Vous n’avez probablement pas soufflé mot à vos proches de cette nouvelle passion, mais le soir, en vous endormant, vous rêvez de cabane au fond des bois ou de demeure au bord de l’eau dans laquelle vous pourrez couler des jours tranquilles en vous consacrant à votre activité d’auteur, débitant mille ou trois mille mots par jour viennent vents, grêle et marées.
Et vous avez raison. Avec le développement des nouvelles technologies d’édition, que ce soit le numérique ou l’impression à la demande, avec le foisonnement de nouvelles structures éditoriales qui vous permettront de voir vos écrits prendre vie sous la forme d’un ebook ou d’un livre papier, les portes sont aujourd’hui grandes ouvertes à votre imagination et votre créativité.
Mais avant de vous lancer dans ce qui sera sans doute l’un des plus grands défis de votre existence, il convient de mesurer les changements profonds que cette activité engendrera dans votre vie. Le mot « engendrer » est d’ailleurs très apte. De la même manière que le choix d’enfanter une progéniture changera à tout jamais votre mode de vie, l’écriture, si vous décidez de prendre ce chemin, va bouleverser vos habitudes et vous projeter dans un monde nouveau, à la fois solitaire et peuplé d’inconnu(e)s.
Vous pouvez écrire « pour vous détendre », vous amuser ou simplement passer le temps, une fois que vous avez mis le doigt dans l’engrenage, il va falloir accepter de vivre avec votre histoire et vos personnages pour le reste de votre vie. Vous pensez sans doute que j’exagère. Pas vraiment.
Examinons les faits.
Le temps. L’écriture est une occupation qui va absorber plusieurs années de votre vie, et vous devez accepter cela si vous avez l’intention que vos écrits soient lus. Le simple fait d’écrire un roman peut prendre entre un et trois ans. C’est une moyenne. Certains auteurs sont plus rapides mais si vous regardez le rythme de parution des écrivains que vous aimez, vous noterez que la plupart ne publient que 2 ou 3 nouveaux titres par décade. G.R. Martin a mis 18 ans pour écrire les 5 premiers tomes de « Game of Throne » (et ce n’est pas terminé) et J. K. Rowlings a pondu les six tomes de Harry Potter en dix ans, ce qui est considéré comme très rapide dans l’industrie. En vous lançant dans un projet d’écriture ou de publication, vous devez être conscient que cela ne va pas se faire en un jour. Même si votre premier essai devient un best-seller, vous allez devoir y consacrer plusieurs années, entre la publication chez un éditeur, la sortie en poche, les traductions, etc. Donc si l’écriture est une activité qui vous tente, vous devrez accepter de la laisser dévorer une partie de votre vie. Voire le restant de vos jours.
L’isolement. L’écriture est une activité solitaire. Tous les auteurs vous le diront. Ils ou elles ont tous un endroit privilégié, un refuge qui leur permet de s’isoler de la vie quotidienne et de leurs proches afin de pouvoir se concentrer sur leurs écrits. Il va vous falloir tailler une tranche plus ou moins épaisse dans l’organisation de votre quotidien pour laisser la place au travail d’écriture. Si vous aviez auparavant une vie sociale bien remplie, vos amis vont commencer à se demander où vous êtes passé. Ils vous oublieront peut-être. Et si vous n’êtes pas à la retraite, vous allez devoir jongler entre votre activité professionnelle, vos obligations familiales, vos propres besoins vitaux comme manger et dormir, et votre activité d’écrivain. Cela ne vous laissera guère de temps pour des activités sociales. Il est même possible que les salons du livre n’aient d’autre but que de permettre aux auteurs de prendre l’air de temps en temps…
L’immersion. L’écriture a une dimension immersive. Que ce soit durant la période de gestation ou celle de l’écriture, vous allez être en quelque sorte « hanté » par votre roman. Même si vous n’écrivez que quelques heures par semaine, cette activité va absorber une partie de votre existence. Parfois assez importante. La création d’un roman se fait en grande partie dans votre tête et le temps que vous consacrez à écrire n’est que la partie visible de l’iceberg. Que ce soit le travail de recherche et de documentation, les idées qui vont vous assaillir à tout instant de la journée, les moments durant lesquels vous ressassez tel passage ou dialogue, vous allez être aspiré dans vos écrits de façon pratiquement continue. Vous n’êtes plus au clavier ou à la plume, mais vous continuez de travailler. Cela peut évidemment avoir un impact dans vos rapports avec votre entourage à qui vous paraîtrez parfois un peu distant, pour ne pas dire absent.
La vie matérielle. Les écrivains qui s’enrichissent ou simplement vivent de leur plume sont une très petite minorité. En 2013, seuls 4600 auteurs parmi les 101 600 recensés percevaient suffisamment de droits d’auteurs pour en vivre. Le revenu annuel moyen pour un auteur français était alors de 5500 euros. C’est moitié moins que le salaire d’un prêtre. Dans leur grande majorité, et même si personne ne crache sur l’argent honnêtement gagné, les auteurs travaillent d’arrache-pied par passion et par goût pour un salaire symbolique. Ce n’est pas pour vous décourager mais simplement pour faire un parallèle avec le sacerdoce. L’auto-édition a permis d’augmenter les revenus des auteurs en éliminant la plupart des intermédiaires mais, en France en tout cas, aucun auteur auto-édité ne peut encore se vanter d’avoir fait fortune.
Les fidèles. Il y a également un aspect social à l’écriture qui est que, si votre ouvrage a un peu de succès, vous allez générer un certain nombre de lecteurs et lectrices qui vont vous inciter à continuer. Ce ne sont pas forcément des gens que vous rencontrerez mais ils seront là, à lire par-dessus votre épaule et à vous encourager à écrire encore. Même les quelques avis critiques devraient vous inspirer à essayer de faire mieux. Imaginez un instant qu’un auteur que vous appréciez cesse toute activité littéraire. Vous vous en sentiriez frustré. Agacé, même. Donc s’engager dans cette voie contient également une clause invisible. Vous vous engagez également à satisfaire vos lecteurs. Et, pour ceux et celles qui ont apprécié vos écrits, cela signifie continuer à nourrir leur imaginaire en publiant d’autres romans. C’est un point qui est laissé à votre discrétion mais qui n’est pas insignifiant.
Le temps. L’isolement. L’immersion. La vie matérielle. Les fidèles. Voici les cinq raisons qui me font dire que l’écriture est essentiellement un sacerdoce. J’espère que je n’ai découragé personne. C’est une des plus belles aventures qui soient. Mais il convient peut-être, si l’on veut faire cela sérieusement, d’y entrer avec la même détermination qu’on entrerait dans les ordres.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Merci Patrick pour cet article qui met des mots justes et vrais sur "le ressenti" de l'écrivain(e). Ecrire est bien un sacerdoce, mais surtout une passion dévorante qui fait du bien. Bien cordialement.
@Patrick Ferrer votre article me fait du bien, vivre en immersion créative en permanence est normal lorsque l'on a choisit la voie de la plume. De quoi rassurer mon entourage, merci :-)
Comme beaucoup de metiers, lorsqu'on les pratique c'est le plus souvent seul ou en petits groupes. Mais il me semble que cela depend aussi parfois de soi-meme. Je n'arrrive pas a imaginer Simenon ou Balzac en pretres... :)
@colette Bacro. Mais non, Colette , ne soyez pas affligée Votre commentaire subtil et humoristique ne fait que renforcer le sérieux de l'article de Patrick. Et c'est le destin logique de tout homme entré en sacerdoce d'accéder au rang d'archevêque. Il n'y a donc pas de schisme à ce que vous soyez nommée Primat des Gaules et cela ne discrédite en rien la solidité du propos de Patrick.
@colette Bacro. Et Colette deviendra Primat des Gaules !
D'ailleurs, quand on a écrit pendant 50 ans on devient archevêque ou cardinal !
Je suis entré en écriture sur le tard, mais celle-ci m'a poursuivi, hanté toute ma vie. Je peux donc affirmer qu'il s'agit bien d'une vocation.
Mais quand on a décidé de suivre cette voie, il arrive qu'elle devienne un chemin de croix. Il nous faut garder la foi.
Merci pour cet article :-)
Un article très inspiré, et un commentaire très spirituel de Colette Bacro ! :-) Je nous verrais davantage en forçats qu'en officiants de la grand-messe littéraire, mais ma foi, Patrick prêche tout de même une convaincue: écrire, c'est un sacerdoce, rien de moins.
Double merci :
Le premier à Patrick Ferrer, qui grâce à son article, nous fait nous sentir moins seuls. Merci frère Patrick !
Le second à @Colette bacro - Sœur Colette, avec pareil talent, que ne reprenez-vous donc point la plume !
Bonjour Patrick et merci pour cet article. Je partage tout à fait votre avis. Je dis d'ailleurs à mon entourage que je considère l'écriture comme un troisième métier (j'en exerce déjà deux en parallèle). Un sacerdoce. En quelque sorte oui, c'est vrai^^ Si on écrit, c'est avant tout par passion, et si l'on diffuse, c'est par envie de partager. Le parallèle me paraît donc tout à fait pertinent :-) A quand la tenue vestimentaire règlementaire pour les différents stades du métier d'écrivain, depuis la bure de l'auteur en herbe à l'ensemble richement décoré de l'icône médiatique ? Quant au voeu et aux voeux, pourvu qu'ils ne soient pas que pieux :p
En conclusion : que du bonheur !
Voici un magnifique article...qui sent le vécu... :)