Un pigeon-voyageur rentrait chez lui mal en point.
Lancé de la Grande Muraille à Pékin
Il avait volé d’un trait sans trêve ni répit
Au dessus des mers, au-dessus des prairies ;
A présent la fièvre le tenait,
des frissons parcourant ses flancs
Il ne fendait plus l’air qu’en tremblant.
Cet émissaire était porteur d’un message
Emanant de l’Empire du Milieu,
Qui annonçait un mal mystérieux
en haut lieu , de funeste présage.
Devant le pigeonnier de l’Elysée,
L’oiseau ralentit, fit quelques ronds aériens
Et vint se poser sur le rebord d’une croisée.
Là il demanda à un serin à hallebarde
Vêtu d’un habit d’or piqué de cocarde
Qu’il l’introduise auprès de l’aréopage
Présidé par le Grand Oiseleur.
Le garde s’effaça et fit entrer cet ambassadeur
Auprès de la docte assemblée.
Un faucon concolore, Premier Ministre de métier,
Juché sur son perchoir,
Lut le billet à l’adresse de tout l’auditoire :
« Moi, Oncle Xi, descendant du Grand Timonier,
Vous recommande d’observer
Avec la plus grande attention
La maladie dont est porteur ce pigeon.
Il s’agit d’une infection virale nouvelle
Qui provoque une tuerie parmi nos tourterelles
Le risque de pandémie
Est désormais admis. »
A ces mots le Faucon fronce le sourcil
Redresse sa calotte et poursuit :
« Amis élus de la nation, notre tâche est de baisser
Les allocations du chômage et des retraites,
Allons-nous accepter de nous laisser dicter
Un ajournement de notre mission
Par la seule menace du Dragon ?
A Dieu ne plaise !
Que l’on place ce pigeon en quarantaine
Et que l’on fasse adopter notre décret
Sans délai, sans peine
Par la grâce de l’article 49-3,
Qui nous épargnera d’inutiles débats.
Puis nous organiserons des élections
Selon le calendrier déjà fixé. »
Ainsi fut fait, la Buse, en charge de la Santé
Piaula à la TV que le virus chinois
N’atteindrait en aucun cas la société
Des Oiseaux et serait contenue
Par frontières et lois.
Mais le pigeon -ramier décéda,
D’autres bientôt lui emboîtèrent le pas
La pandémie fit rage,
Menaçait l’Hôpital d’un naufrage
Dans les Ehpad les oiseaux mourraient par milliers
Des voix s’élevèrent au plus fort de l’orage
On vit fleurir les pronostics les plus variés.
Ce fut d’abord le Préfet de Paris,
Adepte de l’Union Sacrée,
Qui sous sa couronne de lauriers flétris
Accusa les passereaux étourdis
De leur état, partant de leur propre trépas ,
De n’avoir pas respecté l’interdit
De se joindre aux nuées d’étourneaux
De voleter ça et là de danser dans le ciel
Sans masque sans gants sans gel
Et d’organiser des rassemblements criminels.
Ces paroles soulevèrent un tollé,
Le Milan fut contraint de les retirer.
D’autres Pies crièrent au complot
Le virus était une création ex nihilo
« Est-ce vraiment un hasard qu’un laboratoire
De recherche soit situé juste
à côté du centre de l’épidémie? ,
Coucounait une Bécassine avertie,
Qui tenait son avis pour seule théorie
Et la science pour le repaire du silence,
Et bouvreuils d’applaudir en signe de connivence.
Puis on vit un Corbeau prédicateur
Qui prêchait en qualité de pasteur,
Tendre l’index à sa paroisse :
« Chères Oies, chers Moineaux, croassait-il ,
à n’en pas douter le covid-19 nous a été envoyé
par le Divin en punition de tous nos péchés. «
Il surgit enfin sur la scène médiatique
Un Paon, sorti de la Méditerranée.
Il se vantait d’avoir trouvé
Le moyen thérapeutique
De guérir les malades infectés
Lustrant ses longues plumes ocellées
Levant haut son aigrette
Il battit tambour et fit du boniment
Pour son orviétan, séance tenant,
Se vantant qu’en prescrivant sa pilule,
La molécule d’ hydroxy chloroquine
L’épidémie serait « fin de partie » ,
Comme dans les poubelles de Beckett.
Ce fut comme un miracle !
Bientôt une secte idolâtre
Le porta aux pinacles
Jurant qu’il marchait sur les eaux
Guérissait et rendait des oracles
En un mot qu’ ‘il était l’ Oiseau
Tant attendu le Paon Providentiel.
Tant et si bien qu’aux portes de son CHU
S’écoula un flux ininterrompu,
De patients zélés convaincus
Qui attendaient, au mépris du danger,
De se faire administrer le précieux cachet.
Un merle moqua le charlatan
ce gourou si fier de son talisman
Des chercheurs modérèrent
Le recours au médicament
Arguant qu’ il fallait un essai placebo
Qu’un essai in vitro ne valait in vivo.
La polémique refit rage enfla souffla
Rougit cinq colonnes à la une
« C’est un crime d’état, savamment orchestré
Criaient les premiers «, indignés que l’usage
Du sésame magique soit freiné,
Tant de vies sont sauvées,
Trop de tergiversations tue la Raison
Nous sommes dans le temps de l'urgence «
Cette potion peut être poison, rétorquaient les seconds
C’est une question d’éthique
Et plus d’une clinique mirent fin à cette thérapeutique
Après trois arrêts du coeur
Effets imprévus de la divine liqueur
Le jour vint où le vaccin survint
La chloroquine parut mesquine
Le caducée ailé reconquit ses lauriers
Les serpents furent réconciliés
Pour le plus grand profit des officines
Barbara Bordes
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
.....Est-ce que tu as les respirations de Dante, est-ce que tu en as les gènes ? Quelle verve, quel entrain, quelle capacité ! La fougue échappée et fertilisée par les laves d' un volcan d' où sont cueillis les délices et les extases qui font les vins d' Italie. Je lis Bordes, je cligne des yeux, je lis Dante, je cligne une deuxième fois, je lis Bordes, je cligne encore, je lis Dante... c' est Bordes, c' est Dante ... Vous vous croisez, vous vous amusez, vous vous inversez, de l' un de l' autre, peu m' importe, de toutes les façons vous êtes merveilleux tous les deux.
Ce texte colle parfaitement à l’actualité. Je ne m’y connais pas du tout en poésie, aussi je ne peux pas donner un avis sur la construction de celui-ci. Mais ce texte je l’aime beaucoup il est bien tourné et si juste. Bravo !