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Du 28 oct 2019
au 28 oct 2019

Auto-édition : la liberté d'oser

C'est un grand ballon d'oxygène dont nous fait profiter Abdesselam Bougedrawi. Arranger les règles, réinventer une grammaire, des temps. Pas pour le plaisir d'abolir l'ordre établi, simplement pour le plier aux exigences de l'écrivain, aux nuances de la temporalité, de la durée ; des nuances essentielles qui modifient la notion de la durée, du relatif, de l'absolu, de l'espace donc... Et si l'auto-édition était aussi un champ expérimental ? On peut rêver.
Refondre les règles pour servir la littératureRefondre les règles pour servir la littérature

Ce passé simple que je ne saurais écrire. 

Les richesses de langue ne sont-elles pas paradoxalement un frein à l’écriture ? Il est question ici d’écriture de romans, de fiction, de récits ; de tout ce qui demande une création et une discipline dite littéraire.

 Les règles, qui au départ ne devraient constituer qu’un outil, ne deviennent-elles pas au contraire un carcan entravant toute originalité dans le récit ? Une langue peut-elle restituer toutes les nuances qu’un auteur veut transmettre à ses lecteurs ?

Il est évident pour moi, auteur indépendant, que les mots, les règles deviennent insuffisants pour transmettre, de façon au moins la plus proche possible, mes pensées. Il m’est arrivé de buter durant des jours, voire plusieurs semaines sur la première phrase d’une aventure de Sherlock Holmes. Tout simplement parce qu' aucun temps ne pouvait reproduire exactement ce que pensait le Docteur Watson à l’évocation nostalgique de son ami.

Être un auteur indépendant me permet d’utiliser des phrases qui sortent des standards d’écriture

Aussi, le fait  d’être un auteur indépendant me permet d’utiliser des phrases qui sortent des standards d’écriture que nous imposent les spécialistes de la grammaire, de la linguistique.

Du fait même de cette standardisation de l’écriture, il m'est difficile de lire un auteur au-delà de la cinquième page. Même ceux qui ont reçu de grands prix prestigieux. Les phrases se ressemblent, souvent les mêmes, parfois insipides. Je me retranche alors sur certains auteurs que je lis et relis avec le plaisir. Mais jusqu'à quand ?

Cet article n’est pas un cours de grammaire, je n’en ai pas la compétence. Ce n’est pas non plus une critique des règles de grammaire. Il n’est pas question non plus de ne pas les respecter. Ce dont il est question, c’est, du moins dans le cadre de l’autoédition qui nous laisse je l’espère de la liberté, d’oser une autre utilisation des verbes et des mots. En tout cas en ce qui me concerne, cette utilisation atypique des temps des verbes me permet de mieux transmettre ma pensée aux lecteurs. Tout en sachant bien évidemment, que j’aurais à subir à des critiques acerbes. Aussi cet article est là pour donner quelques explications concernant ma façon d’écrire. Je ne sais pas si d’autres auteurs indépendants vont se reconnaître dans mes propos.

La grammaire ne devrait-elle pas s'adapter à ma façon d'écrire et non l'inverse

Les règles de grammaire sont avant tout des outils pour transmettre un récit cohérent à nos lecteurs. Cet outil doit s’adapter à notre façon d’écrire et non pas le contraire. Justement le danger est que nous changions nos phrases pour les adapter à une règle pour vouloir écrire comme les autres. Et les autres ce sont évidemment les écrivains à succès. En agissant de cette manière, le risque est grand. D’une part des récits deviennent stéréotypés et indigestes, d’autre part, seuls pourront écrire ceux qui ont fait des études de linguistique. Autant lire le Bescherelle ou le Bled pour passer le temps.

La première chose sur laquelle je porte un regard différent et ce que l’on appelle pudiquement la temporalité. S’il est vrai que dans une logique de narration, une action survient après une qui lui est antérieure, toutefois, cela ne signifie nullement que cette d’action soit faite avec la même célérité. Le temps en lui-même n’existe pas. Il n’a d’existence que par sa codification par les instruments de mesure : montre, Smartphones, matin, nuit. Ainsi, s’il fait jour en France, il fait nuit dans un état américain ou russe. Ceci pour montrer que le temps n’est pas universel.

La temporalité n'a qu'un sens relatif

Dans un récit, il existe plusieurs niveaux de temps ou de temporalité. Le temps où se situe l’histoire évidemment quand il est défini ; le temps qui compte pour un personnage qui n’est pas forcément le même pour un autre. Et surtout, le temps du narrateur lui-même. Tous ces temps que suggère l’écrivain, ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux du lecteur. Ainsi un lecteur peut penser que l’auteur n’arrive pas à maîtriser la temporalité voire la chronologie. Cette façon de penser du lecteur est induite par des habitudes de lecture acquise au fil des années. Voir induites grâce un formatage de la pensée. Formatage ou lavage, qui font que l’on va rejeter tout ce qui sort de l’habitude d’écriture. Et évidemment les commentaires négatifs en conséquence.

Dans mes récits, je fais appel à l’intuition de mon lecteur

Examinons quelques temps : le passé simple

J’ai une grande aversion pour le passé simple. C’est un temps qui manque de poésie. Il y a un diktat de ce temps. Ainsi les verbes se suivent sont tous au passé simple. Ce n’est certainement qu’un usage, mais un usage qui rend les phrases sèches. On peut très bien imaginer un personnage qui effectue trois ou quatre actions brèves, mais la cinquième plus longue qui exige l’emploi de l’imparfait. Ou d’autres audaces linguistiques.

La temporalité exige un passé antérieur suivi d’un passé simple. Tous les manuels de grammaire que j’ai consultés, et même ceux en date de XIXe siècle, donnent des exemples du passé antérieur suivi du passé simple.

Voici une phrase de Gracq trouvée dans un livre de grammaire :" Quand il eut soufflé la bougie, tout changea." 

Cette phrase parfaite du point de vue de la grammaticalité, mais elle est creuse, pour moi, du point de vue stylistique et esthétique. Ce genre de phrases est nécessaires pour traduire des actions, mais leur répétition au fil de l’écrit, rendent le récit bien triste.

Peut-on écrire : Quand il eut soufflé la bougie, tout changeait.

 Il s’agit là du genre de phrase que l’on trouve rarement en dehors de certains grands écrivains tels que ce Georges Simenon. Il est évident que les deux phrases ont un sens diffèrent. Mais si vous voulez utiliser une phrase pour décrire une situation bien particulière, où subitement tout a changé de façon durable juste au moment où cette personne a soufflé les bougies. Que faire ?
Probablement un auteur de peur de commettre une erreur de syntaxe, va utiliser une paraphrase : Apres avoir soufflé la bougie, tout changea. 

Personnellement, je n’utilise pas de paraphrase, ou ne le fait pas que dans de rares circonstances, pour éviter des confusions. Je reste à cet imparfait si le sens le commande. Certains vont dire que c’est une bourde grammaticale. Après tout !

Dans mes récits, je fais appel à l’intuition de mon lecteur, qui au-delà même de la structure des emplois atypiques, va percevoir une nuance bien particulière. Or justement cette intuition s’est émoussée au fil des ces écriture que je ne cesse de qualifier d’insipides et tristement les même.

L’usage de l’imparfait et du plus-que-parfait.

L’imparfait est le temps par excellence de la poésie. Il est le temps de la nostalgie. Le temps de ce qui a été et qui n’est plus. Il porte en lui une valeur qui induit les rêves de la nostalgie, les regrets.

Il arrive souvent et surtout dans mes derniers récits du commissaire Becker, que j’emploie l’imparfait au lieu du passé simple. En réalité, c’est un imparfait de la description. Il s’agit pour moi d’arrêter une action pour faire une pause et décrire ce que fait exactement mon personnage. 

Voici un extrait du domaine Moriarty que vous avez peut-être lu ici même. Toutes les actions antérieures sont écrites au passé simple. 

Un petit chemin bifurquait, nous le suivîmes pour finalement aboutir à une clairière avec en son milieu une cabane en bois.

Holmes était excité, il parcourait le terrain dans tous les sens. Il pénétrait dans la cabane à maintes reprises, s’arrêtait à plusieurs endroits pour éclairer le sol, les arbres, les buissons. Je le voyais mettre un morceau de tissu dans sa poche.

Au lieu du passé simple : 

Holmes était excité, il parcourra le terrain dans tous les sens. Il pénétra dans la cabane à maintes reprises, s’arrêta à plusieurs endroits pour éclairer le sol, les arbres, les buissons. Je le vis mettre un morceau de tissu dans sa poche.

En fait, c’est sciemment que j’ai écrit ce passage imparfait ; Watson  fais une pause dans le récit pour décrire ce que fait exactement en ce moment Sherlock Holmes.

Je viens de publier deux enquêtes du commissaire Becker un personnage de ma création. Il s’agit d’un homme de 56 ans, qui n’aime pas les enquêtes judiciaires. Il n’aime que la tranquillité et la vie familiale. Il se trouve ainsi malgré lui embarqué dans des enquêtes invraisemblables. Aussi certaines de ces actions ne sont pas au passé simple comme le voudrait l’usage, mais à l’imparfait. Ainsi, il n’entra, pas il entrait. Parce que les actions de cet homme d’un certain âge sont accomplies de façon lente. Le temps pour cet homme n’est pas le même le temps que pour ses collègues plus jeunes. Ainsi l’inspecteur (qui est jeune et impétueux)  entra, mais Becker homme nonchalant, entrait 

On peut également disserter sur le choix des mots. Ainsi les cheveux sont noirs de geai ; les peuples sont en liesse ; les tyrans sont des félons ; les vilenies des traîtres à la nation. Etc…

Parmi les utilisations les plus heureuses du plus-que-parfait, on peut citer l’antériorité. Mais une antériorité par rapport à d’autres temps  comme l’imparfait ou le passé simple. Mais ne peut-on pas envisager l’emploi du plus-que-parfait dans une antériorité par rapport à la pensée du narrateur ?

Ne faut-il pas envisager l’utilisation du plus-que-parfait dans des contextes différents ?

Ne faut-il pas envisager l’utilisation du plus-que-parfait dans des contextes différents de ceux qu’on trouve habituellement dans livre de grammaire. Tout simplement pour traduire un état d’âme d’un personnage bien particulier. Par exemple, j’avais rendu visite à mon ami Sherlock Holmes. Au lieu de je rendis visite.

Un usage d’un plus-que-parfait indépendamment de tout autre contexte, à la place du passé simple ou de l’imparfait habituel.

Il ne s’agit là que de quelques exemples des difficultés que je trouve à faire parvenir des états et des sensations bien particulières. Et seul l’usage atypique des verbes me le permet.

Je serais heureux de prendre connaissance des difficultés que vous pourriez avoir également.

 

Abdesselam Bougedrawi

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@Nama Traore
Une liberté sans contrainte(s) : autant en emporte le vent.

Publié le 09 Novembre 2019

L’éternel problème du fond et de la forme. Le langage est fait pour évoluer sinon nous en serions au vieux françois. Pourquoi serions nous bridés, certains grands on prit des libertés avec la grammaire et la syntaxe on ne les condamne pas pour autant. Nous devons écrire pour les jeunes et non les dinosaures que nous sommes. La forme bride le fond. L’écriture nécessite le respect de la forme pour les manuels scolaires et les textes scientifiques, mais le roman doit être un domaine de liberté, ou bien?

Publié le 08 Novembre 2019

Diafoirus pas mort !!!

Publié le 03 Novembre 2019

@Colette Bacro
Merci Colette. Ici, c'est un lieu de débat, vous l'avez bien compris.Et quand un article est provocateur, les vrais piégés, c'est ceux qui s'en prennent avec hargne à l'auteur comme si cette thèse était soutenue mordicus, alors que c'est un auteur qui devise sans contrainte. Dans ce cas, c'est plus la nature du débat qui importe, pas la manière dont il est traité. Sinon nous parlerions tous latin.
@Patrice Dumas .. Nous ne sommes pas des cautionneurs d'articles, nous ne sommes pas des éditeurs, nous ne sommes pas des critiques; nous sommes un écrin pour donner la parole à ceux qui ne l'ont pas, ou présenter des idées. Quand à la morale ou à la caution, rassurez vous Patrice, nous diffusons beaucoup de choses avec lesquelles nous ne sommes pas d'accord. Et c'est sans doute pour cela que la "personnalisation" du débat nous est désagréable. Ce que vous dites est parfaitement respectable, et je réponds "respectablement "au point sur la caution.:-)
Au fait bravo pour Maitre Sato!!! , une magnifique nouvelle qui n'a certes pas besoin de nouvelles règles de grammaire !

Publié le 31 Octobre 2019

Les néologismes sont faits pour qualifier des choses que les mots du dictionnaires ne peuvent qualifier, pourquoi ne pas y penser pour la grammaire... Au moins penser au principe, même si on n'y souscrit pas...
Merci à ceux qui s'expriment sans injurier. C'est ceux là qui défendent vraiment leurs idées.
La provocation a du bon, elle exaspère...ceux qui croient exaspérer

Publié le 29 Octobre 2019

Pour renchérir sur les propos de Trisha (Patricia, Fanny) la phrase de Gracq : " Quand il eut soufflé la bougie, tout changea." C'est une très belle phrase parce qu'elle exprime justement l'instant; elle suspend le temps une fraction de seconde; elle traduit la magie de la perception, la magie de la compréhension instantanée. La magie tout court.
Alors que "Quand il eut soufflé la bougie, tout changeait", n'exprime... strictement rien, si ce n'est une faute qui écorche l’œil, l'oreille et le cœur.

Publié le 29 Octobre 2019

Oui, ma foi...
Vous êtes sûr de : "Holmes était excité, il parcourra le terrain dans tous les sens ?"
Virginia Woolf n'utilisait aucun adverbe de temps, aucune préposition, laissant au lecteur le soin d'imaginer lui-même la temporalité de ses récits. C'est pas mal aussi.
Quant au choix des mots, ne suffit-il pas de se révolter contre les clichés ?

Publié le 29 Octobre 2019