Interview
Le 18 sep 2023

La virgule : sa vie, ses mœurs, ses œuvres et ses pompes

En dépit son apparence modeste, la virgule n'est pas une mince affaire. En témoigne la manière dont elle est trop souvent rudoyée. Et c'est une grande faute que de la maltraiter ou de la mépriser, car elle se trouve au cœur même de la prose, où elle est à la fois sens et respiration. Par Emilie Brack qui aime mettre les points sur les i.
La virgule, sa vie, ses mœurs sur monBestSeller

Une mienne camarade, dont je ne révélerai pas l'identité parce qu'elle bénéficie encore ici d'un lectorat qui la prend pour une sirène des belles-lettres, me confiait, pas plus tard que la semaine dernière, devant une bouteille de vieux marc largement entamée : "Ma pauvre Émilie, si tu savais ! Si tu savais combien la ponctuation me fait souffrir ! Les points, j'arrive encore à m'en sortir ; je ne me pose pas de questions, j'en colle un, recta, au bout de chaque phrase, et roule Mimile, ça fait l'affaire ! Mais la virgule, nom d'une merde de rat crevé ! La virgule ! Cette petite saloperie de chierie de virgule ! C'est mon tourment et c'est ma damnation ! Je ne sais jamais, foutre, qu'en faire ! Jamais, jamais, nom d'une bite en tungstène !" (Ma camarade a, dans la vie de tous les jours, surtout après s'être rincé la glotte à l'eau-de-vie, un langage bien moins châtié que dans ses livres, mais là n'est pas la question.)

Brèfle, cette confession (ô combien déchirante) a attiré mon attention sur le fait qu'en effet, sur cette plateforme, cinq livres sur trois souffrent et même agonisent cruellement sous les coups, si je puis dire, d'une ponctuation mal négociée, surtout en ce qui concerne l'usage de la virgule.

Elle n'a pourtant l'air de rien, cette virgule. En tout cas, de pas grand-chose. Et pourtant... Quels dégâts elle parvient à commettre ! Qu'elle soit présente, mais au mauvais endroit, ou absente, alors qu'on n'attend qu'elle, de quels horribles ravages elle sait se rendre coupable ! De quels épouvantables carnages ! De quelles effroyables désolations ! Et c'est pourquoi, dans un but presque humanitaire, je me suis arrêtée sur elle, afin de tenter comprendre pourquoi son usage représente trop souvent, pour tant d'auteurs, un pareil casse-tête.

 

La virgule n'est pas faite pour les chihuahuas

Je ne m’intéresserai pas trop ici à ce qu'on pourrait appeler son usage officiel, lequel ne consiste pas seulement à séparer, pour mieux de compréhension, les différentes propositions présentes dans une phrase ; des rôles, elle en a bien d'autres ; il suffit de taper le mot virgule dans sa barre de recherche, et l'on tombe sur toute une pléiade de sites qui vous expliquent en long, en large et en travers tout ce qu'il y a à savoir de son emploi. Toutefois, nonobstant et néanmoins, afin de montrer aux esprits par trop frivoles toute son importance, je reprends ici un exemple fameux qui, à lui seul, démontre sans coup férir que rigoler avec la virgule peut nous entraîner aux pires extrémités. Comparons, voulez-vous, les deux phrases suivantes :  "C'est l'heure de manger, les enfants" et "C'est l'heure de manger les enfants" (*). Sauf à être myope au stade terminal ou à cultiver une mauvaise foi florentine, on se rend aisément compte que, si la première est une invitation faite à la marmaille de passer à table, la seconde est, elle, une incitation claire et nette à se livrer gaiement à la pédophagie, version gastronomique de la pédophilie. Dès lors, on comprend que la virgule, malgré son petit air de ne-pas-y-toucher, n'est pas un moindre bidule sans importance qu'on peut manier à la légère. Et l'on comprend aussi, subsidiairement, comment elle peut conditionner, si l'on n'y prend garde, tout un régime alimentaire...

(*) Ma belle amie Maxine, qui est une délurée chipie, me proposait plutôt les deux phrases suivantes :   "Il faut sauter, madame" et "Il faut sauter madame". Je n'ai pas cru bon de retenir sa suggestion, pourtant de bon aloi, de crainte d'effaroucher les quelques âmes trop sensibles qui croisent sur mBS. J'espère qu'elles m'en sauront gré.

 

Un crime odieux contre la langue, le sens et la logique

Mais laissons là le côté, disons, officiel de la chose, pour remarquer que, quoi que puissent laisser croire aux esprits laborieux les précis de ponctuation mal digérés, celle-ci n'est pas une science exacte. Ce que je veux dire par là c'est qu'elle est aussi propre à chaque auteur, comme un lecteur un peu attentif peut facilement s'en apercevoir. Ainsi, par exemple, tel écrivain pourra placer systématiquement une virgule devant une proposition subordonnée relative, alors que tel autre ne le fera que par intermittence ou pas du tout. « ?!?!?!?! » s'exclame-t-on au parterre. Allons, allons, que le parterre conserve son sang-froid. Ni la patrie ni la littérature ne sont en danger. Ni même la virginité de votre petite sœur Amandine. Respirez, tout va bien. Tout va bien, car, dans ces cas-là, avec ces auteurs-là, il sera aisé de noter que, virgule ou non, le sens de la phrase ne s'en trouve pas altéré et que le signe de ponctuation ne surgit jamais, tel un diable de sa boîte, ou telle une pom-pom girl d'un gâteau de mariage, au beau milieu d'un groupe syntaxique.

D'accord, essayons de ne pas nous perdre dans des considérations trop techniques (j'en vois d'ici quelques-uns qui pâlissent) et donnons un exemple frappant de la chose. Au cours de mes lectures sur le site, je rencontre souvent, très souvent, trop souvent, une virgule qui se glisse, subreptice, incongrue, illicite, entre un sujet et son verbe. Et ça, bonnes gens, ça me hérisse gravement le poil sur l'échine, ça me ferait presque sauter par la fenêtre dans une tentative désespérée d'échapper au scandale. Parce que c'est une faute, que dis-je ? un crime odieux, imprescriptible, contre la langue, contre le sens et contre la logique. On peut bien tortiller du cul autant qu'on voudra (comme n'hésiterait pas à le dire ma belle amie Maxine, cette irrévérente, quoique tout à fait délicieuse, chipie), il n'existe aucune, aucune, aucune bonne raison de séparer ainsi un sujet de son verbe. (J'insiste lourdement, parce que la faute est HÉÉÉÉNORME et mériterait à son auteur une volée de coups de bâton. Car, chaque fois que cela se produit, le premier réflexe du lecteur, même moyennement cul-tivé, même à moitié endormi par l'impeccable ronron de l'intrigue, est de se demander si l'auteur sait bien ce qu'il raconte, s'il comprend lui-même ce qu'il est en train d'écrire ou, pire encore, s'il ne pense pas de travers, disons comme un fait-tout ou comme une soupière, peut-être même comme une manche à air.)

 

De la musique avant toute chose ?

Mais revenons à ces écrivains qui semblent ne vouloir en faire qu'à leur tête en se fichant comme de leur première plume Sergent-Major des règles communes de la ponctuation. Ces écrivains sont des gens du métier et, même si l'on conçoit bien que personne n'est infaillible, il est difficilement pensable que, s'abritant derrière leur autorité, ils font n'importe quoi, exprès, rien que pour se moquer du lecteur ou pour faire enrager les tenants de la règle. Je l'ai dit déjà et je le répète : sous leur plume, virgule ou pas virgule, le sens de la phrase n'est jamais altéré, il reste sans ambiguïté. En revanche, et parce que la virgule marque une pause, fût-elle légère, au sein de la phrase, le rythme de celle-ci, sa musicalité s'en trouvent, eux, modifiés. Parce que la langue est aussi musique (symphonie ou sonate, c'est selon le désir de l'auteur) et la prose, partition.

Maintenant, si l'on n'a pas l'oreille musicale et que les règles échappent à notre fragile compréhension, on pourra continuer à semer les virgules comme on sème la laitue. Avec un peu de chance, elles tomberont au bon endroit...

 

Émilie Brack et Cie

(provisoirement et jusqu'à plus ample informé)

 

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23 CommentairesAjouter un commentaire

@émilie bruck Pour ce qui est de mon honnêteté intellectuelle, puisque vous y tenez voici le lien de la citation, retrouvée grâce à Google (grand Dieu que ferait-on sans lui):
https://www.monbestseller.com/manuscrit/19233-dmodmoi
Vous vous cachiez ce jour-là derrière jzbl2.
Et le contexte, c'était bel et bien la poésie.
Vous y citiez d'ailleurs pour illustrer vos propos (et ça je l'avais oublié, donc merci de l'avoir rappelé malgré vous) Verlaine et Desbordes-Valmore, qui connaissaient et maîtrisaient parfaitement les règles du classique, dont l'hendécasyllabe fait partie, ne vous déplaise (si je ne l'utilise pas c'est que je n'aime pas trop les rythmes impairs, sauf dans des chansons). Merci pour cette eau que vous apportez à mon moulin.
Et le plus marrant, c'est que juste en-dessous sur cette page-là je disais en substance, au sujet de la poésie en général, ce que vous venez de dire au sujet des haïkus (avec d'autres mots et moins d'élégance, je vous le concède).
À ce propos d'ailleurs, vous me reprochez de rester dans les règles et de ne pas m'ouvrir à la poésie hors-règles... Fort bien, mais alors pourquoi reprocher à Phillechat de s'ouvrir à des haïkus hors-règles ? Soyez cohérent avec vous-mêmes. D'autant plus que, s'agissant de poésie japonaise, les règles s'appliquent aux haïkus... en japonais, et qu'elles n'ont pas forcément de sens dans une langue européenne tellement différente.
Allez, je ne pollue pas plus longtemps votre page et retourne à mon vœu de silence.
Serviteur
PS: Pour ce qui est de l'autre point évoqué, vous pouvez bien vous prendre pour qui vous voulez, c'est votre problème. Inutile d'incriminer qui que ce soit, si vous voulez être crédible commencez par adopter une attitude et un style féminins. Maintenant ce que j'en dis...
Et puis cessez de m'appeler grand garçon, je suis une jeune fille de 14 ans aux cheveux rouges, ne vous fiez pas à mon avatar.

Publié le 26 Septembre 2023

Pour une fois que monsieur Bruck ne parle pas (trop) pour ne rien dire, rendons-lui cette justice, même s'il n'y avait pas besoin de toute cette logorrhée pour énoncer cette évidence, d'ailleurs présente dans l'avant dernier paragraphe, à savoir que "l'on ne sépare pas un sujet de son verbe" : cette simple phrase eût amplement suffi.
Mais ce n'est pas cela qui me pousse à rompre exceptionnellement le silence dont j'entoure habituellement ce cher blablateur.
Non, c'est à cause de son dernier commentaire en date, tellement beau que je l'ai lu, relu et rerelu et que je ne résiste pas au plaisir de le citer in extenso: "en poésie comme dans bien d'autres domaines, la règle c'est la règle [...]. Aussi, vous composez un haîku ou vous n'en composez pas. On ne peut pas écrire presque un haîku, ça n'existe pas. Si vous transgressez la règle, votre machin n'est pas un haïku, nommez-le comme bon vous semblera mais ce sera un abus de langage si vous l'appelez comme ça". Que de progrès chez ce même personnage qui assénait crânement naguère sur je ne sais plus quelle page, toujours à propos de poésie, que, je cite de mémoire, "les règles sont faites pour être dépassées" car elles seraient un frein à la créativité... Une lueur d'espoir, enfin ?
Alors voilà cher @émilie bruck, je vous suggère, avec votre traitement de texte préféré, de copier-coller votre propre citation et de remplacer successivement "haiku" par "sonnet", "ballade", "alexandrin", "dizain" et toute cette sorte de choses, et peut-être, oui peut-être commencerez-vous à entrevoir, au travers d'une brume incertaine, le sens de mes interventions en matière de poésie. Je suis sûr que vous êtes un garçon intelligent, et je serai le premier à me réjouir de vos progrès !
Avec (à titre exceptionnel) les compliments du poète fossilisé.
-LGA

Publié le 25 Septembre 2023

Je suis un plaisantin et un amoureux des haïkus : nulle contradiction.
Les haïkus sont des adaptations libres de l'original japonais, donc les règles varient. Pour moi le premier haïku est correct, mais je peux comprendre vos doutes.
Tous vos commentaires de l'été prouvent votre solide sens de l'humour, je ne pense pas que le mien vous dérange.
J'oublie de préciser que j'ai savouré votre article.
Bon dimanche.

Publié le 24 Septembre 2023

Oh c'est fort léger !

Publié le 23 Septembre 2023

Ou pour rester dans votre lignée :
Paradis de la
marelle s'obtient toujours
en sautant Madame

Publié le 23 Septembre 2023

@émilie bruck
Quel dommage !
Vous vous privez du délicieux plaisir de l'ambiguïté.

Haïkus un brin
coquins oublient la virgule
faut sauter Madame

Publié le 23 Septembre 2023

J'ai trouvé la parade ultime : j'écris des haïkus. La règle de base est l'absence de ponctuation : le tour est joué.

Publié le 23 Septembre 2023

@émilie bruck
Vous avez décidément beaucoup d'imagination ! Je suis très sérieux (Hm..)
Car on peut aussi apprendre beaucoup par le jeu comme d'ailleurs de ses propres erreurs.
À ce propos, je me demande d'ailleurs ce qui est le plus efficace, un cours magistral, à l'image de votre tribune, où l'expérimentation par le déni de tout ce qu'il ne faut pas faire et en observer, contrit, l'amer résultat.. avant de se refaire...

Publié le 21 Septembre 2023

@émilie bruck
é,milie, je, tiens à vous re,mercier pour cet art,icle très utile pour tous les, écrivains qui, écrivent comme des manches, du di,manche dont de parmi lesquels je ne me sens nullement concerné ni d’ailleurs par le jour (je parle vous l’avez, compris, du dimanche) car, je préfère la semaine, des quatre (il y a je, crois, quatre dimanches dans un mois) je, dis.
Moi ce, que, j’aime, vous, l’avez compris, c’est de la pensée sa structuration bien, régulée par la virgule que je mets maîtrise à la perfection,

Publié le 20 Septembre 2023

Petit complément non dénué d'intérêt ici :
https://www.monbestseller.com/actualites-litteraire/7589-comment-utiliser-la-virgule
Bonne soirée à tous,
Michèle
@émilie bruck PS : gestionnaire d'archives, oh que non ! Beaucoup trop contraignant et chronophage :-) !
En fait, il suffit de taper quelques mots-clés dans la barre de recherche pour ressusciter tribunes et pages oubliées.
Exemple avec point-virgule : https://www.monbestseller.com/actualites-litteraire/14380-ponctuation-haine-et-passion
Exemple avec Géraldine Rhilo (époque où vous écumiez MBS sous le pseudo Amalia Rodriguez… Souvenirs, souvenirs…) :
https://www.monbestseller.com/manuscrit/10116-la-sexte-tome-1

Publié le 20 Septembre 2023

Je retiens surtout le côté musical et rythmique. À l'instar d'un dialogue prononcé à haute voix, toute phrase doit "sonner" juste. Pour cela, la ponctuation, virgule et point-virgule en tête, joue un rôle essentiel. Je n'aime cependant pas trop morceler le tempo d'une phrase mais la plupart du temps, la virgule s'impose à l'oreille pour des raisons de clarté.
Article très utile. Merci.
Amitiés
ANTALL

Publié le 20 Septembre 2023

@Hervé Piolay
Je n'ai jamais dit qu'il fallait se passer de virgules, juste ciel ! Vos exemples dépourvus d'icelles montrent, au contraire, combien elles sont nécessaires... @Catarina Viti m'a coupé la chique : je ne dupliquerai donc pas son commentaire. Oui, les virgules sont nécessaires dans une pratique correcte du français. Oui, il faut les utiliser à bon escient. Voilà.

Publié le 20 Septembre 2023

Et moi, ce que j'aime chez vous, @émilie bruck, c'est votre signe astrologique marsupilamiesque : hérisson ascendant porc-épic.

Publié le 20 Septembre 2023

Merci pour cet article et les échanges qui en découlent.
Beaucoup de choses sont dites dans une de vos remarques : une phrase mal construite ne peut être ponctuée (correctement), et une phrase mal construite est une phrase mal pensée.
Mais j'ajouterais ceci : ces considérations sur la ponctuation ont valeur uniquement dans le contexte de la langue française. Comme le signale @Kroussar : d'autres langues n'ont pas recours à la ponctuation. Et cela est vrai même pour des langues latines où elle n'a pas la même importance..
En revanche, la ponctuation fait partie de ce qu'est devenu la langue française, elle est indisociable du travail titanesque qui a été accompli au fil des siècles pour nos plus grands auteurs. La ponctuation fait partie de notre héritage ; réfléchir à son rôle, et lui restituer sa place est un exercice exigeant qui nous confronte à nos limitations, nos manques et nos approximations. Le meilleur entraînement, donc, si l'on cherche à progresser.

Publié le 20 Septembre 2023

La virgule, une forme de pensée !?

Dans l'Antiquité grecque et latine, on pratiquait l'écriture en continu (scriptio continua), c'est-à-dire sans blanc entre les mots. C'est aussi le cas dans la langue khmère ; langue que je pratique et que j'enseigne.

Et nous utilisons également "l'espace" qui vise, avant tout, la fonction respiratoire.
Auquel nous associons : le point "។", les points d'interrogation et d'exclamation, le double point et le point final "៕".

Mais point de virgule ! Ni de point-virgule.

Tout réside dans la construction de la phrase, où la position de chaque mot a son importance.

Et c'est en cela que je rejoins @Clarisse Balsamo,
"Une phrase mal pensée est souvent mal construite, et toutes les virgules du monde n'y changeraient pas grand-chose..."

Sur ce, je retourne à mes rizières, regarder le riz pousser. ជាមួយ​នោះ​ខ្ញុំ​ត្រឡប់​ទៅ​ស្រែ​វិញ​មើល​ស្រូវ​ដុះ ។

Bonne journée à toutes et à tous. ថ្ងៃល្អចំពោះអ្នកទាំងអស់គ្នា ៕

Publié le 20 Septembre 2023

@Hervé Piolay
La virgule structure ; c'est un fait. Une phrase mal pensée est souvent mal construite, et toutes les virgules du monde n'y changeraient pas grand chose... Preuve par l'exemple :

Pour citer (encore) Jacques Drillon :

"[citation faite par Drillon :] *C'était parce que je voulais distinguer du roman, le roman historique, que, pour qualifier celui-ci, j'avais recouru imprudemment à ce mot [apophantique] qui présentait l'avantage d'abréger mon propos.*
[Drillon commente :]
Sans doute cette phrase est-elle laide; mais là n'est pas son défaut principal: elle est mal pensée. Si mal qu'elle ne pouvait être correctement ponctuée. Posons une question: fallait-il une virgule entre les deux occurrences du mot «roman,.? On ne saurait le dire: apparemment il n'en faut pas; mais« du roman le roman,. n'est pas envisageable non plus. La question est donc mal posée. Il faut en essayer une autre.
L'ordre des mots est-il le bon? La phrase est-elle bien construite? Dans une autre configuration, pouvait-elle éviter cette pléthore de virgules? Bien écrire consiste, avant toute autre opération, à ordonner sa pensée et sa phrase.
Si l'académicien Jacques Laurent, qui rêve d'ouvrir la "cage" dans laquelle le français se trouve emprisonné, avait écrit "je voulais distinguer le roman historique du roman", il se fût épargné une sorte d'incise qui n'en est pas une, et les deux virgules qui l'enfermaient.
Du même coup, il eût évité une cacophonie: "historique, que,"
Pour éviter aussi bien :
- de commencer sa phrase par "c'était" ;
- d'employer la construction "parce que... que" ;
- de séparer "j'avais recouru,. de l'agent "ce mot" ;
- d'utiliser la cheville "celui-ci" ;
... il pouvait écrire simplement : "Pour distinguer le roman historique du roman, j'avais imprudemment recouru à ce qualificatif qui présentait l'avantage d'abréger mon propos." [...]" (Traité de la ponctuation, p. 72-73.)

N'empêche que la virgule obéit à des règles qui facilitent la compréhension, permettent accessoirement de respirer et clarifient la pensée.

Publié le 19 Septembre 2023

@émilie bruck
Ah-ha ! Cela m'étonne peu. Une lectrice citant Alexandre Vialatte (une lecture d'enfance, mes grands-parents découpaient ses chroniques de "La Montagne") ne peut que goûter Drillon... Le jour de son décès, le point-virgule fut orphelin. - "Grandeur consécutive d'Allah", comme annonçait l'Auvergnat dont l'éléphant était irréfutable.

(Pour les non-lecteurs de Vialatte, ce dernier terminait toujours la liste de ses rubriques liminaires avec cette expression. Quel que fut le sujet de sa chronique hebdomadaire publiée dans la presse régionale.)

Publié le 19 Septembre 2023

@Marie Berchoud
@émilie bruck

Pour un autre l'usage et sur les abus possibles de la virgule-pause oratoire, voir l'introduction de Jacques Drillon, dans son indispensable "Traité de la ponctuation française" (Gallimard).

Et, surtout, sa comparaison de plusieurs éditions du "Cinna" de Corneille ("Que le théâtre est un lieu où l'on respire", p. 110-122.) Drillon conclut : "La ponctuation est bien non une affaire de style, non une affaire de respiration, mais la conséquence inévitable d'une certaine forme de pensée. La règle est celle que se donne la pensée. Sa beauté est celle de la pensée. Son utilité est celle qu'on reconnaît à la pensée. Car la pensée, comme l'être, se loge dans la plus petite des petites verges, la plus modeste des *virgules*."

Bon, quand on passera au point-virgule, je sens que ça va saigner. Certains prônent sa disparition ; moi, je l'adore.

Publié le 19 Septembre 2023

@émilie Bruck : pas du tout une anarchiste (ça c'était au siècle dernier ;) Mais... une sensible aux rythmes et sonorités, donc aux pauses et donc, aux respirations: "vivez comme vous sentez" c'est aussi : ponctuez...

Publié le 19 Septembre 2023

@tous et toutes. Horreur des empoignades inutiles et destructrices. Ponctuez, vivez comme vous sentez !

Publié le 19 Septembre 2023

C’est une nouvelle institutrice, toute jeune, qui débarque dans sa première école.
Par malheur pour elle, la Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, est en visite dans cette école.
Voulant apprécier les capacités de cette petite jeune, elle demanda à assister à son premier cours, lequel, justement, portait sur le bon usage de la virgule.

À l’heure de la récré. Les enfants sortent en piaillant, la ministre s’approcha de l’instit et lui dit avec son sourire mielleux :
- “C’est bien, mais....”.

Il y avait un “mais”.

La ministre avait trouvé qu’une demi-heure sur la seule petite virgule, c’était un peu long.
Surtout que, dans sa tête, elle préparait déjà le nouveau français pour les cancres.

- “Mais, Madame la Ministre, c’est quelque chose de fondamental la ponctuation“, se défendit l’enseignante. Tenez, si vous permettez, allez au tableau et écrivez...

1 – La Ministre dit, l’institutrice est une imbécile.
2 - La Ministre, dit l’institutrice, est une imbécile.

Alors ! Sans importance la virgule ?

Publié le 19 Septembre 2023

Et raciste, rien d'étonnant.
Vous avez raison, ce n'est évidemment pas ici que vous dévoilerez votre magouille avec mBS.
Qu'il est doux à mes oreilles d'apprendre que vous allez enfin vous taire. Merci. mBS va peut-être arrêter de perdre lecteurs et auteurs à vitesse grand V.
J'espère que votre décision n'annule pas la possibilité d'un prochain rendez-vous de vive voix.

Publié le 18 Septembre 2023

@emilie bruck, Et moi qui use de la virgule en respiration de la phrase, du paragraphe, du texte ! Elle m'agrée, avec elle, le texte respire et les lecteurs aussi, haute voix ou murmure. Au siècle dernier, j'ai appris des règles (ex. : les virgules vont toujours deux... sauf quand il y a une autre urgence dans l'expression, cf. la prose de Bukowski, donc ne pas généraliser ni s'énerver, on garde son énergie pour ce qui vaut vraiment la peine), j'ai même commis des bouquins, syntaxe, style, grammaire, etc., et ta soeur (elle est psychologue et va me pourrir si elle apprend que je l'utilise en bouclier humain).
Aujourd'hui, j'use de la virgule au phrasé, à l'élan, puis je vérifie avec la lecture à haute voix : elle calme les débats, les houles stylistiques et autres coups de sang.
Bonne soirée. Paix dans les coeurs et sur les pages !

Publié le 18 Septembre 2023