L’imperméable avait une chaude voix d’ange. Je n’avais qu’une envie, m’envelopper d’une douche chaude. Fermer les yeux et laisser la vapeur détendre ma nuque : elle soutenait le poids de mon corps lourd, comme une pierre angulaire fatiguée. C’était paradoxal quand on pensait qu’actuellement, je pestais contre la pluie qui glissait, froide, vitreuse, sur la paroi floutée de l’abribus.
Deux mouches prisonnières s’agitaient rageusement dans le cache de la lampe au néon, produisant de petits chocs secs qui m’intriguaient. Je levai la tête en clignant des yeux, pour tenter de les apercevoir tout en voilant de mes cils la lueur blanchâtre, mais le bruit de leur vol, qui me guidait, s’estompa quand mon cœur rata un battement. Une ombre venait de couler derrière la paroi de l’abribus. Moins d’une seconde plus tard, un choc sourd ébranlait le plexiglas. J’avais retenu ma respiration. Tétanisée, je n’osais pas vider mes poumons. Quelqu’un venait de se jeter de tout son poids contre l’abribus. J’avais oublié que je n’étais pas seule au monde. À présent, j’étais seule avec lui. Avec lui et deux mouches.
L’épaisse paroi, autrefois translucide sûrement, portait la marque sombre d’une épaule massive qui lui servait désormais d’arc-boutant. Je déglutis enfin ; reculant légèrement, comme m’enfonçant vers l’arrière, j’observai la silhouette. Il était grand. Très grand. Des articulations de ses longs doigts, il se mit à cliqueter sur la paroi. Il avait dévié le cours de la pluie, elle tombait en filets argentés sur le pourtour de son imperméable. Pourquoi restait-il sous la pluie ?
Ce fut en resserrant mes pieds que j’aperçus, sous le montant inférieur de la séparation, l’éclat luisant d’une chaussure vernie. Je ne sus pourquoi, cela me donna le courage de lever les yeux. Il balançait la tête. D’avant en arrière. Lentement. Et derrière lui, une masse informe, indistincte. Comme une aile, étirée, brune, effilée.
Le bus déboula crissant, ses pneus patinant dans les flaques ; ils firent jaillir alentour une gerbe de gouttes dorées par l’éclat de ses phares. Transie, je repris mes esprits comme si ce bruit m’avait giflée. La seconde que les portes prirent pour s’ouvrir dura cent ans. Elles étaient à peine entrebâillées que je bondis, franchis les marches et m’engouffrai sur le seuil. Me raccrochant à la barre d’appui et validant mon pass en négligeant le regard curieux de la conductrice, je soupirai. Mes jambes tremblaient de l’impression d’avoir échappé à je ne savais quel diable. Mais il m’avait suivie. Je reconnus sa présence dans mon dos. Un parfum de vigne en fleurs et un souffle sur ma nuque brûlante.
« Bonjour… », lâcha-t-il simplement, à l’attention de la conductrice, comme je m’éloignais pour gagner ma place.
L’imperméable avait une chaude voix d’ange. Je ne sus jamais ce qu’il était advenu des deux mouches.
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@F.J. Lécollier
Bonjour et enchantée ! Je suis Bruna, autrice de la nouvelle — enfin, non, de la "rencontre fortuite", ne nous égarons pas —, et je passe vous remercier pour votre lecture mais aussi, pour votre subtile et délicieuse interprétation ! Elle m'a beaucoup plu, elle a ouvert l'horizon à son tour, et c'est très agréable. Un grand merci !
@Zoé Florent
Roh ! Bien que n'ayant pas eu l'occasion de répondre à votre précédent message ni celle de vous écrire depuis bien longtemps, je vous situe, je vous situe ! Je vous retrouve ici avec étonnement et joie, et je vous adresse un merci tout particulier pour votre accompagnement fidèle et toujours encourageant, au long de ces années où je semble pourtant, sur mBS, apparaître et disparaître comme un feu follet une nuit d'été... Ciel. Tant que l'intensité est là, tout va ! Merci merci, j'ai hâte, à présent, de découvrir les autres rencontres fortuites... tout comme de vivre celles qui m'attendent !
Je vous embrasse et vous souhaite une excellente semaine.
@Philippe De Vos
Bonjour ! Ici Bruna, autrice de la nouvelle — en dépit du pseudo ici affiché.
Un grand merci pour votre lecture, et pour vos mots dont j'aime l'équilibre et l'assaisonnement ! "Ouvrir l'horizon"... cela me paraît excellent, je m'y attèle chaque jour !
@Thierry Rucquois
Enchantée de faire votre connaissance en ces circonstances ! N'en déplaise à mon nom de plume, je suis Bruna (de mon vrai nom), autrice de la nouvelle, et je passe, sur la pointe des pieds, vous remercier pour vos mots. Puisque vous étiez d'accord avec tout le monde et qu'une belle journée s'annonçait !
J'espère que vous en avez bien profité, et je vous renouvelle mes remerciements ; la surprise est arrivée, inattendue comme de bien entendu, en un week-end très spécial, ce qui lui confère une saveur... bien particulière. J'attends avec impatience toutes les autres rencontres fortuites !
@Catarina Viti
Oh, merci, ma Belle ! Ainsi, "ma" rencontre fortuite t'était parvenue en avance ? Zut, je n'arrive plus à remettre la main de ma mémoire sur ce moment ! Cette nomination m'a fait très plaisir et je réfléchis déjà à la métamorphose de cette scène fugace, saisie à la hâte, en une "véritable" nouvelle. Encore faut-il avoir le temps, certes, mais au point où nous en sommes ! J'ai parfois l'impression de l'entrouvrir par le dedans !
Encore une fois et comme toujours, merci pour tes mots...
@Michel LAURENT
Un grand merci, pour votre lecture attentive et délicate, et pour ce merveilleux commentaire qui, à son tour, me transporte — je ne m'imaginais pas que cet éclat de scène (comme on dit "éclat de verre"), pourrait être si bien saisi, si bien compris. Cela me touche profondément !
Bruna (de mon vrai nom, autrice de la nouvelle en question).
Bonjour,
Intriguant, en effet. On a envie d'en savoir plus sur qui se cache sous cet imperméable...
Peut-être est-il tout simplement trop timide pour partager un abri-bus avec une dame ? Les apparences sont parfois trompeuses...
Bonjour, Bruna, et félicitations pour cette courte nouvelle qui a su créer un ambiance en quelques phrases. Intensité est le mot qui me vient à l'esprit.
Pas d'étonnement, cependant, car j'ai déjà eu l'occasion de me délecter de la magie de vos écrits.
Bonne soirée. Amicalement,
Michèle (ex-lamish, pour me situer ;-))
Oui, on pourrait en faire une nouvelle. Comme quoi, le concours n'était pas un concours de nouvelles, contrairement à ce qui est exposé sur la page d'accueil des résultats. On a ouvert l'horizon, on reste dans l'interrogation. C'est pas mal du tout.
Salut, Bruna ! Je connaissais ton texte, vu que tu me l'avais envoyé (par erreur). Eh bien, je suis vraiment ravie qu'il ait su plaire au jury autant qu'il m'a plu quand je l'ai découvert. Ce serait bien de le développer en nouvelle, ne crois-tu pas ? Encore faut-il avoir le temps... Bises et bravo.