Au cours d’une de ces assommantes réunions de remise à niveau des commerciaux où il était question de sonder la psychologie de la ménagère lambda, Charles Rubicon, représentant en aspirateurs, avait eu un éclair de génie en écoutant le formateur.
— La base de la réussite, c’est de valoriser votre future vict..., pardon, cliente. Si vous suivez mes conseils, vous pourrez, comme moi, rouler dans une voiture qui fera de vous un homme d’exception.
Il s’était alors tourné vers la baie vitrée derrière laquelle stationnait un coupé BMW, dernier modèle rutilant.
Le message sans équivoque avait porté. Dans un tel engin, on devait se prendre pour un Dieu vivant.
Dieu, il allait devenir Dieu. Pourquoi n’y avait-il pas pensé avant ?
Gilbert Bourdin, le messie cosmoplanétaire, fondateur du Mandarom de Castellane, avait fait une belle carrière. Et que dire de Claude Vorilhon, dit Raël, qui se vantait d’avoir discuté le bout de gras avec des extraterrestres ?
Fort de ce constat, Charles avait passé une nuit blanche à peaufiner un concept susceptible de le faire accéder à la notoriété d’un gourou digne de ce nom. Au matin il était prêt.
Si Raël avait bâti son succès sur ses relations avec les extraterrestres, il bâtirait le sien sur des rapports privilégiés avec des vedettes du show-biz disparues. Les fans d’Halliday et de Claude François ne manquaient pas, et la liste des stars avec qui il rentrerait en contact n’était pas exhaustive.
En entrepreneur consciencieux, il avait testé son concept en faisant des réunions dans la pénombre de l’arrière-salle d’un bistrot.
Habillé d’une tunique immaculée lui descendant jusqu’aux chevilles et d’un turban assorti, il entrait en catalepsie jusqu’à ce que l’être convoqué dévoile enfin sa présence. Venait ensuite la révélation de la conversation spatiotemporelle qu’il avait eue avec le chanteur disparu.
Le succès de ses premières prestations le convainquit qu’il était sur la bonne voie.
Les Rubiconiens et les Rubiconiennes (c’était ainsi que s’appelaient les sujets de la nouvelle secte) se multipliaient à la même vitesse que les rats dans Paris.
Charles songeait à agrandir son champ d’action quand un généreux mécène lui offrit un petit château agréablement situé aux environs de Cahors.
À cette époque, Charles, grisé par cette réussite insolente, s’octroya le titre ronflant de Grand Ordonnateur de la Rubiconerie et autorisa ses fidèles à l’appeler Maître, en toute simplicité.
Considéré désormais comme un dieu vivant, il ne méprisait pas pour autant les plaisirs de la chair. En effet le très honorable vicomte de la Pointe Molle, donateur du château du même nom, pourvoyait à ses exigences.
Il renouvelait consciencieusement les « sœurs » de la Rubiconerie, terme désignant les jeunes femmes du premier cercle du Maître.
On disait d’Arnaud-Ferdinand de la Pointe Molle, surnommé par les locaux « trousse miches », qu’il poussait le dévouement jusqu’à payer de sa personne afin de s’assurer que « les sœurs » soient à la hauteur de la mission que l’on attendait d’elles.
Si l’on ajoutait à ces avantages en nature la collection de voitures de sport offertes par ses sujets, il ne fallait pas s’étonner que Charles ait fini par croire aux sornettes qu’il avait inventées de toutes pièces.
Il se considérait dorénavant comme un être d’exception aux pouvoirs surnaturels, ce qui déclencha chez lui un syndrome de dédoublement qui l’amena à traiter l’ex-représentant de commerce, qu’il était, comme un étranger. Une pathologie pas si rare que les experts nommaient « Altération cognitive de la personnalité » et que les gens ordinaires associaient à une enflure exagérée des chevilles.
Lorsque les policiers de la brigade financière demandèrent des explications sur les quinze bolides découverts dans une dépendance du château, Charles affirma, sans se démonter, qu’une telle écurie était l’apanage naturel d’un ambassadeur de Dieu sur terre.
Jouer un double jeu avec soi-même n’est jamais anodin, déclara l’expert psychiatre à la barre du Tribunal.
Le président, jetant un regard au prévenu, en convint.
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@Serge Viala
Merci d’avoir pris le temps de me faire un commentaire sympathique sur un exercice qui a le mérite de provoquer l’imagination.
Je ne manquerai pas de lire votre texte pour découvrir ce qui nous rassemble ou peut-être qui nous rassemble tous, pour peu que l’on fasse tomber les masques qui régissent les rapports humains.
@Alix Cordouan
Je n'avais pas encore lu ta nouvelle mais je viens de me rendre compte qu'elle résonne étrangement avec la mienne, bien que partie d'un postulat complètement différent. C'est en notre esprit que s'élabore le double jeu qui présidera à nos relations avec nos semblables.
Sur la forme, tu t'en es remarquablement bien sorti pour respecter les contraintes de l'exercice et a su garder un style alerte et plaisant.
Serge
@stephane lavaud
Merci d’avoir pris le temps de m’adresser cet aimable commentaire qui me rappelle que je me suis promis de lire « le gosse » depuis quelque temps déjà.
À bientôt
une nouvelle tres sympathique. bravo.
@ Danièle CHAUVIN
Merci Danièle pour ce sympathique commentaire.
Cet appel à l'écriture est limité est limité à 4000 caractères, ceci explique cela.
Je vous souhaite de bonnes lectures sur mBS.
@Alix Cordouan, cette nouvelle est enlevée, drôle et très courte. Bravo.
@Lamish ter
Merci Michèle de participer aussi activement à la vie du site par vos commentaires.
Je ne doute pas que d'autres sauront exploiter ce thème avec talent.
Amicalement,
Jean-Bernard