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Le 12 sep 2022

Tout s'est passé comme prévu

Être là ou il ne faut pas être, faire un métier qu'il ne faudrait pas faire, posséder un chat qu'il aurait mieux valu ne pas recueillir, rater un Rendez-vous qu'il aurait fallu honorer... Tout s'est passé comme prévu pour ceux que Malika n'aurait jamais voulu rencontrer.
Tout s'est passé comme prévu à Reghaïa. La nouvelle de vladimir cherifTout s'est passé comme prévu à Reghaïa. La nouvelle de vladimir cherif

Tout s’est passé comme prévu !

Je m’appelle Malika Sabour, J’habite Reghaïa, prés d’Alger. En 1995, je suis une jeune journaliste algérienne de 22 ans. Je viens d’être abattue chez mes parents d’une balle dans la nuque ! Depuis que le F.I.S (Front Islamique du Salut) a été dépossédé de sa victoire aux élections, c’est la guerre civile dans mon pays, l’Algérie. "Dieu le veut "vocifère un des trois tueurs pour couvrir les cris de ma mère qui se jette à terre en se griffant le visage.

Je suis la trente troisième journalistes à mourir parce que l’on aura fait croire à des individus qu’ils étaient des soldats de dieu qui devaient assainir le pays d’une pécheresse d’ une suppôt de Satan qui dévoyait la jeunesse. Ma mort sauverait les femmes que les articles de presse de mon journal avaient fourvoyés.
Je travaille pour un journal que l’on peut comparer à « Voici ou Gala », nous abordons des sujets de société comme la contraception ou l’homosexualité, ma rubrique est spécialisée dans la vie des stars européennes. Raconter la vie, les carrières de mannequins, d’actrices, de femmes indépendantes, font rêver mes lecteurs et lectrices.
C’est ce qui faisait de nous des ennemis.
Nous étions perçues comme inféodés à l’ennemi occidental aux mœurs dépravés. Je travaillais dans le journal « Echourouk al-Arabi » depuis six mois. Comme d’autres journalistes j’avais reçu des menaces, j’ai refusé de céder, j’ai continué à faire rêver, j’ai continué à vouloir vivre libre.
Le F.I.S avait interdit le droit de s’instruire, c’était valable pour tous le pays. C’est la loi qu’ils voulaient imposer.
Mes articles les défiaient, mes rêves d’indépendance, mes rêves de petites filles semblaient les menacer.

Je n’aurais pas du me trouver là, je devais passer mon week-end chez ma tante, qui vit avec son mari dans une caserne de police. Je ne devais pas être chez moi mais chez elle. Nous étions samedi et au moment ou je m’apprêtais à partir, j’ai cherché mon chaton, un chat au pelage blanc avec une auréole noire autour d’un œil.
« Pirate » ! Je ne le trouvais nulle part et je tenais absolument à l’emmener avec moi. Ma petite nièce l’adore, je lui avais promis de lui donner. Il aimait fuguer et parfois ne réapparaissait que le lendemain, Pirate jouait à cache cache. Je fais le tour de la cité. Rien. il s’était à nouveau volatilisé.
Lorsque je cesse mes recherches, l’heure du couvre feu approche, il me reste la solution du taxi mais malheureusement je n’en trouve aucun qui veuille m’emmener chez ma tante au centre d’Alger à la caserne.

Penaude je rentre à la maison. C’est dans la nuit, pendant le couvre feu, que trois hommes cagoulés sont entrés chez mes parents, une photo en main.
Ils demandent Malika, je me suis avancée, j’ai dit c’est moi, je fus mise à genoux et ce fut l’exécution sommaire sous l’œil de ma mère, mon père, mon frère.
Une rafale de Kalachnikov déchire la nuit, intimidant le voisinage qui aurait pu alerter les autorités.
Interdiction à ma famille d’alerter qui que ce soit avant la levée du couvre feu. Bien sûr pour que les tueurs puissent s’éclipser tranquillement dans la nuit.
Au sol, le sang coule de ma tête, j’entends les cris de ma mère, je ressens la présence de mon frère qui plus tard sera interné. La folie l’a emporté.
J’entends un miaulement, c’est mon chat qu’un tueur extirpe de dessous le meuble du salon, il le glisse sous son bras à l’intérieur de sa veste treillis.
J’entends le tueur dire en Afghan aux deux autres qui faisaient le gué en pied d’immeuble : « Tout s’est passé comme prévu ».
Non rien ne s’est passé comme prévu, je devais être chez ma tante, et moi je devrais être vivante.

Les Ninjas, les tueurs de l’armée aux méthodes aussi expéditives que celles des terroristes arriveront dans la semaine suivante pour décimer une partie du commando. Fortuitement dans une opération de ratissage dans les montagnes de Bougarra à trente kilomètres d’Alger.

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@christiane pablo mira, une fiction tirée d'un fait réel, les journeaux de l'époque ont relaté ce fait divers, dans un pays en proie à la guerre civile qui allait faire des dizaines de milliers de victimes.

Publié le 14 Septembre 2022

L'idée de cette nouvelle m'est venue en lisant un livre de l'emblématique Jules Roy: " Adieu ma mère,adieu mon coeur" ou il narre son retour en Algérie en 1995 ou il va fleurir la tombe de sa mére. Il relate l'exécution de cette journaliste et l'atmosphére de guerre civile dans le pays. Alors citer Malika, c'était la résuciter et cela faisait écho avec le retour des Talibans à la tête de l'Afghanistan et l'agression récente de Rushdie Salman. Pour ceux et celles qui ont apprécié cette histoire , bien que je l'ai posté sous le nom de vladimir,je sévie sous le pseudo de Menouar Ben Yahia et vous trouverez en ligne un receuil de nouvelles nomé "Polaroid".

Publié le 14 Septembre 2022

@vladimir cherif

Votre nouvelle surpasse en émotion les articles de journaux publiés lors de faits de terrorisme.
Une fiction qui a tous les atouts du réalisme.
Merci.

Publié le 13 Septembre 2022

Bonjour Vladimir. Dans votre témoignage choc, vous pointez également le sort de toutes les femmes de ces pays sous domination des mâles de leur famille et du qu'en dira-t-on à l'extérieur. Depuis l'avènement d'Internet, elles sont à cheval entre leur libération et leur soumission, le modernisme et l'archaïsme. En 2022, je corresponds depuis 3 ans, avec deux jeunes femmes, vivant dans ces pays, coincées qu'elles sont dans leur soumission. L'une d'elles, âgée de 38 ans, amoureuse d'un Français, hatée par surcroît, me raconte que depuis, ses parents la tiennent enfermée à l'intérieur de leur propriété. (pas de vie sociale, pas de travail...). Pour moi, c'est inconcevable et quand je lui dis mon incompréhension, elle pense que tout cela est justifié, tout à fait normal !!! J'en conclus que leur émancipation n'est pas pour demain. Je vous remercie de cette lecture qui m'a permis de m'exprimer sur ce sujet. Cordialement. Fanny

Publié le 13 Septembre 2022

@vladimir cherif Une claque, une terrible claque, votre nouvelle...
Vous avez su trouver le bon ton (sobre, sans mélo) pour écrire l'indescriptible... Faire mention de ces petits détails de la vie qui parfois tuent, parfois sauvent, la rend d'autant plus percutante...
Mille mercis pour ce partage qui honore la mémoire d'une de ces femmes capables de ne pas baisser les bras, au péril de leur vie.

Publié le 12 Septembre 2022

@vladimir cherif
Toutes mes félicitations pour votre nouvelle, brillante, percutante, Vladimir. C'est exactement le style de textes que j'affectionne particulièrement. Car votre nouvelle dénonce, heurte, prouve l'absurdité des affrontements idéologiques, avec des massacres de gens ordinaires, comme vous, moi, nous tous. Justement, j'étais en train de regarder "hôtel Rwanda", même continent, autre registre, autre massacre, en 1994. Nous avons cependant des massacres plus contemporains tout près de chez nous en ce moment même, avec toujours cette rhétorique de nettoyage.
Bravo pour le style narratif, qui donne plus de profondeur à votre récit.
Merci pour ce témoignage émouvant.

Publié le 12 Septembre 2022