Presque 70 ans plus tard, le trentenaire que je suis « entend » Céline par l'entremise de Fabrice Luchini. Je me rue alors sur le bouquin de cet auteur dont j'ignore tout. Rien ne se passe. J'écoute encore Luchini et puis la musique célinienne me prend et je retourne aux bouquins. D'abord Mort à Crédit, dont j'ai appris le début par cœur, parce qu'on n'a pas souvent mis autant de grâce dans le pathétique de l'existence. Et puis le choc littéraire de ma vie. La claque absolue. La merveilleuse violence. Voyage au bout de la nuit. Je lisais ça dans le métro de Montréal, après huit heures de boulot en ligne, derrière les fourneaux de ce restaurant de quartier. Complètement vaincu par la fatigue que j’étais, et ce bouquin, qui est un cri insoutenable a résonné en moi, et jusque dans des recoins de mon âme que je ne connaissais pas. Je devais m'arrêter à presque tous les paragraphes, pour constater la fulgurance qui venait de me traverser. C'en était presque trop.
Je ne savais même pas que j'étais aussi triste avant de le lire. Il y a des douleurs qu'on ignore jusqu'à ce que quelqu'un mette des mots dessus.
Sur la forme, il incarne le travail acharné, la réécriture incessante, la recherche de la bonne musique. Le Voyage, c'est à peu près 8000 feuillets manuscrits, cinq ans d'écriture. Le roman achevé, il ira même jusqu’à une réécriture complète pour faire de Bardamu, plus seulement le héros, mais aussi, le narrateur. Un travail de grande envergure, dont Céline dira qu’il est le cœur même de la qualité de ses écrits, en citant Descartes lors d’une interview : « Je n’ai pas plus de génie que les autres, mais j’ai plus de méthode. » Un style en apparence « parlé » mais qui est extrêmement soigné et fignolé. Un mélange intelligent de l'argot qui se dit, mais qui donne son réalisme au texte dès qu'il est intégré avec génie.
Mais à parler de Céline, on se sent comme obligé d'aborder le sujet de ses écrits polémiques. Pour ma part, le tri a été très vite fait, dans la mesure où le style de Bagatelles pour un massacre, L'école des cadavres, etc.. n'est pas intéressant. Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit sont ses œuvres majeures à mon sens. La morale de chacun ne va pas au-delà de ses choix de lecture. Et puis vraiment, a-t-on besoin d'aimer l'homme pour aimer son œuvre ? Est-ce que les bonnes âmes seules accèdent à l’excellence ? Dois-je aimer mon plombier du moment qu'il débouche mon évier ?
Néanmoins, pour clore sur l'aspect sulfureux de Céline, je tiens à rappeler qu'il n'a jamais collaboré à proprement parlé, comme Mauras et Brazillac ont pu le faire, avec bien d’autres malheureusement, et que pour ces écrits racistes, il fut condamné à seulement un an de prison par contumace.
Un grand roman se fait par son contenu. Il est des œuvres qui s'inscrivent dans un contexte particulier, et dont l'écho s'amenuise dès que ce contexte même change. Et si Voyage au bout de la nuit est un roman époustouflant, si le Bateau ivre de Rimbaud est une fulgurance qui nous dépasse, c'est parce qu'ils sont la quintessence d'un style. Une œuvre géniale prend sa place dans les siècles, peu importe la réputation sulfureuse ou mystérieuse de l'auteur. On voudrait aimer Céline comme on aime son œuvre, mais c'est impossible. Néanmoins, la tendresse immense qui fuse à tous les coins de page du Voyage suppose un tempérament enclin à une grande tendresse. Si Céline est une ordure, il est une ordure avec un cœur sensible à bien des choses. On doit se rappeler la façon dont il parle du « môme Bébert », cet enfant un peu simplet que Bardamu, le héros du Voyage, ne parviendra pas à sauver :
« Sur sa face livide dansotait cet infini petit sourire d'affection pure que je n'ai jamais pu oublier. Une gaieté pour l'univers. »
Il faut également lui reconnaître une compréhension profonde de l'âme humaine, de ses replis sombres et honteux. Céline parle des pauvres gens et de leurs vices sans idéaliser le prolétariat dans l'idée d'un peuple humblement héroïque. Il ne l'abaisse pas non plus. Il décrit les petites gens comme ils sont.
« Le prolétaire, c'est un bourgeois qui n'a pas réussi. »
Et c'est peut être l'auteur chez qui j'ai trouvé l'expression de cette lourdeur de vivre la plus vivace et justement exprimée. La tragédie de l'existence. L'absurdité.
« Y a guère plus lamentable que La Garenne-Rancy, trouvais-je, quand on n'a pas de clients. On peut le dire. Faudrait pas penser dans ces endroits-là, et moi qui y étais venu justement pour penser tranquille, et de l'autre bout de la terre encore ! Je tombais bien. Petit orgueilleux! C'est venu sur moi noir et lourd… Y avait pas de quoi rire, et puis ça m'a plus lâché. Un cerveau, c'est tyran comme y a pas. »
Je pense que peu de gens, moi-même y compris, mesurent l'impact réel de Céline et du Voyage en particulier sur la société française. C'est l'homme qui a amené l'écrit vivant au point où il en est. Et si le journalisme est devenu ce qu'il est aujourd'hui, si les répliques de films ont pris ces tournures, si la littérature s'est attachée à la vigueur d'une langue qui ne sépare plus l'écrit du parler, si elle a compris les trouvailles infiniment riches de l'homme de la rue à travers l'argot, c'est sans doute grâce à Céline.
Céline a près de quarante ans au moment du Voyage. Blessé de guerre. Médecin. Il a vu l'Afrique, New York.
Le petit garçon de Courbevoie est né Louis-Ferdinand Destouches, en mai 1894. Sa mère boite. Il vouera une admiration sans bornes aux danseuses. Il s'engage dans l'armée française en 1914, à l'âge de 18 ans, mais ne connaîtra que quelques mois de guerre à cause d'une blessure. Cela suffira à le marquer pour toujours sur la violence de la guerre, son absurdité, et à faire naître en lui un sentiment anti militaire tenace. Il sera envoyé ensuite dans les colonies françaises d'Afrique noire, d'où il fuit pour rejoindre l'Amérique du Nord. Il y fera la connaissance d'Elizabeth Craig, une danseuse qui sera la passion amoureuse de sa vie.
Il fréquente les milieux collaborationnistes durant la Deuxième Guerre mondiale, et publiera ses pamphlets antisémites (Bagatelles pour un massacre, L'école des cadavres et Les beaux draps). La libération va l'obliger à fuir, ce qu'il fera, en compagnie du maréchal Pétain et d'un petit groupe de dignitaires du régime de Vichy, au château de Sigmaringen.
Il ne reviendra en France qu'en 1951, et publiera la « trilogie allemande » (D'un château l'autre, Nord et Rigodon) où il raconte son escapade au Danemark.
Il mourra en 1961 à Meudon, « en banlieue, mon genre » comme il a pu le dire.
À écouter et à voir
Henri Guillemin sur Céline
Correspondance entre Céline et Gaston Gallimard lue par F. Luchini et D. Podalydès
Premières pages de Mort à crédit lues par F. Luchini
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@zultabix
Bonjour
Vous avez noté le livre de @manuela : ‘Manuel’. A mon tour j’ai e-édité ‘Un Guernica andalou’ dont l’histoire a pour cadre, d’une part l’avènement de la seconde république, et suivi ‘La Desbandada’ lors de la chute de Málaga .
Je suppose que ce roman pourrait vous intéresser, et je reste à l’écoute de vos remarques.
Michel
(je me propose aussi de lire, lors de mes veillées, ‘les classiques : Louis-Ferdinand Céline et moi’)
@lena ache
Eh bien, je vais t'en apprendre une bien bonne, il s'est essayé au ballet ! :)
« Je suis particulièrement fier de mes ballets. Autant mes livres, mon Dieu, je les trouve pas mal, mais les ballets, je les trouve très bien » Dixit Céline, sur un ton gouailleur, dans un entretien accordé à Georges Conchon en 1958, année précédant la parution de ses Ballets chez Gallimard. On sait combien Céline était fasciné par la danse et les danseuses. Dans Bagatelles pour un massacre, il publie trois arguments de ballet qu’il n’aura de cesse de soumettre à des directeurs de théâtre. À son grand dam, ces ballets ne seront jamais mis en scène. Toutes ses tentatives ne sont pas encore connues. Ainsi, sait-on qu’il avait prié une danseuse russe de proposer Voyou Paul. Brave Virginie au Théâtre Royal de la Monnaie, à Bruxelles ? Vainement, une fois encore… Après la guerre, réunir en un recueil l’ensemble de ses ballets est un projet qui lui tient à cœur. Il s’en ouvre auprès de Roger Nimier en juin 1958. D’emblée, il envisage une édition de luxe illustrée. Au départ, il avait songé à Édith Lebon, née Follet, sa deuxième épouse, pour illustrer ces textes. À son propos, les éditeurs de la correspondance de Céline dans la Pléiade indiquent qu’elle avait collaboré à une revue enfantine, La Semaine de Suzette. Certes, mais elle avait aussi illustré avec talent avant-guerre L’Art d’Aimer, La Princesse de Clèves, Les voyages de Gulliver et Le Spleen de Paris. Las ! Elle déclina la proposition de Céline qui songe alors à Éliane Bonabel. D’autant qu’en 1937, elle avait réalisé une vingtaine de jolies aquarelles pour les costumes de tous les personnages du ballet Naissance d’une fée. « Je me suis assuré le talent de ma très ancienne petite cliente (de Clichy) Éliane Bonabelle [sic] elle est disposée et ravie d’illustrer mes quatre ballets et le film. », écrit-il à Roger Nimier le 13 août 1958. Il y a quelques années, Gallimard a réédité en un volume les Œuvres pour la scène et l’écran avec, pour Secrets dans l’île [1936], Scandale aux Abysses [1950] et Foudres et flèches [1948], les variantes apparaissant sur les manuscrits. Le préfacier relève que « dans La Naissance d’une fée, on retrouve la tragique jalousie [apparaissant déjà dans Secrets dans l’île, ndlr] d’une femme envers une rivale, danseuse cette fois. Mais tout le ballet est féerique. Dans Voyou Paul. Brave Virginie, Céline donne une nouvelle fin au roman. Paul est envoûté par une sorcière mais c’est pour Virginie que l’histoire se termine mal. Dans Van Bagaden les danseuses-parfumeuses introduisent le personnage principal, l’armateur Van Bagaden qui n’est pas sans annoncer Van Claben, le « prêteur sur gages et sur parole » et les docks de Guignol’s band. » Voilà pour l’aspect factuel des trois ballets issus de Bagatelles. Bien évidemment, ils n’ont pas manqué de faire l’objet de savantes interprétations par les exégètes de l’œuvre : « Les arguments de ballets sont assez déroutants à première lecture, mais trouvent une fonction dans cet édifice". Tout autant, il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Je posterai très prochainement un texte portant pour titre "L'Homme de Mèche", et tu comprendras alors ce que je pense du National-socialisme qui s'est refait une petite santé à travers l'Europe et aux States depuis quelques temps. Bien à toi !
@Zultabix. Comme disait un plombier d'Auchwitz « Oh moi, je ne m'occupais que des tuyaux » .Il y a un temps pour tout, où on parle avec ses tripes, avec sa tête ou avec ses pieds . L'indignation n'a d'efficacité que lorsqu 'elles est fortement armée, la noirceur humaine ne demande qu'à s'exprimer, sous toutes les formes, de préférence les plus abominables. Un seul épouvantail tient, depuis 60ans, les grandes nations éloignées des grands conflits, la peur de l'anéantissement total, la peur nucléaire. Seuls subsistent les affrontements périphériques, de la Libye à la Syrie, pour tester le matériel, de préférence avec dommage collatéral., avec toujours le même but, l'énergie, uranium et pétrole. Avec en représailles, des attentats, qui permettent la manipulation par la douleur et d'imposer aux peuples toujours plus de surveillance. Pour sortir de la littérature, des grands pessimistes comme Capra ou Wilder se sont frottés à la comédie, après le « Voyage » Céline aurait du essayer la comédie musicale.
@Zultabix : oui, je m'en doute bien, mais aujourd'hui je ne suis plus sûr d'avoir envie de les lire.
@PhilippeMangion
Les pamphlets, on les trouve sur le net en PDF !
@lena ache
Ne me fais pas un cours d'histoire ! Parle avec tes tripes !
@A,K Guettaf . Céline n'était pas le seul pacifiste dans les années 30, tout le monde l'était, en France et au Royaume-Uni, il a fallu attendre 37/38 pour commencer à comprendre que ce qui se passait outre-Rhin n'était pas juste de la gesticulation, et réarmer. Quant aux industriels et aux gens d'argent, pour imposer la guerre, il leur faut un vecteur, cette fois-ci le peuple allemand, humilié par le traité de Versailles, qui n'attendait que le moment de se venger.
Merci pour cet excellent (et courageux) article et le débat qu'il a ouvert. J'ai lu Céline entre 25 et 30 ans, il y a donc longtemps, à part les pamphlets qu'à l'époque je n'avais pas trouvés. Sa lecture m'avait énormément marqué. Sans entrer dans l'analyse comme la rubrique et les commentaires le font ici avec pertinence, voici les mots, les lieux et les impressions que non seulement ma mémoire a oublié d'oublier, mais qui me reviennent fréquemment par association : Rigodon et gourgandine, le passage Choiseul, Meudon, les bals, l'impression que tout tourne, les mots et les corps jusqu'à l'évanouissement, Houellebecq pour la proximité, Sartre pour le contraste. Par hasard, j'ai lu la "trilogie allemande" en même temps que la trilogie de Sartre "Les chemins de la liberté". Quel écart ! Mieux qu'une année étude pour une immersion psychologique dans la Seconde Guerre Mondiale.
@lena ache
Temps privilégié pour l'Occident, jolie rémission des péchés où fleurissent l'ataraxie pour les uns, l'engourdissement pour les autres, où se pavanant justement dans la légèreté, la fantaisie futile, les Américains, les Berlinois, les Gaulois d'aujourd'hui ne valent pas mieux que les planqués de 14.
L'iPad, l'Androïd en main, nous inhalons à petites bouffées tranquilles notre confortable déshumanisation. La Syrie, l'Irak, le Yémen sont à feu et à sang, et nous restons peinardement debout, assis ou allongés selon le degré de gentille arthrite qui chloroforme chacun d'entre nous. Nous clamons courtoisement notre honte, notre impatience à voir l'enfer d'Alep cesser, Boko Haram arrêter de torturer et de violer de jeunes vierges Nigérianes, en nous calfeutrant dans l'indécence d'une indignation personnelle qui n'a pour réel effet que de nous consoler de notre impuissance. Qui croira dans un siècle que le monde dit libre était si libre que cela au moment du carnage ? Jusqu'où, jusqu'à quand l'impuissance nous donnera t-elle le droit de dire notre honte, d'ajouter notre bruit aux cris et aux râles des agonisants ?
Jusqu’à quand un haut responsable des Nations Unies aura t-il le droit de couvrir l’imposture qu’est devenu cet organisme en usant de mots qui ressemblent aux nôtres ? Si notre indignation devient un remède à notre impuissance, et rien d’autre, alors nous aurons renforcé le bruit au lieu de briser le silence.
Céline, lui, a osé ouvrir sa gueule, en son temps. Il a connu ce que ni toi ni moi n'avons connu, à savoir deux conflits et non des moindres, les deux premières guerres mondiales.
Il a alerté, tenté de réveiller le mammouth pris dans les glaces, il a hurlé dans les bronches de ces millions de peaux à moitié mortes qui clapotaient dans l'inertie.
Il faut avoir lu « Le feu » d'Henri Barbusse, « Ceux de 14 » de Maurice Genevoix, « Orages d'acier » de Ernst Jünger, il faut avoir envisagé ces milliers d'assauts-suicides (bien avant les kamikases Japonais, bien avant les Fous de Dieu de Daesh) commandités par la bourgeoisie pétocharde, avoir envisagé ces monceaux de barbaques sacrifiées des colonies, écrasées comme autant de cloportes sous le talon de l'officier aux ordres de la Folie Capitaliste, pour mieux comprendre ce que tous les Poilus ont traversé d'horreur, d'affres et de dégoût, jusqu'au supplice, jusqu'au marasme.
Alors oui, tout à fait d'accord avec toi, il faut des écrivains qui racontent le chant du merle sur la branche au point du jour, il faut des écrivains assez sensibles pour raconter la langueur des asphodèles aux flancs des montagnes, il faut des photographes de renom pour tirer le portrait de ces sublimes anorexiques qui trébuchent sur les podiums de la "Fashion Week", mais il faut aussi des écrivains qui nous rappellent avec force que l'homme est fait d'eau, de sang et de merde, lequel lorsqu'il chie, dans son froc ou sur les autres, ne chie pas que des roses !
Je pense pas que ça soit tout à fait exact comme analyse. Oui, le côté fouille merde est omniprésent chez Céline mais ça n'est pas que ça. Et puis, je pense qu'écrire sur les futilités et les choses légères, certains font ça très bien, mais ces derniers, le temps a bien souvent raison d'eux. Et puis, être contre la guerre en 32 comme il l'a été, sachant ce qui a suivi, je ne crois pas que c'était un postulat dans l'ère du temps à cette époque. Et même aujourd'hui, beaucoup de gens pensent que les deux guerres sont le fruit des vilains allemands qui voulaient notre accès à l'océan, et ignorent encore qu'on a fait la guerre à cause d'une pognée d'industriels et de gens d'argent.
C'est un drôle de type. Il n'a pas la moindre empathie pour lui-même, n'en est pas dépourvu pour les autres. C'est un légiste, il dissèque un caractère comme un intestin, tout y est gluant, tripes et boyaux n'ont de réalité que pleins de merde. C'en est fatiguant, le « Voyage » est très habile, il est arrivé à un moment où, après le grande guerre, on ne pouvait plus ignorer la grande barbarie. Que le chevaleresque de la guerre , que l'uniforme scintillant n'étaient que maquillage grossier sur l'âme noire de l'humanité. Mais c'était aussi un notable ( un médecin à cette époque ne pouvait que l'être) , il ausculte sans participer, son séjour en Afrique ou à NYC ne sont qu’anthropologie, il ne les vit pas , il les analyse, il se traîne comme accablé d'un poids, d'une faute inexpugnable. Bref, il m'emmerde, il enterre toute légèreté, toute fantaisie futile, toute beauté fugace et fragile. Non, M . Ferdinand, l'homme blanc n'est pas mort à Stalingrad, il y est ressuscité..
Le "problème" à mon avis avec Proust et la Recherche, c'est qu'il faut lire tous les livres sinon on passe à côté du chef d'oeuvre. Malheureusement je me suis arrêté après Un amour de Swann. J'ai ouvert A l'ombre des jeunes filles en fleurs, mais le courage m'a manqué pour aller plus loin. Peut-être plus tard.
@Zultabix Désolé, j'avais pas vu tellement j'étais pris dans cette joute verbale d'une qualité à couper le souffle. Tu veux de la tartine, j'vais t'en filer pour des petits déj sur 3 générations, c'est dit! @jezzabel Dentelle soit, mais moi je suis plutôt bure et gant en crin. J'ai essayé Proust, mais après avoir relu trois fois la même page à laquelle j'avais rien compris, et m'être rendu compte qu'il y a avait même d'images de surcroît, je l'ai mis de côté. Ça n'enlève rien au fait que c'est un auteur immense, c'est juste pas ma came pour l'instant.
@A.K Guettaf
Certes, certes, mais tu as encore omis de répondre élégamment à mon post-scriptum ! Rédigé, il est vrai, le plus souvent hâtivement, le post-scriptum témoigne d'un oubli, et doit donc être réservé à un cadre informel. Toutefois, son usage peut aussi se faire en dehors de toute considération pratique, par exemple lorsque son auteur désire ajouter un détail qui n'est pas directement relié au sujet du message principal, et qui pourrait rendre sa lecture moins fluide : le post-scriptum s'apparente alors à une note de bas de page, que je t'invite par conséquent à relire dans mon dernier post, au cas où tu l'aurais pris pour un point final ! :)
J'opposais juste la vivacité du style de l'un et la lourdeur syntaxique de l'autre. Je trouve ça fou qu'un siècle accouche de façons si différentes. Et je disais que la messe était était dite rapport à la citation de Céline que je trouve drôle. Et puis merde, j'a l'impression de me justifier alors que l'opium de Proust ( faudra en reparler de ça @zultabix) ne me fait rien, d'autant que ma dernière folie en matière drogue a été un perrier chaud au goulot. Bisous des Carmel @jezzabel, on a droit qu'à 20 min de wifi par jour.
On ne peut comparer le blanc et le noir, la ganterie au Point d'Alençon aux moufles, les Beatles aux Stones. Céline et Proust ne se soulageaient pas dans les mêmes pissotières. L'un écrit avec ses tripes quand l'autre écrit avec ses sens. L'un est oisif, se drape de velours comme un bibelot chinois, déguste au Ritz, divague sur son passé au gré de ses insomnies, mais sans rémission, jusqu'à l'incandescence (n'oublions pas qu'il s'est tué à la tâche lui aussi en mettant le point final à "La Recherche"), l'autre est grand voyageur, a les pieds dans la boue, les mains dans le pus et les bubons du populo, mais tous deux étaient dans leur style respectif d'inouïs dentelliers harmonistes. L'un a embrassé et étrillé le monde bourgeois depuis sa piaule, l'autre a eu besoin de gambader à travers les barbelés de l'éther pour aller voir si la saloperie humaine faisait bien le tour du globe. Ils n'avaient pas le même tempo, mais ils ont sacrifié l'un et l'autre leur paillasse au nom de la littérature, comme leur muses semblaient les asticoter à coups de petits tridents dans les doigts à chaque heure de leur vie. Il va de soi que Céline vous rentre directement dans les veines à la manière d'un shoot de speedball et que les effets que procurent la lecture de Proust sont beaucoup plus comparables à une suave et lente fumette d'opium (cette image est pourrie et s'adresse exclusivement aux junkies, désolé). Bref, ils ne s'insinuent pas en nous avec la même force, mais s'impriment là encore durablement dans les synapses. Perso, j'ai mis plus de vingt piges à rentrer chez Swann : je lisais, je recrachais, je lisais, je recrachais. Et puis un beau jour, lors d'une lecture dans une vieille librairie, j'ai entendu Proust. Les lecteurs au nombre de cinq se relayaient qui lisaient en boucle "La recherche du temps perdu" depuis trois ans. Et là, ce fut le choc auditif, le grand frisson dans la couenne. Je me dandinais dans mon fauteuil à la manière d'une pucelle traversée par un petit feu dans les ovaires. Moi, le couillon saturé de préjugés, j'avais été vaincu. Alors, je te dirais simplement ceci, tente l'audio Guettaf, mets-toi dans ton plume, ferme les paupières et tente l'audio. Proust, ce n'est pas le voyage au bout de la nuit, c'est le voyage à l'intérieur de tes premières sensations d'enfant, c'est entrer dans la peau d'une libellule, d'une étang, d'une roseraie, d'une chemin, d'un parfum, tout cela exactement au même instant. PS : Tu me demandes en MP de t'en mettre une tartine sur mes transes céliniennes, et je n'ai que nib en retour. Pourquoi cette aphasie soudaine ?
Tout ce qui touche de près ou de loin à l'écriture a subi un bouleversement après Voyage au bout de la nuit. Cela va plus loin que la littérature, et s'étend jusqu'à la langue elle-même. J'ai du mal à croire d'ailleurs qu'il ait été contemporain de Proust, tant leurs styles diffèrent et s'opposent presque. Voilà ce que dit Céline dans le voyage sur Marcel: "Proust, mi-revenant lui-même, s'est perdu avec une extraordinaire ténacité dans l'infinie, la diluante futilité des rites et démarches qui s'entortillent autour des gens du monde, gens du vide, fantômes de désirs, partouzards indécis attendant leur Watteau toujours, chercheurs sans entrain d'improbables Cythères." La messe est dite.
Merci à l’auteur @A.K Gettaf pour ce texte pertinent sur Céline. Cinq ans d’écriture, voilà ce qui différencie les (vrais) écrivains qui laissent des œuvres marquantes et s’inscrivent dans ce que l’on peut appeler littérature. Céline, c’est un style, qu’on aime ou pas, mais c’est aussi un homme qui a vécu. Le médecin n’a pas disséqué l’âme humaine dans de la confiture de rose. Sa plume nous transporte dans ce voyage dont on ignore la destination et peu importe, on est entrainé dans le mouvement de ses mots. Pour ma part, la première partie du Voyage m’avait fatiguée, j’ai bien failli descendre en marche alors j’ai fait une halte et puis je suis remontée dans le train… c’est à partir de l’Amérique que j’ai vraiment pris part à l’aventure. J’invite ceux pour lesquels le livre pourrait tomber des mains à dépasser la première partie (surtout pour les femmes parce que ça se passe pendant la guerre) mais à poursuivre le chemin. Quant à l’homme, Céline n’écrivait pas pour se faire aimer… il mettait ses tripes sur la table. Céline ce n’est pas du chichi. Et quand je pense qu’une écrivaine (je fais exprès d’employer cette appellation que je déteste par ailleurs) connue et reconnue a cité une phrase de Céline sans mentionner l’auteur dans son livre, et dire que ça aura échappé à son éditeur (!!!) … il se trouve que je lisais son livre et le Voyage en parallèle et que je venais de lire cette phrase la veille, je l’avais donc parfaitement à l’esprit.
Cela t'apprendra à raconter des craques et des menteries qui sont fausses ! :)
@jezzabel Oui, moi aussi, je ne faisais que plaisanter.
Des menteries et des craques, j'en ai entendu, comme tous les pékins, des vertes et des pas mûres. Mais celles-ci sont plutôt royales. :) Pas plus tard qu'hier, la rayonnante dévergondée me pousse au fion par MP que j'écris trop ou trop vite et que la qualité de mes derniers textes s'en ressent un tantinet. Et pis, v'là-t'y pas qu'elle s'improvise soudain conseillère littéraire, et me déballe sa biblio intime afin de vérifier la taille de mon kiki de lecteur. Honnêtement, lorsque l'on ne sacque pas autrui, vous croyez qu'on peut être aussi attentionnée avec l'objet de son ressentiment ? J'ai de gros doutes ! Avec Jezzabel, faut se méfier, selon la force et l'oblique du crachin du jour, c'est toujours un peu la vérité, radieuse, et le mensonge, inéluctable, assis côte à côte. Elle cabotine comme Cabotin et se dandine comme George Dandin. De mon côté, j'ai pas les chocottes de claironner en public que je l'aime bien la gosse. Elle le sait l'oublieuse et elle en abuse. Je n'ai pas sa pudeur d'ursuline pour dire tout haut ce que mon coeur bat tout bas. C'est un phénomène et je n'ai jamais craché sur les phénomènes. Maintenant, de là à composer pour Céline un compliment de concert, avec cézigue, y aurait sans doute des convenances à ne pas dépasser quand même. Je crois deviner d'avance où ce genre de quatre mains nous mènerait... directement dans la culotte ! :) Ah là encore, je n'invente pas ! Elle me le dit toujours et de fort belle manière : y a pas plus "con" que moi ! :) Comme on dit, chatte et chien, c'est souvent comme cela que s'entendent frère et soeur ! :)
Ah, Jezzabel... Nous sommes, semble-t-il, sur un fil de discussion public, et par conséquent je ne pensais pas mon intervention déplacée. Je me mêle juste de littérature. Rien de plus. @jezzabel Vous êtes une fine plume, une grande praticienne de la langue (française), mais question urbanité, vous ne valez pas un pet. Peut-être à une autre fois, lorsque vous serez de meilleure humeur.
Un article qui vibre à chaque ligne de la passion encore tout émerveillée de la découverte ; je le vois comme une authentique déclaration d'amour à la littérature. Superbe, merci M. Gettaf :-)
@Zultabix et @jezzabel
Vu qu'on peut traiter le sujet plusieurs fois, ça vous dirait à tous les deux, de nous offrir un "quatre mains" ? Votre amour pour les mots de Céline ferait merveille, j'en suis sûre !
Amicalement, Marguerite
Plus qu'un écrivain ! Une conscience !!!
@jezzabel Et oui molière, forcément et La fontaine que Céline mettait au plus haut firmament des stylistes.
@jezzabel
Arrête de me copier cinq minutes. C'est moi que j'ai dit "17 ans" en premier. J'avais même 16 piges pas tout à fait et demi, NA !!! Sinon, of course my dear, pour "Guignol's band". Et aussi "L'église", "Entretiens avec le professeur Y". Faut tout lire, pour bien comprendre. Un pur génie ! Lapalissade, rien à battre, je dis et je répète, sans doute le seul avec Hugo ! Céline, il te rentre par tous les pores, pour la Vie. T'as beau chier des millions de fois, il te ressort jamais du cul ! :)
L'exemple le plus éclatant du syndrome Dr Jekyll et Mister Hyde. Le plus grand écrivain français du 20ème siècle qui a, on ne sait toujours pas pourquoi, écrit des choses atroces. Oui, étrange, très étrange, comme le cas de Jekyll et Hyde.
Grand dévot de Céline depuis 40 ans, je connais tout de lui ou presque. Scintillement des éons ou saut à pieds joints dans les Ténèbres, il est l'un des rares romanciers à avoir exploré la pénombre des âmes de ses semblables, totalement à poil et de plein fouet.
On ne peut pas bien écrire sans mettre son coeur sur la table et envisager sans fioriture sa propre pourriture. Celui qui me contredira, ou se prendra pour un Saint est le pire des salauds !
J'ai eu grand plaisir à lire ta tribune, vieux. Cela m'a provoqué le même tsunami émotionnel que lorsque j'ai découvert "cet inouï machin d'humanisme" à l'âge de 17 piges. Si j'accepte aujourd'hui de vivre encore dans cette charognerie latente, dans cet insidieux enlisement d'insecte, c'est sans doute grâce à Céline. Il m'a ouvert grands les yeux, les branchies, les ventricules et m'a fait gagner 40 piges sur mon acuité et mon dégoût de la duperie. Mais il m'a fait gagner aussi en Lumière, en fabuleux espoir, en joie irraisonnée, déraisonnable. Je suis mort en 14 dès les premières pages du "Voyage", pour mieux renaître à l'intérieur de mes propres pensées. Céline a construit une grande partie de ma vie. Il est en cela mon démiurge. Je le lis encore et toujours et le lirai jusqu'à la fin ! Les cons croient en Jéhovah, en Allah, en Jésus, moi, grâce à Céline je crois encore en l'Homme, malgré tous ses travers, ses défectuosités, ses impuretés, ses fièvres, ses caprices, ses frénésies. Ah, je m'arrête là, avant que la passion m'emporte et ne me fasse cracher sur bien des livres ineptes et indolents. Si tu veux en causer plus avant, voici mon mail : cad.eau@hotmail.fr - Bien à toi ! PS : j'ai un peu côtoyé Luchini, du temps où il bossait avec Rohmer. Je n'ai pas l'âme d'une midinette, mais au théâtre je n'ai que deux idoles : lui et Philippe Caubère. Un type qui aime Céline comme Luchini ne peut pas être un pédant ordinaire, mais seulement un pudique cabotin humaniste. Luchini ne triche pas, il est exactement comme cela dans la vie. C'est un très très grand amoureux des mots et du coeur des hommes ! Et surtout un formidable passeur d'émotions ! Puisque nous n'atteindrons pas avant un siècle ou deux encore ce niveau d'excellence, soyons des ponts, les amis, soyons au moins des ponts !