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Le 08 avr 2015

Roman. Essai. La vie des autres

« Ecrire sur soi, c’est écrire sur les autres » disait Dubrovski. Cela pose l’importante question de la fiction et de la réalité dans les romans, dans les essais. La licence « artistique » permet-elle de s’inspirer librement des sujets que l’on met dans nos livres ? La liberté d’expression passe t’elle par la liberté totale de création et l’exploitation, même ostentatoire de notre environnement, en particulier la vie privée de personnes proches ou moins proches ? Alors qu'il reçoit le Prix Concours d’avril pour son roman « Dénis, non-dits, mensonges, etc. », Philippe Mangion témoigne…
De l'inspiration à l'indiscrétion...De l'inspiration à l'indiscrétion...

Le romancier est un voleur de vies.

Il puise dans l’histoire et la personnalité de ses proches comme la nuit dans son frigidaire. Pour ne pas qu’ils soient identifiables, il les planquera, sous de faux-noms, dans des physiques méconnaissables. Et si ce n’est pas suffisant, qu’à cela ne tienne, il les enverra dans des lieux où il est sûr qu’ils n’ont jamais mis les pieds.
Ainsi, bien heureux de voir des paragraphes entiers couler de ses doigts en un flot continu, tapotant sur son clavier au rythme d’un danseur de claquettes, le félon tire la ficelle jusqu’au bout du chapitre, dans une économie d’énergie neuronale à faire pâlir d’envie un expert du GIEC.
Mais, imprudent, il se trompe. En écrivant, pour peu qu’il pense assez précisément à sa femme ou son mari, son voisin ou sa tante, sa maîtresse ou son amant, une cousine ou un ami, sans l’ombre d’un doute, des lecteurs proches devineront qui se cache derrière chaque personnage, et en premier lieu à quelle sauce eux-mêmes sont-ils servis.

L'auteur mesure-t-il les risques ?

Naturellement, aucun danger pour les auteurs positifs, les exégètes, les rapporteurs bienveillants du bon vieux temps. Leurs modèles reconnaissants pourront annoncer fièrement j’y suis, la larme à l’œil.
Le sujet ne concerne pas non plus les textes explicites, volontairement provocateurs, vengeurs ou dénonciateurs. Leurs auteurs savent généralement ce qu’ils font. Ceux-là n’auront besoin que de conseil juridique.
Mais pour tous les autres, attention ! Les diseurs de non-dits, les dénicheurs de dénis, les éclaireurs de part sombre, les amoureux de tout ce qui fait de nous des êtres humains, nos petites lâchetés comme nos énormes mensonges, ces écrivains-là peuvent faire du mal, malgré eux, à tous ceux qui sont cachés, découpés, dispatchés dans leurs personnages.

Le romancier vit avec ses créatures pendant des mois, qui deviennent sa réalité.

En Dieu omnipotent il est leur maître. Ils sont à sa merci et il oublie qu’en avatars leur lien n’est jamais coupé avec ceux qui les ont inspirés. Si bien qu’une fois le roman fini, il a oublié toutes les précautions d’usage, il lui est d’ailleurs souvent difficile de se remémorer aisément l’origine de tous les caractères et de toutes les situations.
Bien sûr, pendant l’écriture, il n’est pas question de s’autocensurer, au-delà de la retenue instinctive qui anime, ou non, chacun d’entre nous. Mais avant la diffusion, au minimum faut-il s’imposer un avis extérieur. Demandez à un premier lecteur, personne de confiance, de vous donner sa perception, de vous exprimer son ressenti. Expliquez-lui les liens avec certains personnages réels. Après, vous n’êtes pas obligé de tenir compte de ses avis, mais au moins agirez-vous en connaissance de cause.
En particulier, si votre récit relate un traumatisme vécu par un proche, même si les faits réels sont volontairement transformés, la victime, à laquelle vous empruntez de fait une part d’intimité, doit être prévenue. Cela lui permettra de ne pas tomber par hasard sur le passage la concernant. La décision lui appartiendra alors de le lire ou non.

De l'édition classique à l'auto édition...

Cette disposition paraît évidente pour l’édition classique. Mais dans l’édition libre, la mise en ligne est facile et sans filet, l’exposition est immédiate et directe. L’audience de lecteurs anonymes est difficile à obtenir. En revanche, nos proches, notre réseau, en résumé tous ceux qui ont les meilleures chances de retrouver un trait de leur caractère dans nos écrits, pourront s’y plonger dans les minutes qui suivent. Les erreurs sont rarement rattrapables, alors soyons vigilants.

Philippe Mangion

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Et que dire alors des humoristes qui puisent leur inspiration dans la vie quotidienne ou d'une situation cocasse vécue ??? C'est dans la même pensée.

Et je pense que les idées ne sont pas nouvelles. Elles viennent inconsciemment de ce que l'on a vu, entendu ou vécu et elles ressortent... Sauf la fiction pure, quoique, dès qu'il y a mention de rapports humains, il y a forcément situation déjà vécue. Non ?

Publié le 08 Avril 2015