Actualité
Le 10 nov 2014

Qu'est-ce qu'un auteur ? (5)

Charlie Bregman appelle les auteurs indépendants les « électrons livres ». Sont-ils si libres que cela ? Et en comparaison aux auteurs traditionnels, publiés à compte d’éditeur, à quel moment peut-on considérer que ce sont des auteurs, des vrais ? Notre écrivain, blogueur, activiste du livre, nous livre sa vision de "l'auteur" (suite et fin).
Comment être un auteur ?C'est le lecteur qui fait de celui qui écrit un auteur.

Là où l'éditeur n'a plus sa place, peut il y avoir des auteurs ?

Grâce à internet, grâce à l'auto-édition numérique, aux blogs et aux réseaux sociaux, grâce aussi aux nouvelles technologies d'impression à la demande, n'importe qui peut maintenant partager n'importe quoi, de ses secrets les plus intimes à ses fantasmes les plus inavouables. N'importe quelle plume peut se montrer désormais sans parure ni artifice, et parfois, pire encore, au détriment du respect le plus évident des règles d'orthographe, de syntaxe ou de narration.

Face à cette décadence des valeurs, les plus farouches défenseurs d'une certaine conception de la littérature se raccrochent à la seule définition qui semblait très bien fonctionner jusqu'à présent : un auteur est une personne qui écrit des textes qui sont publiés par un éditeur. Là où l'éditeur n'a plus sa place, il ne peut pas y avoir d'auteur possible. L'avis d'un lecteur ne peut pas – ne doit pas – se substituer aussi impunément au regard éclairé d'un vrai professionnel des mots ! Toute relation directe entre un lecteur et un auteur ne peut être qu'un phénomène contre nature ! Car écrire un livre, ce n'est pas qu'écrire : c'est surtout avoir eu l'intention, savante ou prodigieuse, d'écrire un « bon » livre ! C'est être au courant des codes, de ce qui s'enseigne en faculté de Lettres, de la bonne façon de savoir aligner les bons mots et maîtriser les bonnes tournures de phrases ; c'est connaître les techniques et les théories sur tout ce qui fait la différence entre un simple texte que l'on écrit et un véritable texte de littérature, et se soumettre ainsi à la critique et au jugement de celles et ceux qui savent, celles et ceux qui détiennent la seule et unique vérité, et donc le pouvoir d'anoblir un auteur en « écrivain », ou de reléguer ses textes vulgaires au rang d' « écrits vains ». Sauf que là où résonnent si bien les théories, la dictature de la pensée n'est jamais si loin.

Être un auteur, aujourd'hui, est ce trouver soi-même son propre lectorat ?

Juger un texte est toujours un exercice bien différent que de l'aimer. À s'émouvoir par raison, on se calfeutre l'émotion. À s'accrocher à des idées fixes, on prend forcément le risque de renier un monde en pleine mutation. Non, être un auteur, ce n'est pas nécessairement avoir un éditeur ! Non, ce n'est pas non plus forcément avoir une idée bien formatée de ce qu'est et de ce que doit être un bon livre ! Être un auteur, aujourd'hui, c'est explorer des pistes, c'est écrire en toute liberté et trouver soi-même son propre lectorat, là où l'implacable réalité des chiffres de l'édition actuelle avance que 500 000 ouvrages seraient refusés chaque année par les maisons d'édition, qu'un nouveau roman ne se vend en moyenne, en France, qu’à 700 exemplaires, qu'un nouveau livre qui ne se démarque pas des autres en moins d'un mois en librairie a toutes les chances de finir au pilon dans les semaines qui suivent, et que l'auteur reste systématiquement le moins bien rétribué de tous les maillons de la chaîne du livre, avec 8% du prix du livre seulement qui lui reviennent en tant que droits d'auteur.

Les livres sont devenus des produits de consommation, voire de surconsommation. En 2012, rien qu’en France, un nouveau livre a été publié toutes les 7 minutes (source BNF, entrées au dépôt légal des livres). La culture a définitivement cédé aux diktats de la rentabilité. Une maison d’édition a beau aimer les Lettres, ce sont toujours les chiffres des bilans comptables qui auront le dernier mot : pour survivre en tant qu’entreprise, soit il faut publier des livres qui se vont se vendre (quel sera le prochain best-seller ?), soit il faut publier le plus de livres possible en s’assurant de faire une marge bénéficiaire dès le premier exemplaire tiré (référez-vous à la stratégie du géant Amazon, ou simplement à l’éditeur Édilivre, qui se vante d’être le premier éditeur de France).

C’est le lecteur qui fait de celui qui écrit un auteur. Simplement par le plaisir qu’il lui procure.

Alors qu’est-ce qu’un auteur ? Est-ce quelqu’un qui écrit un livre qu’une maison d’édition a accepté de publier ? Est-ce quelqu’un qui a décidé de s’auto-éditer ? Au format numérique ? Au format papier ? Aux deux ? Est-ce quelqu’un qui vit de sa plume ? Sur ce dernier point, faut-il rappeler toutefois qu’une cinquantaine d’auteurs seulement, en France, peuvent se glorifier de vivre réellement de la vente de leurs livres publiés via un éditeur traditionnel ?

Pour répondre à cette définition de l’auteur, j’ai envie de m’en remettre à la notion de plaisir partagé. Un auteur sans lecteur, ça n’a pas lieu d’être. On ne devient un auteur qu’au moment où l’on a des lecteurs, je ne reviendrai pas là-dessus. Ce n’est plus l’éditeur, qui fait l’auteur, mais le lecteur tout simplement, et plus précisément le plaisir que le texte de l’auteur va pouvoir procurer à ce lecteur. Ce plaisir peut être de différente nature. Un livre peut susciter de l’émotion, il peut offrir à réfléchir, il peut procurer de l’évasion, il peut contribuer à se sentir mieux, à grandir dans sa tête et à changer sa façon de vivre sa vie, il peut déranger aussi, bousculer les a priori, les codes sociaux, les habitudes qui confortent et les acceptations muettes qui assassinent. À chaque fois, le lecteur y aura trouvé son bénéfice à lui, et l’auteur, sa satisfaction.

J’ai envie de dire qu’il est important que l’auteur ait des retours sur ces bénéfices, qu’il soit en relation directe avec ses lecteurs, qu’il sache qu’il n’écrit pas pour rien et qu’aucun de ses efforts ne demeurera vain, qu’il puise ainsi sa motivation à écrire encore et encore, jusqu’à ce que le plaisir procuré à quelques poignées de personnes puisse se propager suffisamment pour que l’écriture participe intégralement à son propre épanouissement. Grâce à internet, cela est désormais possible.

Internet et l’auto-édition ne tuent pas la littérature. Au contraire, ils lui apportent un nouveau souffle, fait d’audace et de liberté, d’indécence et de provocation, d’émotion juste et de rébellion. Grâce à des sites comme monBestSeller.com, sur lesquels on peut « publier, lire et échanger librement et gratuitement », être un auteur redevient un droit, et être un lecteur redevient un acte responsable. Nous ne lisons plus ce qu’une poignée de gens a décidé que nous devions lire, mais au contraire ce que notre propre parcours nous incite à découvrir, et ce dont notre âme a besoin de s’enrichir.

Cela ne signe pas pour autant la fin du monde éditorial, car un auteur reste une personne d’écriture, et non une personne de marketing. Rares sont ceux qui maîtrisent correctement l’un et l’autre en même temps. Pour trouver son lectorat, un auteur a besoin de se faire connaître, et les éditeurs, comme n’importe quelle profession actuelle dans ce monde en pleine mutation, sont simplement amenés à évoluer à leur tour. Rien ne sert de s’opposer aux changements technologiques qui s’imposent : réfléchissons seulement dès à présent à comment ils pourront contribuer, à leur manière, à rendre le monde de demain simplement un peu meilleur.

C’est dans l’espace temps qu’on devient écrivain.

On ne devient désormais un auteur qu’aux yeux de ses lecteurs. Mais pour le reste, rien ne change : on ne devient un écrivain que dans la durée, que dans le renouvellement et la multiplication des publications.

Alors écrivons, réinventons nos vies et sublimons nos errances, soulageons les vies difficiles et contribuons à rendre le monde meilleur. Lisons et enrichissons-nous de toutes ces expériences et réflexions partagées. Vivons connectés, vivons reliés. Ouvrons-nous au partage et à la redéfinition du mot « communauté ». La vraie mutation de notre société, c’est celle qui nous porte vers la collaboration. Terminée, l’exploitation de l’homme par l’homme. Nous nous enrichissons tous de nos différences, nous avons tous à gagner du partage de nos compétences. Être un auteur, c’est relever de temps en temps le nez de son texte et voir qu’un monde extérieur s’agite tout autour. Être un lecteur, c’est prendre le temps de faire un point sur sa vie, parfois entre deux mots, parfois entre les lignes.

Nos individualités sont un leurre. Seule l’universalité de nos âmes n’a d’importance, et la littérature n’est qu’un moyen parmi tant d’autres de mettre en lumière cette universalité. L’auteur, en vérité, je crois qu’on s’en fiche !

Charlie Bregman

http://www.amazon.fr/Charlie-BREGMAN/e/B008BQV1LW/

http://www.auteursindependants.com

http://charliebregman.wix.com/la-vie-meilleure

https://fr-fr.facebook.com/pages/Charlie-Bregman-Auteur/460310257356363

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Propos recueillis par Christophe Lucius
Lire la première Tribune ici

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Vous avez raison, Patrice. Ma formulation était maladroite. Ce que j'ai voulu dire était que ce qui m'intéresse le plus, c'est ce qui nous relie aux autres, et non ce qui nous en différencie. Merci pour vos commentaires à tous, et désolé de réagir si tardivement.
Publié le 26 Mars 2015
Je partage votre point de vue. l'important est d'être lu donc avoir des lecteurs et prendre du plaisir à écrire
Publié le 11 Novembre 2014
Une réponse à la fois touchante d'émotion et captivante de raison. Tout en cohérence et en réflexion, on saisit là les enjeux d'un virage numérique capable de bouleverser définitivement le monde de l'édition. J'ai aimé la façon dont vous parliez de tout ceci. Vos mots comme votre texte ont une porté apte à saisir le lecteur. Merci.
Publié le 10 Novembre 2014