Interview
Le 14 oct 2023

Toute la vérité sur les parenthèses, par Émilie Bruck (pour monBestSeller)

Emportée par les fièvres d’un délire poétique, Emilie Bruck monte à l’assaut des arcanes de langue française. Les parenthèses : quand les ouvrir, quand les fermer, et surtout au nom de quelle règle ? Nouveau (mais pas dernier) chapitre de son manuel de ponctuation.
Toute la vérité sur les parenthèses sur mBS

L'étymologie nous apprend, bonne fille toujours prête à rendre service, que le mot parenthèse dérive, par l'intermédiaire du latin, du grec parenthesis, qui désigne l'action d'intercaler. Ayant dit cela, il serait naïf de croire qu'on a fait le tour de la question. Car la parenthèse a encore bien des choses à avouer (entre parenthèses, ça va de soi), et, de toute façon, on ne va pas la laisser s'en tirer comme ça. 

 

Je ne sais pas vous, mais moi, s'il y a un truc qui m'ébouriffe gravement l'esperluette (*), c'est bien celle-ci : on n'ouvre ni ne ferme jamais les parenthèses lorsqu'on déclare qu'on va les utiliser. "Mais, qu'est-ce que quoi que vous racontez ?!?!" s'écrie l’usager, qui a commis l'erreur fatale de s'arrêter ici, l'esperluette un brin ébouriffée. Je m'explique (si seulement l'usager veut bien cesser de piailler comme si je menaçais de m'en prendre à sa vertu (**)) : considérez cette phrase, sortie tout droit de Comment Nicolette s'est beurré la gaufrette de Sidonie Verdurin (la presse du cœur a révélé récemment qu'il s'agissait en fait du pseudonyme proustien d'un charcutier-poète de Palavas-les-Flots) : Mon cher ami, lui reprocha-t-elle, sévère, en rabattant prestement son jupon, laissez-moi vous dire, entre parenthèses, que, pour un soi-disant séducteur, vous ne l'avez pas très guillerette. (***)

Si l'on ne souffre pas de conjonctivite, de cataracte ou de tout autre défaillance du globe oculaire (citons par exemple la maladie dite du doigt dans l’œil, qui ne passe pas pour favoriser la vue), on se rend compte, assez aisément, que les parenthèses pourtant promises n'apparaissent au final nulle part. Et il y a là comme une sorte d'espèce de genre de publicité mensongère et, osons le mot, de scandale. Non ? Hé ! Ho ! C'est à vous que je parle !

Bon, passons.

 

(*) Je dois cette expression à ma grand-tante Rachel, que la sénilité, dans ses vieux jours, avait persuadé que l'esperluette était cette région de l'âme où s'élabore l'ébahissement.

(**) Non, mais des fois ! Il s'est bien regardé, l'usager ?

(***) Mon amie Muriel, qui aime bien me morigéner (pour preuve qu'elle m'aime), me fait les gros yeux : 3Pourquoi faut-il toujours que tu choisisses tes exemples dans la littérature cochonnière ?3 À quoi je réponds, sereine : "Ce n'est pas tant que je les choisisse, c'est surtout que je les invente." Muriel lève les bras au ciel : "C'est encore pire ! N'es-tu, vraiment, que cette âme perdue, obsédée par le stupre et la fornication ?"  Je lui tire alors la langue : "Je n'ai pas l'impression que tu t'en plaignes toujours !" Et Maxine de quitter la pièce, en nous traitant d’andouilles – et de gargouilles (pour la rime).

 

Enrichissons les dictionnaires

Les parenthèses marchent toujours par deux, comme les gifles (la première sur la joue droite, la seconde sur la gauche, ainsi que le préconise l'Évangile), les sergents de ville, les amis dans la fable de La Fontaine,  les tranches de pain de mie dans la confection d'un sandwich, les vertus théologales (qui sont trois, mais le principe est le même), Achille et Patrocle (dont on dit qu'ils partageaient plus qu'une tente durant le siège de Troie, mais les gens sont mauvaises langues), j'en passe et des moins grecques. L'une est dite ouvrante (parce qu'elle ouvre la parenthèse) et l'autre, fermante (parce qu'elle la ferme). (*) Jusque-là, rien que de très logique ; pas de quoi paniquer Margoton (**) ; mais a-t-on remarqué qu'une parenthèse se situe toujours entre deux parenthèses ? Que le même mot désigne, au pluriel, le contenant et, au singulier, le contenu. Il y a là quelque chose qui défie le bon sens, la logique ; c'est un peu comme si l'on prétendait – je ne sais pas, moi – qu'une tisane est contenue dans deux tisanes ou qu'un con est contenu dans deux cons. C'est infiniment troublant, et cela témoigne pour le moins des abscondités de la langue française. Si l'on voulait bien m'écouter cinq minutes, on mettrait fin, fissa, à ce genre d'absurdité, et on abolirait toute polysémie en inventant des mots nouveaux, ce qui serait tout bénéfice pour l'enrichissement des dictionnaires. (***)

 

(*) En arabe, puisque ces zigotos écrivent de droite à gauche, on inverse le sens des parenthèses. On commence donc par la parenthèse fermante et on termine par la parenthèse ouvrante. Ce qui est complètement con, non ? Comment peut-on être Arabe ? se demanderait un Montesquieu moderne, s'il ne craignait pas d'être taxé illico d’islamophobie par les charlots de LFI.

(**) Archétype de la jouvencelle un peu niaise qui s'effraie d'un rien.

(***) Pour ma part, j'ai adoré lire in extenso plusieurs dictionnaires, mais j'ai toujours trouvé qu'ils étaient trop courts. Je restais chaque fois sur ma faim.

 

Généalogie des petites lunes

Les parenthèses sont nées en 1399 ; inventées par un humaniste florentin répondant au nom de Coluccio Salutati (rien à voir avec Coluche, qui, à la fin du 14ème siècle, n'en était même pas encore à son premier biberon), elle se sont présentées d'abord sous la forme de chevrons (< >) ; c'est bien plus tard, en 1470, qu'un imprimeur champenois installé à Venise, Nicolas Jen-son, leur donna cette forme arrondie qu'on leur connaît aujourd'hui. Signalons encore (et même si ça n'est pas, j'imagine, de nature à soulever chez quiconque un immense enthousiasme) qu'Érasme les appelait lunulae (petites lunes). (*)

 

(*) Ce qui tend à démontrer que l'humanisme d'Érasme ne lui interdisait pas de déconner – ce qui nous vaut peut-être L'Éloge de la folie.

 

Où l'on perd les trois-quarts des lecteurs

Si les parenthèses trouvent un emploi en mathématiques, en informatique et en musique, je ne m'intéresserai ici qu'à leur usage littéraire. Comme je l'ai déjà fait remarquer plus haut, les parenthèses servent à créer une parenthèse (ce qui, à bien y réfléchir, est finalement assez malin ; je retire ce que j'ai pu dire tout à l'heure), c'est-à-dire à isoler, dans le corps d'une phrase ou d'un paragraphe, des explications ou des éléments d'information utiles à la compréhension du texte, mais non essentiels. Il faut toutefois noter que cette insertion d'un élément autonome possède la spécificité d'être attachée au contexte global de la phrase, ce qui exclut qu'on l'utilise de quelque façon que ce soit dans une argumentation postérieure. (*)

 

(*) Je vous laisse deux minutes pour relire et comprendre cette dernière phrase. Si, passé ce délai, vous n'avez toujours rien pigé, le mieux sera pour vous d'éviter l'utilisation des parenthèses dans vos textes, ceci afin d'éviter des bévues qui ruineraient votre réputation d'auteur auprès des usagers de mBS. Les usagers de mBS ne sont pas des gobe-mouches qu'on peut tromper sur la valeur intrinsèque d'un texte (je n'ai, pour ma part, jamais vu, ici, qui que ce soit étoiler une œuvre qui mériterait plutôt la corbeille – sauf peut-être... Mais j'ai promis de me taire).

 

Un premier pas vers l'écriture inclusive ?

Que savoir d'autre des parenthèses, si l'on ne veut pas passer pour un gros bourrin dans les salons littéraires ? Peut-être ceci, qu'il est tout à fait possible d'utiliser des parenthèses au sein d'une parenthèse (*), mais que ce n'est peut-être pas ce qu'on peut faire de plus habile d'un point de vue stylistique. Un exemple tiré du livre qu'on a déjà cité plus haut : (Nicolette pensait souvent que la vie est mal faite (surtout en cas de pénurie de gaufrettes).) Pas terrible, hein ?

Une dernière chose peut-être : les parenthèses peuvent être utilisées afin de préciser le genre d'un terme, par exemple un(e) auteur(e). Je ne me prononcerai pas ici sur la féminisation des noms de métiers (**) ; je me contenterai de remarquer que cela ressemble étrangement à un premier pas vers l'écriture inclusive, laquelle me fait gerber. Prenons pour exemple une phrase des plus simples, mettons celle-ci : L'auteur de ce livre est talentueux. Eh bien, cela donnerait : L'auteur.e de ce livre est talentueux.se en inclusif, L'auteur·e·x de ce livre est talentueux·se·x en non binaire, et L'auteurx de ce livre est talentueuxse en neutre. Et l'on peut très bien imaginer que si, un jour, nous sommes abordés par des extraterrestres, on nous intimera l'ordre d'écrire : L'au.թ.teur.Ҋϣ.e de ce livre est talen.Ԃ.tueu.ՁՃ.x. Cela amusera très certainement ma jeune filleule Mirabelle (qui entretient déjà des rapports tumultueux avec la langue française), mais je ne suis pas sûre que cela incitera Molière à revenir sur Terre, sauf peut-être pour se suicider.

 

(*) Par exemple, dans ma nouvelle Le Voyage à Grenoble, parce que j'étais complètement bourrée lorsque je l'ai rédigée (2,5 g/l d'alcool dans le sang), je parviens à insérer pas moins de cinq parenthèses au sein d'une seule et même parenthèse. Mais les Alcooliques Anonymes déconseillent vivement ce procédé.

(**) Bien que femme (quoi qu'on en pense), la féminisation des noms de métiers ne me tient pas éveillée des nuits entières. En réalité, je me foutrais qu'on dise de moi que je suis un auteur – si seulement c'était vrai. Parce que je ne suis au fond qu'une cafouilleuse funambule du clavier.

 

Émilie Bruck, née Brick à Brack

(souffleuse de verre et siffleuse de bocks)

 

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Tout était parfait jusqu' à la parenthèse finale sur l'écriture inclusive (je plaisante) !

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Pourriez vous m'expliquer pourquoi vous avez écrit
"Je dois cette expression à ma grand-tante Rachel, que la sénilité, dans ses vieux jours, avait persuadé que l'esperluette était cette région de l'âme où s'élabore l'ébahissement." et non pas "persuadée", ça serait un complément utile à ma comprenette. Ce n'est pas la grand-mère qui est persuadée?

Publié le 14 Octobre 2023