Les idées noires, elles aussi, sont complices de la Page Blanche. Il n’est pas rare qu’elles interviennent chez l’Auteur lorsque son texte a connu la critique.
Jusqu’alors, vous étiez chez vous dans ce texte, à l’aise ; vous aimiez les recoins des décors, les détails qui paraissaient dans l’histoire et ceux que vous aviez tus, tous les protagonistes étaient vos complices. Désormais, il y a quelqu’un d’autre qui se promène dans vos pages, un intrus, qui prend possession des lieux. On retrouve partout des traces de son passage. N’oublions pas : il existe deux types de critiques. Celles qui dénigrent, et celles qui louent. Les deux peuvent constituer une expérience traumatisante pour l’Écrivain. On se sent tellement nié dans le premier cas, et si déstabilisé dans le second. Le fantôme cessera sa danse si l’on parvient à admettre de considérer toutes les formes de critiques de la même façon. La clef : ne retenir que ce qui est bon.
Personne, personne absolument, ne pourra soutenir que vous n’êtes pas un Écrivain, si vous écrivez et que vous aimez cela.
Qui d’entre nous ne sait pas la différence qui existe entre écriture et publication ? Le refus d’un éditeur ou le doute d’un ami pèsent sur le cœur. Gardez à l’esprit l’idée d’une progression possible, d’une amélioration nécessaire. Vous serez alors à même de retenir, des critiques qui vous auront été faites, les points positifs. Ce qui est plus facile si les remarques vous ont été faites avec respect, dans un but constructif.
Une chose est sûre néanmoins : le plus grand critique de votre livre, c’est vous. Vous seul pouvez le remanier, vous seul pouvez juger si les conseils qui vous ont été donnés doivent être adaptés à votre écrit. L’Auteur a un devoir évident envers ses Lecteurs, mais lesdits Lecteurs sont tous si différents ! Ils traversent, eux aussi, des étapes de leurs vies qui peuvent modifier leurs aspirations profondes. En revanche, (et comme tous les Auteurs sont aussi des Lecteurs, ils le savent forcément), celui qui découvre une histoire a vraiment besoin que son Auteur l’ait assumée d’une part, et qu’il lui ait laissé de la place d’autre part. Soyez donc vous-même le plus fervent critique de vos ouvrages, et cela vaut pour la louange aussi. Quand vous savez votre texte achevé, quand tout vous convient, quand vous ne tiquez plus sur tel ou tel détail, c’est comme lorsque vous avez fini de dresser une table de fête : les invités peuvent entrer. Bien sûr, s’il y en a pour souffler avec condescendance que les nuances à la mode cette année, ce sont le rose saumon et le mauve (alors que vous aviez choisi lilas et violet), et d’autres pour rire sous cape de vos serviettes en éventail, certains seront émerveillés par votre créativité, et recevront votre message.
Il faut bien croire une chose. Un écrit formé avec cœur et de tout cœur, dans le respect de son message propre : a toujours un Lecteur, un Lecteur au moins, qui l’attend quelque part. J’en suis profondément persuadée d’autant que, personnellement, tout écrit, tenu avec conviction (serait-ce la conviction tremblante d’une personne sûre de ne rien valoir) me touche profondément, et me bouleverse. Les vilains petits canards deviennent parfois des cygnes, mais on le dit jamais : on aime aussi les petits canards.
Que vous fassiez partie de ceux qui s’astreignent à travailler de telle heure à telle heure, avec une certaine rigueur, ou de ceux qui saisissent au vol le quart d’heure de libre qui passe ; que vous ayez une expérience en tant qu’Écrivain ou que vos premiers pas soient très récents, vous le savez : on ne force pas un texte à naître. De deux choses l’une, quand un écrit ne veut pas se plier à la volonté de l’Auteur : ou bien il manque à ce dernier une part des outils nécessaires (concentration, temps, renseignements, etc.), ou bien il y a conflit avec le fond du texte en lui-même. On peut n’être pas convaincu comme on le pensait par un message à délivrer, et sans conviction : pas de bonne page. D’ailleurs, il suffit de se fier à cette conviction, pour savoir s’il y a quelque intérêt à s’arc-bouter sur un texte infernal, qui se déplie quand vous le pliez (J sacs en plastique), qui manque de saveur (J café fade), qui s’édulcore chaque fois que vous lui donnez du fond (J messages publicitaires).
S’il y a la conviction, mais pas les moyens, soyez patients. Et profitez de tout ! Griffonnez les bouts de phrases qui vous passent par la tête ! Promenez-vous ! Donnez à votre quotidien l’ampleur nécessaire pour nourrir cette exigence. Ce n’est pas difficile : tout peut servir à vous alimenter.
Pour ne pas se laisser terroriser par la Page Blanche, il existe le remède que tout bon professeur d’équitation vous donnera : remontez dès que vous êtes tombés. Si un projet ne prend pas forme, en dépit de votre conviction, écrivez comme on grignote, ouvrez-vous l’appétit. Ici ou là, sans allure, livrez-vous à un bout de description, montez un dialogue, sur n’importe quel sujet, piochez trois prénoms au hasard, et faites vivre, pour quelques instants, des protagonistes que vous n’impliquerez que dans un fragment d’histoire. Moins inscrit lui-même dans le destin de ces avatars, ignorant de leur progression, de leurs défauts comme de leurs qualités, de leurs réelles aspirations ; débarrassé du contexte, l’Auteur tire un grand bénéfice à s’évader dans ces lignes. Il ré-apprivoise son écoute, il affine ses lignes, il choisit les détails qu’il veut mettre en avant. Il démontre et tronque et démonte et argumente sans complexes et, retrouvant ainsi les valeurs qui le motivent, bientôt l’inspiration coulera à flot dans les sujets qui lui tiennent à cœur.
Un dernier point : la Page Blanche, grève de son propre texte, a toujours un message très personnel à adresser à son Auteur. Avocat, le fameux spectre peut se charger de plaider en faveur de l’entourage de l’Écrivain, ou en faveur de son bien-être personnel. Il peut hanter une œuvre avec entêtement s’il sait que votre mère attend que vous l’appeliez, que vous manquez à vos enfants, que vos amis s’indignent de ce côté bougon que vous êtes en train de vous payer, ou que vous manquez de repos. Un Écrivain seul peut déceler ce genre de raisons dans les ruades d’un écrit. Loyaux et têtus, ces textes si précieux…
Ayant si bien parlé, la Page Blanche va s’évanouir, elle va fondre comme brume au soleil du matin. Si vous l’avez entendue chuchoter, il y a des chances pour qu’elle ne vienne jamais vous hanter pour de bon ou bien, (si elle a déjà frappé), pour qu’elle ne revienne plus jamais.
Remarquons tout de même comme nous sommes complexes, nous, les Auteurs. Tel jour, une Page Blanche nous donne le vertige jusqu’au fond de l’âme et nous laisse défaits, pauvre hères au bord du chemin. Un autre matin, pourtant, nous ne recevrons pas de meilleure promesse qu’elle, vide, vierge, immaculée sous nos yeux, prête à recueillir nos encres et nos doutes, nos merveilles et nos amours. Si la Page Blanche est la plus grande terreur de l’Écrivain lorsque son cœur est troublé, elle est sa plus grande promesse quand il ne fait qu’un avec son Art.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Bonjour. Je me permets de suggérer deux pages sur le sujet qui pourraient intéresser certains d'entre vous : http://laplumedunvoyageur.fr/2017/02/23/syndrome-de-la-page-blanche-les-indes-livrent-leurs-secrets et http://lioneldavoust.com/2017/vaincre-langoisse-de-la-page-blanche-avec-la-methode-pomodoro. Bien cordialement.
Cher @Robert Dorazi ! Charmant ! Des petits pois, une gargouille et du courage ! Savez-vous que vous venez de me donner grande envie d'aller rendre visite à Martin ? J'irai dès que je le pourrai, et je ne manquerai pas de le remercier !
Merci beaucoup, et à bientôt !
Cordialement,
Élizabeth.
Et puis, ce n'est pas pour dire, mais la page blanche c'est tout le sujet de Martin Contremage et le Vol de l'Albatros.
Alors pour lutter efficacement contre ce probleme il suffit d'une gargouille, de quelques petit pois et d'un peu de courage... :)
Et re-dans-le-mille !, cher @fabricio ! Je suis touchée par ce témoignage dont vous nous (me) faites cadeau... Comme aimaient sûrement Victor Hugo et tous les autres, le crissement de la plume sur le papier, que je les aime, moi aussi, ces 'tacatac', et ces 'grigrigri', certes peu mélodieux, mais qui chantent pour nous, dans une langue inconnue, ces merveilles que nous aimons !
Au plaisir de toutes les Pages Blanches qui promettent, le renouveau et la renaissance de nos cœurs...
Merci infiniment pour ce partage, cher Fabricio, je vous souhaite, amicalement, une excellente continuation.
Élizabeth.
Bonjour, @Hubert-P LETIERS, si j'avais su, en soumettant ce texte à monBestSeller, -qui m'a fait le cadeau de le publier-, que je recevrais en retour des commentaires si riches, si pleins et si construits !
Vraie surprise et vrai plaisir de vous lire, cher Hubert, et de me laisser guider le long de vos réflexions...
Merci beaucoup pour ce partage, et pour ce nouveau chapitre !
Amicalement,
Élizabeth.
Elizabeth, c'est si bien formulé. La page blanche est une forme d'attente où je patiente de voir s'animer les lettres de mon clavier, sous un "tacatac" de touches en plastique, bien moins poétique je l'accorde qu'un crayon ou une plume sur du papier. C'est ensuite au tour de l'imprimante de faire son travail, sous un "grigrigri" pas plus poétique qu'un "tacatac", mais tout aussi impatient je suis de l'entendre. Une première impression et tant d'autres avant d'arriver à la fin qui n'est que le début d'une nouvelle ... page blanche.
Très cher @BOSSY, vous me voyez très touchée par votre commentaire. Comme vous avez raison !, et comme je vous comprends...
Dans votre valse folle avec les Pages Blanches, à voir les titres de vos ouvrages publiés, et la qualité de vos commentaires, il doit bien arriver que vous touchiez à l'état de grâce !, sans quoi...
C'est pourquoi j'ai bien hâte d'aller à la rencontre de celles qui un jour, sans couleur, patientaient en tas sur votre aire de travail, et qui prouvent aujourd'hui que la promesse tient bon !
Avec mes sincères remerciements, BOSSY, mes encouragements (si vous en voyez l'utilité !), et mon amitié.
Bien à vous,
Élizabeth.
Cher @Yannick A. R. FRADIN, merci pour cette lecture fidèle et accompagnée ! Ça a été un plaisir, vraiment. MonBestSeller nous offre de belles occasions !
Courons vers ce jour où tous nos verres déborderont...
Très cordialement,
Élizabeth.
Cher @Robert Dorazi, si c'est bien le grand Ernest Hemingway qui usait de ce sage moyen, vous me l'apprenez ! Et je suis heureuse de le savoir car, outre que vous venez d'ajouter une "cinquante-et-unième nuance de blanc" à cet article, je m'organise moi même un peu de la même façon, et vous venez de m'indiquer un ami ! Lorsque j'en ai la disponibilité, du moins, je m'arrange pour laisser mon texte à un endroit où la vie (et le suspense, éventuellement !), bouillonnent et m'appellent.
Vous me voyez ravie d'avoir eu cette occasion d'échanger avec vous et, en vous remerciant pour vos interventions pleines d'intelligence, je vous souhaite bonne continuation...
Bien à vous,
Élizabeth.
Ce n'est pas la Page blanche qui me fait peur, mais bien plus, la pile de 200 ou 300 feuilles que j'ai placées dessous et qui ne sont même pas encore blanches, qui n'ont pas de couleur. A peine as-tu rempli la première qu'une autre se présente, plus têtue , plus exigeante . Le pire, c'est à la fin, quand tu te rends compte qu'il faut tout effacer et recommencer !
Merci pour ce second article sur le sujet de la page blanche Elizabeth. Il y a tant d'éléments qui peuvent "nuire" à la concentration et à l'inspiration, puis mener à la page blanche. Mais tâchons de voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide, comme le suggère votre opposition de terreur et de promesse ;-)
Je me demande si ce n'est pas Hemingway qui evitait ce probleme en s'arretant chaque jour d'ecrire avant d'avoir mis sur papier tout ce qu'il avait prevu d'ecrire. Ainsi le lendemain il savait par quoi commencer et ainsi de suite...