●L'anacoluthe est une rupture de construction volontaire, par exemple, la tmèse ; rappelez-vous, dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière, le célèbre « D'amour vos beaux yeux, belle marquise, mourir me font » : ce vers déconstruit produit un effet comique, afin de railler certaines prétentions à l'élégance verbale.
● Le solécisme – d'après la ville turque de Soles, dont les habitants, dans l'Antiquité, étaient réputés écorcher le grec – est une faute de syntaxe le plus souvent involontaire, qui peut prendre diverses formes. Si Calliope me prête vie, nous en passerons quelques-unes en revue dans de prochains billets, car ces fautes nuisent beaucoup à un texte et à son auteur, en faussant le sens du récit ou en donnant l'impression que l'auteur ne maîtrise pas la langue.
● L'incompatibilité avec le sujet du verbe principal, c'est tout simplement ce genre de tournure :
« Après s'être habillés, quelqu'un sonna à la porte ».
Aïe ! Je ne vous le fais pas dire. Chacune des parties de cette phrase concerne un sujet distinct, mais faute d'une formulation adéquate, la phrase se présente comme s'il n'y avait qu'un seul sujet, lequel est forcément celui du verbe principal (« sonner »). L'incompatibilité est flagrante.
Poursuivons avec un exemple très édifiant, dont ma puriste de mère s'était émue au point de graver à jamais, par ses cris d'orfraie, la phrase fautive dans ma mémoire d'enfant.
Ce solécisme monstrueux entache Les allumettes suédoises, un best-seller de Robert Sabatier publié chez Albin Michel en 1969 ; comme quoi, même les grands éditeurs n'optimisent pas toujours un manuscrit autant que faire se pourrait.
Prêts à tiquer ? On y va :
« Bien rincé, la mémé mettait le beurre dans la baratte ».
Aaaaah… Vite, mon flacon de sels !
Vous songez peut-être « Ma pauvre Elen, tu fais bien des histoires pour pas grand-chose. » Dans ce cas précis, je vous l’accorde, le fait que le beurre, en bon « mauvais sujet », soit masculin (:-p), alors que la mémé est féminine – on peut l’être à tout âge, n’est-ce pas ? ;-) – nous épargne la trappe béante d’une mauvaise interprétation ; le lecteur rétablit de lui-même le sens de la phrase et se borne à penser qu’il exagère, ce Sabatier, avec une faute aussi grossière ! Mais que fait donc la police, heu, je veux dire : le correcteur ?!…
En revanche, s’il s’était agi du « voisin » et non de « la mémé », l’auteur aurait évité d’être arrosé de quolibets, mais le voisin, de son côté, aurait semblé sortir de sa douche. Dommage.
Et imaginez un peu le désordre si la phrase était :
« Bien bourré, le voisin mettait le sac dans la charette. »
Voilà-t’y pas (n’ayez pas peur, c’est pour rire) que l’infortuné voisin passe pour un ivrogne !
Lorsque le sujet du verbe principal et le « mauvais sujet » sont du même genre, ou quand le genre du « mauvais sujet » est imprécis, le lecteur se voit donc infliger un contresens ; les conséquences sur l’intrigue peuvent être dévastatrices.
« Il se souvenait que, vers vingt ans, sa mère lui avait expliqué l’absence de son père. » (alors que cela s’est passé quand le personnage, et non sa mère, avait vingt ans)
« En se levant le lendemain, ses amis étaient partis. » (alors que c’est le personnage qui, en se levant, a constaté ce départ.)
Il arrive que la faute saute moins facilement aux yeux :
« Au moment de prendre congé, l’ambiance était morose. »
Hé oui, mes ami(e)s, là aussi la tournure est incorrecte : ce n’est pas l’ambiance qui prend congé…
À ce stade de ma péroraison, vous devez être en mesure de repérer cette faute dans vos écrits.
J’imagine que pendant qu’on y est, vous ne cracheriez pas sur un petit coup de main pour rétablir l’ordre des choses. Qu’à cela ne tienne !
« Bien rincé, la mémé mettait le beurre dans la baratte » devient :
« La mémé mettait dans la baratte le beurre bien rincé »
ou :
« Dans la baratte, la mémé mettait le beurre qu’elle venait de bien rincer »,
ou encore, avec cette fois pour sujet « le beurre »au lieu de « la mémé » :
« Une fois bien rincé, le beurre était placé par la mémé au fond de la baratte ».
Les possibilités sont nombreuses ; à vous de faire jouer votre imagination pour tourner la phrase à votre convenance.
« Bien rincé, la mémé mettait le beurre dans la baratte. » devient :
« Lorsque le beurre était bien rincé, la mémé le mettait dans la baratte. »
Là encore, vous découvrirez toutes sortes d’articulations valables.
Vous voyez qu’en fin de compte, « auto-réécrire » son manuscrit est assez facile : il suffit d’y consacrer beaucoup d’attention pour déceler les fautes, puis un peu de réflexion pour les corriger.
Lorsque vous êtes dans le doute, copiez-collez dans Google ou autre moteur de recherche la phrase qui vous semble bancale, ou une phrase identique avec des mots plus courants ; vous aurez de bonnes chances de tomber sur un topic traitant de ce sujet.
Enfin, si vous ne vous en sortez pas et n’avez aucun correcteur sous la main, n’oubliez pas que les forums et les réseaux sociaux permettent aussi de poser à la cantonade les questions qui vous tourmentent. Dans la plupart des cas, vous obtiendrez la réponse tant attendue.
J’espère que vous frétillez d’aise en réalisant que l’une des joies de l’écriture, c’est l’infinité des solutions possibles. En remaniant son texte pour corriger les fautes, il n’est pas rare que l’on voie sortir du puits des formulations auxquelles on n’aurait pas songé en premier lieu, et parmi lesquelles il suffit de déterminer la plus heureuse.
Écrire, ce n’est pas seulement raconter une histoire ; c’est choisir, parmi d’innombrables solutions, la meilleure façon de le faire. « Meilleure » en soi, car souvent une tournure s’impose comme étant la plus claire, la plus harmonieuse, la plus expressive ; et « meilleure pour soi », car c’est ainsi, en errant avec zèle dans une forêt où mille sentiers inconnus s’offrent à lui, qu’un auteur va pouvoir donner la pleine mesure de son art.
Qu’elle naisse d’un travail personnel acharné ou soit suscitée par le regard d’un tiers (éditeur, directeur de collection ou ses collaborateurs, réécriveur, correcteur, bêta-lecteur, lecteur, ami ou proche), la remise en question permanente de notre mode « naturel » d’expression est le seul moyen de progresser, de repousser nos limites, et, en fin de compte, de découvrir peu à peu nos capacités dans toute leur ampleur ; un peu comme un chanteur ne déploie pleinement sa voix qu’à force de l’exercer.
Voilà pourquoi cela m’attriste beaucoup de voir quelquefois des auteurs débutants se lancer dans l’aventure en revendiquant prématurément « leur » style, ou en réfutant par avance, comme si la sacro-sainte liberté de l’artiste était en jeu, l’utilité de remettre en question ce qu’ils écrivent.
Bien des auteurs sont, au départ, persuadés d’avoir leur « voix » propre, unique, originale. Ils croient de leur devoir de la préserver des influences extérieures et de leurs propres errements – car retravailler un texte peut, à force de lassitude et d’interrogations, donner l’impression de le dénaturer.
Parfois, seule la flemme se trouve en cause ; on est pressé de passer à autre chose. J’ai eu ce tort dans ma jeunesse, et le résultat, c’est qu’un manuscrit comme Propos d’homme à homme, resté quasiment à l’état de premier jet, m’a valu chez Robert Laffont une offre de publication… après réécriture – que j’ai refusée avec morgue. Certes, ce roman reste peut-être ce que j’ai écrit de plus « moi » (si tant est que « moi » ne soit pas immensément polymorphe) ; mais il n’en est pas moins une œuvre tout sauf grand public, donc tout sauf éditable. Or, vous, dans votre grande majorité, vous rêvez d’être édités.
Il ne peut y avoir de performance et de succès sans travail approfondi. Rappelons-nous ce vers de Boileau : « vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage »… Personne ou presque n’a de génie inné, et les grands écrivains dont on a salué la verve spontanée l’avaient souvent forgée en amont, au fil du temps, en se gorgeant de bonnes lectures. De nos jours, hélas, on a l’impression que certains jeunes auteurs croient pouvoir passer gaillardement de la découverte de Harry Potter à la rédaction d’un chef-d’œuvre. Cette fâcheuse illusion gâche dans l’œuf beaucoup de talents.
Terminé pour aujourd’hui ! C’était l’appel au turbin de Mamie Elen, en direct du fond de son lit. J’espère que chacun d’entre vous puisera dans tout cela l’énergie de revisiter son manuscrit jusqu’à parfait achèvement (ce qui ne veut pas dire qu’il faut réécrire sans fin ; il faut savoir s’arrêter. Mais justement : quand s’arrêter, c’est l’expérience qui vous le dira.)
Bon travail, mes chers ami(e)s, et à très bientôt !
Elen Brig Koridwen
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@Charlotte De Garavan
D'accord avec vous sur toute la ligne, Charlotte.
Bien amicalement,
Elen
Revisiter son manuscrit… Pour ma part, j’ai décidé de ne plus rien écrire de nouveau tant que mes précédents livres ne me donneront pas entière satisfaction. Alors, je relis, je corrige… c’est l’avantage de l’auto-édition, on peut toujours se remettre à l’ouvrage. Je reprends l’un, puis l’autre. C’est une satisfaction de voir que l’on peut s’améliorer. Mais, pour cela, il faut lire de bons auteurs. Lire, lire et encore lire... surtout si, comme c'est mon cas, on n'a pas fait d'études de lettres.
@lamish
Il y a beaucoup plus à plaindre que moi, et je ne désespère pas encore de voir mon état s'améliorer :-) De plus, il faut bien avouer que cette situation me rend disponible pour écrire, même si sa contrepartie, c'est que je ne suis pas toujours en état de le faire.
Vous avez raison, la solitude de l'auteur est particulièrement lourde à porter. Je pense d'ailleurs que c'est pour y échapper que tant d'auteurs rêvent d'un éditeur. Pourtant, beaucoup sont déçus par les contraintes liées à cette expérience, peut-être justement parce que le drame d'un auteur,c'est d'être obligé de prendre en compte des opinions extérieures, alors que c'est ce qu'un artiste est le moins disposé à faire ! On n'imagine pas un peintre, par exemple, recevant des visiteurs d'une galerie des conseils du genre "ce serait mieux avec un peu de rouge en haut à droite", ou "les couleurs sont trop vives". Il y a certainement des millions de façons de peindre un tableau, mais personne ne s'interroge sur le bien-fondé de celle qui a été choisie. Si une galerie accepte une œuvre, elle ne pas exiger du peintre qu'il la modifie ; quant au public, il aime ou passe son chemin. En revanche, des lecteurs (et a fortiori des éditeurs) ont toujours à l'esprit le fait que chaque ouvrage pourrait être traité très différemment. Il est donc illusoire de penser qu'un texte à l'état brut fera l'unanimité. Le challenge de l'auteur, lorsqu'il travaille seul, consiste à réduire autant que possible les futurs "dommage que…". Le seul moyen, c'est une auto-critique impitoyable et l'écoute attentive des critiques et conseils extérieurs.
Amitiés,
Elen
@Maryse Wolfgang
Merci beaucoup pour votre commentaire. J'avais partagé dans mes groupes l'article de Laureline, qui rendra de grands services. Vous avez raison de citer aussi l'ouvrage de Charles Dantzig, à recommander aux curieux !
Amitiés,
Elen
@Michel CANAL
Merci, Michel. Moi aussi j'apprécie beaucoup Céline Vay. Le titre du paragraphe que vous citez n'est pas de moi, qui porte sur le travail d'écriture un regard moins contrasté. Cependant, j'assume ce que j'ai écrit. Le côté obscur de l'autoédition, c'est que dans leur solitude, leur manque d'accompagnement, les auteurs se crispent parfois sur ce qu'ils ont écrit, et se sentent agressés lorsqu'on le remet en question. Il est dommage qu'ils ne réalisent pas ceci : certes, il y a des textes magnifiques écrits presque d'un jet ; mais il est très exceptionnel qu'un travail plus approfondi ne puisse les rendre encore meilleurs. Et dans le cas général, TOUT auteur, surtout inexpérimenté, a hautement intérêt à retravailler sa copie. Il y a toujours quelque chose à améliorer, et il n'y a aucune honte à cela. Je comprends très bien l'hypersensibilité de quelqu'un qui s'est donné du mal pour accoucher de ce qui lui semble être le meilleur de lui-même, mais l'ego est le pire ennemi d'un auteur.
Amitiés,
Elen
@VAY Céline
Merci, ma chère Céline. Pour répondre à votre remarque : il est compréhensible que de jeunes autoédités, surtout s'ils ont réussi à se faire un petit fan-club, n'apprécient pas qu'on leur présente la réalité, a fortiori sur un ton d'évidence. Il me paraît cependant normal que les auteurs "passés" fassent bénéficier les auteurs "futurs" de leur connaissance du monde du livre ; nul ne devrait s'en sentir offusqué. Mon but n'est jamais de critiquer. Simplement, un talent en devenir ne peut pas cumuler cette perspective avec une longue expérience, de même qu'à l'inverse, on ne peut pas être et avoir été. :-) Par ailleurs, ma joie de vivre fait que je m'exprime volontiers sur un ton énergique et facétieux, qui n'est pas toujours bien interprété. Enfin, mon combat pour fédérer les indés et leur procurer gratuitement des outils supplémentaires n'a pas été bien perçu par tout le monde, et cela n'a rien d'étonnant quand on réalise que les conseils à leurs pairs autoédités sont, pour les auteurs, d'un meilleur rapport que l'autoédition en soi. Il faut bien que tout le monde vive, et je ne veux faire d'ombre à personne, car de mon côté, comme on dit, je n'ai "rien à vendre et rien à acheter". :-)
Amitiés,
Elen
@lamish
Merci à vous, Michèle.
Je suis handicapée, et il est vrai que mes cercles facebookiens sont plus au courant de cette situation que mes ami(e)s de mBS.
Amitiés,
Elen
Merci @Elen Brig Koridwen pour ce nouveau billet. Je m'étonne presque que Céline n'ait pas trouvé à me critiquer pour mon côté "chiant" lorsque je corrigeais "La chimie de l'autre" ou sa "Chronique", ne laissant rien passer.
Je partage l'intérêt qu'il y avait à nous ouvrir les yeux sur ce type de fautes. Je n'ajouterai rien à ce que @Ivan Zimmermann, @lamish et @VAY Céline ont commenté avec pertinence.
Mais relativement à mon ressenti à travers de nombreux écrits sur mBS, je retiendrai sous le titre « Seul le travail donne naissance à de la bonne littérature » le passage : "Il ne peut y avoir de performance et de succès sans travail approfondi... De nos jours, hélas, on a l’impression que certains jeunes auteurs croient pouvoir passer gaillardement de la découverte de Harry Potter à la rédaction d’un chef-d’œuvre. Cette fâcheuse illusion gâche dans l’œuf beaucoup de talents." Pour l'avoir écrit à certains qui se sont vexés ou qui l'ont pris de haut prétextant qu'ils étaient édités (donc sous-entendu fiers de leurs ventes) et que les fautes dans l'extrait sur mBS étaient un encouragement pour d'autres à oser s'auto-éditer quelle que soit leur qualité d'écriture, un tel rappel me réjouit.
Je salue votre courage, Elen, eu égard à votre état de santé, et encore plus votre générosité envers les écrivaillons auto-édités que nous sommes. Une prof de français comme vous aurait fait des merveilles à l'âge auquel on est réceptif pour assimiler les règles de grammaire, de syntaxe, de conjugaison et les ancrer à vie dans les cases de notre cerveau dédiées à l'écriture. Je suis heureux de vous redire toute ma sympathie et mon admiration, mamie Elen.
@Ivan Zimmermann
Merci, Ivan :-)
Je précise que les titres de paragraphes en rouge ne sont pas de moi, sauf ceux en italiques. Je ne m'adresserais pas aux autres auteurs de cette manière. Déjà qu'une autoéditée a trouvé "péremptoire" le ton de mes articles sur l'édition ! :-)
Amitiés,
Elen