Interview
Du 22 déc 2025
au 22 déc 2025

La Groupie de mon Père

Un dossier endormi, un fichier encrassé, un classement mal tenu... voilà que je retrouve une nouvelle perdue du concours "Souvenir de pub" Un peu triste, un peu déjantée, un peu folle, un peu nostalgique ... qui clôt notre concours pour une dernière apparition comme un retour d'acteurs inattendu sur le scène. Merci, merci.

 En dépit des apparences, je suis dans une galère noire. Comment fais-je pour me planter de cette façon et si régulièrement ? Il s’agit d’atavisme où je ne m’y connais pas.

 

Mon père a toujours souhaité devenir un artiste, une vedette de cinéma comme on dit. Belmondo reste son héros et j’ai été piquousée à ses films depuis ma tendre enfance. Cela dit, ne devient pas « Bébel » qui veut. Sa réalité à lui se nomment les décors de La Victorine à Nice où il m’emmène parfois quand ma mère ne peut me garder. Il souhaite jouer des rôles à sa mesure, comme Jean-Paul, mais ne trouve que de petites répliques à donner dans des films publicitaires ou des pubs. Il aime tellement ce milieu que le monde de la publicité est devenu sa réalité, donc la mienne. Ma mère, comptable de métier, essaye bien d’insuffler un peu de rationnel dans nos journées mais elle n’y arrive pas. Et moi, Florence, j’adore mon père. Il ressemble comme deux gouttes d’eau aux vedettes italiennes des années 50. Marcello en tête. Il est beau, il est drôle, et la vie devient un jeu magnifique en sa compagnie. À dix ans, j’ai décidé que je voulais devenir la groupie de mon père. Je l’accompagnerai partout, je comprendrai ce qu’il faudrait comprendre sans se prendre la tête et puis je deviendrai son agent quand il sera célèbre.

 

Mais il y a un problème : je suis timide, extrêmement timide. Quand je me rends aux studios de la Victorine avec lui, je me cache derrière les faux murs, les poteaux en tous genres. J’admire mon père, bien sûr, qui doit dire parfois une seule phrase de toute la journée : « À fond la forme ! ». Il le fait si bien et il semble tellement en forme à ce moment-là que j’imagine que le produit a un effet sur l’acteur.

 

Et puis, la vie proposée ici me fait rêver. Quand il a tourné en plein air la pub pour Ricoré, « l’ami du petit déjeuner », j’étais convaincue que cette chicoré-là avait des vertus que nous ignorions. Sur ma demande insistante, ma mère a acheté la fameuse Ricoré, et également la nappe à carreaux du spot publicitaire. Quel moment magnifique ! Nous avons alors passé de merveilleux petits déjeuners tous les trois en souriant comme dans la pub. Une vraie famille !

 

Puis, mon père a eu un accident lors d’un tournage pour une marque de vélo. Il n’a pas freiné en laissant la priorité au tracteur car ce n’était pas noté sur le scénario. Le vélo devait dévaler la route sans s’arrêter. Je le sais, je l’ai lu. Il est mort sur le coup et je n’avais que quinze ans. Depuis, je ne vais plus à la Victorine et je demeure encore plus timide.

 

Aujourd’hui, j’ai vingt ans et après bien des galères à l’école, j’ai décidé de reprendre ma vie en main. « Flo, tu ne peux pas rester chez ta mère, assise sur le canapé à regarder les pubs » me dis-je chaque matin. Pourtant elles me font du bien. Nike, « Just Do it ». L’Oréal, « parce que je le vaux bien ! » Moi, je ne vaux rien dans la vraie vie, je veux être comme dans la pub.

 

Les spots qui me séduisent particulièrement demeurent ceux du déodorant Narta. Je les connais par cœur depuis les années 80, ainsi que tous leurs slogans comme « Une confiance à toute épreuve », moi qui n’en possède aucune. J’adore les égéries de la marque comme Vanessa Hessler et Tiana. Elles paraissent belles et fraiches.

 

Alors, j’ai décidé de m’habiller exclusivement en blanc, de m’épiler les jambes, les dessous de bras, bien que cela soit douloureux et de faire comme la fille de la pub Narta. Je me suis inscrite à un cours de danse mais je demeure si nulle en chantant « Je suis fraiche et cela se voit » que la prof m’a virée.

 

Alors, j’ai pris plus de risques. Il fallait que je me prouve à moi-même qu’en portant Narta, je devenais une autre. En me faisant violence, je suis allée dans un café et j’ai dansé en levant ma jambe si haut qu’on a vu ma culotte, comme dans la pub. « C’est fou le frais que tu me fais ! » criai-je à l’intention des garçons assis en train de consommer leurs bières et qui me regardaient médusés. Le patron du café a appelé la police et je me suis retrouvée en garde à vue. J’avais envoyé un uppercut avec ma jambe dans le menton d’un footballeur connu, assis là par hasard. Il aurait dû comprendre car « mouiller le maillot », lui il connait. J’ai expliqué au juge qu’il s’agissait d’une thérapie comportementale pour soigner ma timidité maladive. Il ne m’a pas cru. J’ai alors joué la carte de l’orpheline qui recherche son père en essayant de faire le même travail que lui, avec peu de succès.

 

Il m’a envoyé dans une clinique de repos psychiatrique.

 

Difficile de le reconnaitre mais, en fait, je me trouve bien ici. Je suis d’office habillée en blanc. J’ai un public qui applaudit quoique je fasse. Je peux montrer ma culotte, tout le monde s’en fiche. Je commence même à améliorer mes pas et mon assurance. Ma mère m’apporte du déodorant Narta car je dois rester fraiche toute la journée. Elle reste catastrophée pour moi et s’inquiète de la tournure des évènements et de mon démarrage dans la vie.

Je la rassure comme je peux. Elle doit comprendre que je ressemble à mon père et que les voies du Seigneur sont impénétrables.

 

Le plus étrange de cette histoire reste à venir car le directeur m’a prévenu que les studios de la Victorine ont contacté la clinique des fous où je me trouve. Ils veulent filmer ma danse pour une marque de déodorant ! N’est-ce pas magnifique ?

 

Je vais aller prendre un café.

 

What Else ?

 

 

 

 

Janny Plessis,

Valbonne, Août 2025

 

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