Interview
Le 25 sep 2023

Pénélope était une sacrée coquine (Défense et illustration du point-virgule)

Le point-virgule est né de l'union de deux signes de ponctuation. Ni point ni virgule mais quelque chose entre les deux, paraissant ainsi peu franc du collier, avec un rien de bâtardise dans la dégaine, il n’attire pas nécessairement une sympathie instinctive – ce qui lui vaut d'être souvent regardé avec suspicion.
Défense et illustration du point-virgule sur monbestsellerNe reculant devant aucun obstacle, ne ployant sous le fardeau d’aucune difficulté, Emilie Brick continue ses recherches sur la ponctuation. Bientôt nous aurons un guide, un manuel de référence ; tous les secrets de la ponctuation enfin révélés.

On peut très bien écrire un livre de cinq mille six cent trente-sept pages sans jamais l'utiliser ; personne, sans doute, n'y trouvera à redire. On peut aussi l'employer à tort et à travers, dans une tentative d'esbroufe pédantesque ou comme font les enfants qui, découvrant un mot nouveau qui leur sonne bien à l'oreille, vont, le claironnant sur tous les tons, jusqu'à ce qu'une bonne fessée les dissuade de poursuivre ; j'ai vu la chose ici, sur le site, dans un livre ; si, si ; je tairai le nom de l'auteur, afin de ne pas lui faire de réclame, mais je jure bien que cet auteur existe ; je n'ai pas inventé sa succession de points-virgules fautifs se poursuivant dans une farandole quasi démentielle ; c'était comme si la ponctuation était devenue folle, comme si l'auteur, dans un accès d'incontrôlable masochisme, avait décidé de réduire sa prose à l'état de marmelade informe. « Mais où tout cela va-t-il finir ? » se demande le lecteur atterré, le souffle coupé et prêt à s'affaler sur le sol, victime d'un genre de syncope vasovagale. Les auteurs ne le savent pas toujours (en tout cas, je l'espère), mais leur œuvre peut être parfois une terrible menace pour la santé, tant physique que mentale, de leurs lecteurs...

 

Pénélope et le point-virgule : une banale histoire de cul

Le point-virgule, qu'on dit souvent menacé d'extinction (c'est vrai qu'il est trop souvent négligé, le bougre, quand il n'est pas, comme on vient de le voir, furieusement maltraité), est un signe de ponctuation qui sépare deux membres de phrase grammaticalement indépendants l'un de l'autre, mais entre lesquels il existe une liaison logique (p. ex. Pénélope adorait se faire tisser le voile sur le dos (*) ; sa plainte enamourée faisait vibrer les colonnes corinthiennes) ; à l'oral, il marque une pause intermédiaire entre la virgule et le point. Ainsi se prononce en substance, mais avec autorité, le dictionnaire (encore que, pudibond, il choisisse un exemple différent pour illustrer sa définition) ; le dictionnaire n'a pas accoutumé de débiter des sottises ; il faut croire en la parole du dictionnaire ; c'est un impératif catégorique ; s'en défier, c'est perdre tout repère dans l'époustouflante et vertigineuse vastitude du monde et de ses banlieues.

(*) Expression traduite du grec ancien, signifiant chez Homère se faire prendre en levrette.

 

Le point-virgule, c'est pas de la gnognotte (*)

Toutefois, ayant énoncé cela, le dictionnaire a-t-il fait le tour de la question ?

Eh bien, non ; force est de reconnaître que non. Mais alors, sacré bon sang de bonsoir de nom d'une pipe ! rugit le parterre, qu'en est-il réellement de ce point-virgule dont vous avez décidé, sans préavis, de nous buriner gravement l'encéphale ?  Hé ! Ho ! On se calme, s'il vous plaît. Inutile de hennir comme tout un troupeau de juments enrutées (**). Non seulement ça ne m'impressionne pas, mais en plus ça ne m'impressionne pas ; j'aime autant vous le dire. N'est pas né celui ou celle qui parviendra à ébranler la sérénité du piédestal sur lequel dont de quoi je suis installée, telle une pythonisse rongée d'hémorroïdes et percluse de rhumatismes. Bon. Stylistiquement parlant, le point-virgule ne se contente pas, comme un gros niais, de partager une phrase en deux ou plus, il joue un autre rôle et pas des plus minces. Considérons la phrase suivante : Entre deux séances de tissage, Pénélope aimait jouer avec son télémaque (***) ; le chant de volupté qu'il faisait naître à ses lèvres effrayait le poisson rouge dans son bocal ; Pénélope était vraiment une sacrée coquine ; le chat désapprouvait ces transports lubriques en feulant sous le lit comme une érinye. On pourrait très bien imaginer cette longue phrase ponctuée seulement par des virgules ou interrompue par des points. Mais les virgules ne feraient que juxtaposer un peu bêtement, un peu mollement les différents éléments de la phrase, et les points donneraient au récit le ton d'une simple énumération quelque peu lapidaire. Or, si l'on possède ne serait-ce qu'une once de sensibilité littéraire (signalons au passage qu'on n'en trouve pas toujours chez l'épicier du coin), on s'aperçoit que le point-virgule, lui, construit la phrase en lui donnant une certaine ampleur et que, ce faisant, il la laisse s'épanouir, telle la fleur du frangipanier (Plumeria acuminata), en ne rompant pas l'unité de la pensée. Et si l'on tend l'oreille, on se rend compte que le point-virgule laisse même entendre la voix de l'auteur.

C'est pas magique, ça, ma bonne dame ?

(*) Tel est du moins l'avis de ma jeune nièce Clotilde, qui, informée des mœurs du point-virgule, en bâille encore d'ébahissement.

(**) Ce mot provient directement de mon four linguistique personnel, où il a cuit à chaleur constante. Je le laisse à la libre disposition des auteurs qui voudraient s'en servir pour décrire l'état physiologique de leur conjoint, lorsque le grand sabbat de la luxure vient lui allumer des feux de Bengale dans la libido.

(***) Si l'on en croit les meilleurs hellénistes, un télémaque était un godemiché taillé dans une défense de sanglier ; on en trouvait beaucoup en Ithaque (Ἰθάκη ou Φεάκη en grec ancien). Une femme pouvait aussi s'en servir pour monter les œufs en neige ou pour assommer un prétendant trop empressé.

 

En guise de rapide conclusion

En 1991, Jacques Drillon, écrivain et journaliste, homme d'une culture variée, légère et néanmoins considérable (*), a publié chez Gallimard un passionnant Traité de la ponctuation française. (C'est là que j'ai appris, entre mille autres choses tout aussi palpitantes, que si Marot et Montaigne se montraient pointilleux auprès de leur imprimeur quant au respect de leur ponctuation, Rousseau, lui, en revanche, s'était à peine avisé de son existence.) Et c'est dans ce livre qu'il écrit, d'un seul tenant : Le point-virgule atteste un plaisir de penser.

Oui, bon, d'accord, le préalable est de penser. C'est ce qui fait de l'écriture un sport si difficile, me dit ma belle-sœur Henriette, qui, elle, a cessé de penser le jour de ses dix-huit printemps. Car ça brouille le teint, m'explique-t-elle, et ça ternit les cheveux. Sans compter que ça fatigue la tête.

(*) Ça n'a rien à voir, mais c'est à lui qu'on doit la blague du médecin qui a une bonne et une mauvaise nouvelle à annoncer à son patient. Et le praticien de commencer par la bonne : Vous n'êtes pas hypocondriaque. Spirituel, non ?

 

 

Émilie de Brick et de Brock

 

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