant qu'un écrivain était une personne qui, par son art, posait des questions, et non qui y répondait. La littérature est fondée sur l’ambiguïté des choses humaines. Il n’y a pas Une Vérité, mais il y a un tas de vérités relatives qui se contredisent. L'écriture est peut-être la sagesse de l’incertitude: elle dévoile la relativité essentielle des choses humaines.
Un monde basé sur une seule Vérité (celui des idéologies) exclut la relativité, le doute, l’interrogation…: il ne peut se concilier avec l’esprit de l'écriture, du roman, de la poésie.
Écrire en excluant la relativité et le doute ne prolonge plus la conquête de l’être, ne découvre aucune parcelle de l'existence: c'est écrire pour confirmer une idéologie, c’est être en dehors de la littérature.

Par ailleurs, une pensée fine, complexe, c’est une pensée qui apprend à penser contre elle-même. C’est le contraire d’une pensée close, celle des esprits de système qui ont une doctrine qui explique tout, où il n’y a que des certitudes. Aucune conversation (l'art de la conversation), aucun échange n’est possible avec ces esprits-là: au contraire, ils scrutent vos propos pour y trouver la confirmation de ce qu’ils ont d’ores et déjà décrété.

Publié le 12 Janvier 2025

@Constantin Malheur

Je reconnais qu’il existe une dimension lyrique dans les plus grands romans, l’ignorer serait se montrer injuste envers des géants comme Proust. Toutefois, trois remarques s’imposent :

1) Un géant contemporain de Proust comme Céline refuse tout lyrisme, et c’est loin d’être le seul !
2) Les romanciers les plus lyriques sont, en réalité, des poètes : je pense à Hugo et bien sûr Théophile Gautier.
3) Je confirme que la littérature joue sur les mots, les sonorités, les métaphores, les rêves : le cœur de la littérature est donc poétique !

Publié le 11 Janvier 2025

Le voyage devient plus intense quand les mots chantent et dansent : c'est pour cela que je privilégie la poésie !

Publié le 10 Janvier 2025

Merci pour cet article, vous avez posé des mots sur certaines de mes impressions souterraines.

Publié le 10 Janvier 2025

@Ernesto Férié

Merci , Ernesto, pour cette tribune exigeante. Je ne participerai pas au débat, cependant une petite contribution sous la forme d'un extrait de revue sur Marguerite Duras (site internet d'abord, et donc l'accès à l'article-dossier complet, puis l'extrait).
Tout de bon, Ernesto !

https://www.larevuedesressources.org/Marguerite-Duras-n-existe-pas.html
"La peur, voilà bien le mot qui compte, celui qui importe, qui prime peut-être sur tous les autres chez Marguerite Duras. La peur de se dire, la peur de se montrer telle que l’on est. Celle de décevoir, et surtout celle de ne pas être comprise. D’où le recours à l’écriture fictionnelle.
Certes, Marguerite Duras a écrit une œuvre autobiographique : L’Amant ; mais que de détours, de tergiversations, de dissimulation, avant d’admettre qu’il s’agissait bien d’une autobiographie ! Il ne faut pas perdre de vue ici le postulat de Duras selon lequel on ne peut écrire que sur soi, que le reste ça n’existe pas."

Publié le 09 Janvier 2025

Merci @Ernesto Férié , j’y est réussi en écrivant tout mes rêves dès que je me réveille. Au fur et à mesure mon cerveau à fait le lien. C’est Bernard Weber qui à donné cette astuce dans ces cours sur l’écriture. J’ai essayé et ça à marché. Il y a aussi la méditation qui a dû m’aider. C’était une façon de trouver une idée pour un nouveau roman.

Publié le 08 Janvier 2025

C’est un article très réaliste, j’ai ressenti un bien énorme en écrivant mon livre comme une véritable thérapie sur mon passé. Quand je suis bloqué sur un chapitre je fait de l’écriture libre. Je mets tout ce qui me passe dans la tête, tout dans le désordre puis soudain tout se remets en ordre et paf ça redémarre. C’est mon lâcher prise quotidien. J’aime quand j’arrive à la fin avec une joie sur le travail difficile et accomplie de l’aboutissement de mon roman. Par exemple quand j’ai écrit sur le passé de mon personnage, j’ai fait une médiation et kiné pour chercher un âge reculé. Pour ce qui est du rêve, je fait très souvent des rêves. J’arrive à reprendre le rêve où je l’avais laissé hier ou même l’inventer pendant que je dort . Ça m’arrive quelques fois d’éclater de rire en me réveillant ou de sauter sur mon calepin pour ne rien oublier. Des fois, j’ai l’impression d’être dans mon livre et de vivre l’aventure avec mes personnages pour m’évader du monde réel quelquefois ennuyeux.

Publié le 08 Janvier 2025

D'accord pour toutes ces réflexions très théoriques, mais c'est oublier que Proust était surtout capable de sortir de lui-même (ce n'était pas ce corps uniquement absorbé par ses obsessions, ses souvenirs et ses sensations) pour être l'observateur hors pair de son époque, des hommes, des femmes, de l'esprit du temps... Comme tout grand écrivain, il est surtout capable de rentrer dans la tête des autres.
Il passait ses journées et ses soirées à observer et disséquer les êtres qu'il rencontrait (donc en s’oubliant lui-même), afin d'en découvrir les ressorts cachés (à défaut de les aimer… Son regard était impitoyable: la cruauté est partout présente dans la Recherche, sous toutes ses formes: méchanceté, moquerie, mépris, indifférence, etc.).
Son écriture n'aurait pas été si riche et si pertinente sans cette capacité d’attention et d'observation des autres.
Et là, en effet, l’écriture est une quête, la recherche d’une retranscription de cette vérité qui parle aux autres.

Publié le 08 Janvier 2025

Il faudrait un commentaire aussi long que votre texte (et même plus) pour répondre à tous les points que vous évoquez. Alors, je vais en choisir un (me voici devant une boîte de chocolats tous plus appétissants les uns que les autres, misère !).
Allez, hop, "la transformation".
J'ignore quel est le but de l'art, mais je pense comprendre ce qu'il travaille en nous : notre matière profonde et notre souffle. (Bien entendu, nous parlons de l'acte d'écrire et non de "rédiger".)
Ecrire est comme "chercher" la Pierre Philosophale et il faut commencer par le commencement : le pourrissement du Nigredo. Sans ce pourrissement la suite de l'oeuvre n'est pas permise. Ce que vous écrivez dans votre article m'évoque "le noble pourrissement", une opération qui demande des années, et au cours de laquelle l'auteur dévouvre que s'il veut avoir accès son écriture et à son oeuvre, il doit nettoyer les filtres à travers lesquels il reçoit le monde. Tout son travail d'apprenti est là, dans ce nettoyage. Quand ce travail est fini (ou suffisamment achevé), l'auteur entre alors dans la phase où il travaille sur son style.
Et puis etc.
Peu d'auteur prennent conscience de leurs filtres encrassés, encore moins décident de consacrer des années de labeur à ce fastidieux nettoyage. Mais ils sont les seuls à connaître la joie profonde de l'Oeuvre.
Cher Ernesto, je vous donne rendez-vous à la cafet' autour d'un bon potage à la tomate... dès que mes infirmiers m'auront enlevé ma camisole de force. Si j'ai fait des fautes pardonnez-moi, mais il n'est pas aisé de taper sur un clavier avec sa langue !

Publié le 08 Janvier 2025

Cher Ernesto,
Votre réflexion est une véritable méditation sur l'écriture, et je ne peux que vous remercier de l'avoir partagée. Vous explorez avec finesse ce pont fragile entre la vie vécue et la vie écrite, et vous le faites avec une élégance rare.
L'idée que l'écriture est moins une transcription qu'une élaboration me parle profondément. C'est dans ce travail, parfois laborieux mais toujours authentique, que la vie trouve une autre dimension, une vérité interprétée mais non moins réelle.
Votre hypothèse selon laquelle l'écriture transforme avant tout celui qui la pratique, même si aucun texte "achevé" n'en résulte, résonne comme une vérité universelle. Peut-être que l'acte d'écrire, avec ses tâtonnements et ses réécritures infinies, est lui-même le but – non pas de produire, mais de devenir .
Je vous remercie pour ce texte lumineux et inspirant. Vous posez des questions qui restent longtemps en tête et qui, je crois, parleront à beaucoup d'autres lecteurs.
Avec toute mon admiration, Alice Houan.

Publié le 08 Janvier 2025

L’idée freudienne selon laquelle le rêve "révèle" la réalité vécue ou qu'il en constitue une construction symbolique est très discutable. L’approche neuroscientifique moderne met en avant la fonction adaptative du rêve, déplaçant le regard du symbolisme interprétatif vers des processus cérébraux liés à la plasticité et à l’adaptation cognitive. On sait depuis un demi-siècle, que les rêves résultent de l’activation spontanée des circuits cérébraux pendant le sommeil paradoxal. Le cerveau, notamment le cortex préfrontal, interprète ces signaux aléatoires en créant des récits ou des images, sans intention de révéler une vérité cachée, contrairement à ce que postulait l'approche psychanalytique. Des travaux plus récents montrent que les rêves jouent un rôle dans le traitement de l’information, notamment dans la consolidation de la mémoire. Les rêves ne sont pas une simple "déformation" du vécu, mais un mécanisme complexe intégrant souvenirs, émotions et apprentissages.

Publié le 07 Janvier 2025

Je trouve votre article et votre retour d'expérience très intéressants @Ernesto Ferié

Publié le 06 Janvier 2025

@Ernesto Ferié : dire mon expérience, je 'lai déjà fait à de nombreuses reprises... Et merci de votre attention.

Publié le 06 Janvier 2025

@l'auteur : oui "expérience de la transformation, mille fois oui. Bravo pour ce focus !

Publié le 06 Janvier 2025