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Du 08 sep 2020
au 08 sep 2020

Un été presque parfait : La folie m’a rattrapé

Comment le voyeurisme peut conduire à la non assistance à personne en danger ? Une nouvelle d'un auteur coupable, qui commençait pourtant comme une simple distraction d'une soirée un peu longue. Sur le thème d'"un été presque parfait", une descente aux enfers
Epier, peut-être, mais secourir, sans douteEpier, peut-être, mais secourir, sans doute

 Je ne pouvais pas m’empêcher de regarder. Cela m’avait pris pendant le confinement. Toutes ces journées et ces nuits à attendre que quelque chose se passe. A rester enfermé pour ne pas risquer la mort. J’ai cru devenir fou. C’est peut-être ce qui est arrivé d’ailleurs.

Je me suis mis à la fenêtre pour passer le temps. Le problème c’est qu’il ne se passait rien dehors. Alors j’ai pris l’habitude de regarder dans l’immeuble d’en face. Tous ces gens enfermés chez eux, il y a toujours quelque chose à voir. Les deux messieurs qui habitent ensemble. La dame qui peint des tableaux. Le couple qui se fait bronzer sur son balcon.

Puis nous avons à nouveau eu le droit de sortir, de revivre. J’ai presque repris ma vie d’avant sauf que …

L’espionnage de mes voisins est devenu une véritable obsession, une drogue même. Dès que je rentre, c’est plus fort que moi, il faut que je regarde dans l’immeuble d’en face. Parfois je renonce à une sortie entre amis tellement j’ai besoin de regarder mon tableau vivant.

Mais les feuilles ont poussé. Je ne vois presque plus l’immeuble d’en face. Pourtant il me faut ma « dose ». Je cherche autour et découvre deux fenêtres que je n’avais pas encore remarquées : une chambre et une cuisine. Je suis heureux comme un gosse qui vient de recevoir un nouveau jouet. J’ai hâte de voir le dernier film de la vie.

Le premier jour, une femme prépare le dîner dans la cuisine. Elle semble lasse et triste. Vit-elle seule ? A-t-elle perdu un être cher ? Je m’installe confortablement avec des biscuits à grignoter et une bouteille de soda. Elle disparait quelques minutes puis réapparait et ainsi de suite : c’est un ballet incessant. A chaque fois, elle emporte quelque chose et se hâte de manger ce que je devine être un morceau de pain quand elle revient dans la cuisine. J’ai l’impression que ses épaules se voûtent au fil de la soirée. Pendant qu’elle fait la vaisselle, quelqu’un allume la lumière dans la chambre. Elle n’est donc pas seule.

J’aperçois un homme assis au bord du lit. Il est grand et costaud, l’air peu engageant. Quand la femme entre dans la chambre, je devine qu’il se met à crier. Elle se recroqueville aussitôt. Ils ont une dispute. Elle ne dit presque rien et tout d’un coup il lui met une claque puis deux. Elle se met à pleurer et disparait. Elle revient quelques minutes plus tard en chemise de nuit et se couche. L’homme s’allonge de l’autre côté du lit. Ils se tournent le dos. Il éteint la lumière.

Le lendemain matin, je ne vois rien. Il faut dire que je ne suis pas matinal. Je me dépêche de rentrer le soir pour reprendre mon observation. La même histoire recommence.

Le troisième soir, l’homme entre dans la cuisine, prend la main de sa femme et la presse sur la plaque de cuisson. Je vois la femme changer de tête et pousser un hurlement muet : il lui a volontairement brûlé la main. Elle sort en courant de la cuisine et je ne la revois plus.

Le quatrième soir, elle ne dîne toujours pas avec lui. Sa main est bandée. Ils se retrouvent dans la chambre. Il l’attrape, la jette sur le lit, défait sa ceinture et commence à la battre avec la boucle du ceinturon. Il lui écrase le visage contre le lit, sûrement pour que les voisins n’entendent pas les cris.

Et c’est ainsi tous les jours. Tous les matins, je me persuade que j’ai rêvé, que ça n’existe que dans les films. Et je continue à regarder tous les soirs.

Un soir, l’homme est seul. Il mange dans une boîte de conserve, le regard perdu. Tout à coup, il sursaute, prend un air interrogateur et sort de la cuisine. Je ne vois plus personne.

Le lendemain, comme tous les matins, je lis les gros titres des journaux en passant devant le kiosque. Aujourd’hui, un titre m’interpelle dans la gazette du quartier : un homme a été arrêté. Il a battu sa femme à mort.

Maintenant j’en suis sûr : la folie m’a pris dans ses filets. J’ai regardé un homme battre sa femme à mort sans rien tenter.

 

Marina Leridon

 

 

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Merci à tous pour vos commentaires. Il s'agit bien du fruit de mon imagination et … heureusement ! Je sais qu'il existe d'impardonnables et inexcusables atteintes à beaucoup de personnes tous les jours et partout. J'ai l'immense chance de ne jamais y avoir été confrontée ni directement ni indirectement. J'aime à me dire, qu'à la place du personnage, j'aurais fait ce qu'il fallait. Malheureusement, comme le dit Jean-Jacques Goldmann dans sa superbe chanson "Né en 17 à Leidenstadt", nous ne pouvons être sûrs de rien ! Et, bien sûr, la folie n'est en aucun cas une excuse à mes yeux. Amicalement. Marina.

Publié le 20 Septembre 2020

Bonjour@Kroussar Je vous remercie beaucoup de votre soutien à nos causes qui sont, hélas, innombrables. C'est tellement vrai, Jean-Claude, qu'il y a un immense fossé entre écrire un article sur un thème sensible, sociétal, pour se donner bonne conscience en gesticulant, et agir en se démenant pour tenter avec nos faibles moyens d'alerter et de nous investir. Mais ne dit-on pas que les petits ruisseaux font les rivières qui, elles, font les océans. Amicalement. Patricia

Publié le 10 Septembre 2020

@Trisha E.
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@De Vos Philippe
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Patricia, Philippe, je soutiens votre démarche et votre combat contre toutes les formes de violences faites aux femmes, aux hommes, aux enfants, aux personnes âgées... Qu'elles soient physiques, psychologiques ou verbales, elles détruisent des vies, brises des âmes, et on ne peut que se révolter. Non pas en tapant quelques phrases sur un clavier, caché derrière son ordinateur, mais en témoignant. En aidant les personnes blessées, meurtries, brisées...
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Oui, ce sont des sujets qui ne peuvent que nous révolter, mais la pire chose est de gesticuler, faire croire que l'on s'intéresse... puis passer à autre chose.
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Des sujets sensibles, il y en a des centaines, des milliers. Les partager sur mBS c'est aussi sensibiliser notre communauté. Alors je vous dis bravo, à tous les deux, pour avoir l'un et l'autre proposé des thèmes malheureusement non publiés, ou passés en douce.
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Amicalement Jean-Claude

Publié le 10 Septembre 2020

Bonsoir@De Vos Philippe Effectivement toute cette indifférence sur les violences physiques et psychiques faites aux femmes, aux enfants et sur tout ce qui est vivant, sont insupportables pour moi et pour la majorité d’entre nous. Mais je me battrai jusqu’à la fin de ma vie pour témoigner, pour alerter et pour partager inlassablement les innombrables articles que je lis. Par exemple sur Instagram je lis tous les jours le décompte sordide des femmes massacrées par leur conjoint en France, c’est effarant car il ne se passe pas un seul jour sans une ou plusieurs victimes de plus. Quel macabre décompte qui m’indigne au plus profond de moi. Mais quand est-ce que ces meurtres vont-ils cesser ? Quand est-ce que l’excision sur plus de 125 000/an de jeunes filles à peine pubères en France va-t-elle être sévèrement punie par la loi ? Ce crime s’amplifie d’année en année. Marlène Chiappa commence, enfin, de réagir. Quand est-ce que les mariages forcés de toutes jeunes filles, non majeures, avec de vieux libidineux (pédophiles) qui ont le triple ou le quintuple de leur âge, vont-ils prendre fin, même en France n’en déplaise à certains et en particulier à un certain écrivain algérien qui a eu le culot de me dire, dernièrement, que cette pratique n’existait pas dans son pays. Quelle hypocrisie !

Effectivement, une femme qui a le courage de porter plainte contre son tortionnaire – et Dieu seul sait comme c’est difficile pour elle de crainte de se retrouver à la rue, sans un sou et souvent avec ses enfants – devrait obligatoirement être mise sous protection et son tortionnaire mis immédiatement sous les verrous. Jean Valjean n’a-t-il pas écopé de 20 ans de bagne pour avoir volé un pain ?

Merci infiniment Philippe de m’avoir comprise. J’ai survécu grâce à ma grande force de caractère et cet épisode de ma vie est depuis longtemps derrière moi. Si j’ai pu le mettre noir sur blanc, difficilement, ce n’est pas pour faire pleurer dans les chaumières, mais seulement, je dis bien seulement, pour témoigner qu’entre les murs d’un foyer ou d'une famille avec une mère qui devrait avoir l'instinct maternel, nageant dans le soi-disant bonheur, se cachent parfois d’abjectes meurtriers pire que des bêtes. Une expression dit « un comportement bestial », mais qui sont les bêtes finalement ? Ni plus ni moins que certains humains qui n’ont aucune humanité. Je regrette tant que vous ayez supprimé « Humérus Clausus », votre poème sur les féminicides qui force mon respect et qui me bouleverse chaque fois que je le lis. Vous avez été confronté à une pression, oui à une puanteur qui m’indigne au plus haut point sur ce texte et surtout par ailleurs dernièrement. Une lectrice a comparé votre si douloureux poème à un joli conte, une autre, à la science infuse en matière de littérature, est allée vous chercher des chicanes sur le fond et surtout sur la forme que, finalement, elle n’a pas su vous expliquer. Un lecteur est allé vous dire qu’il l’avait détesté (peut-être quelques réminiscences ?). Oui, certains lâches préfèrent se voiler la face, faire comme si cela ne les concernait pas afin de continuer leur petite vie bien pépère de crainte de voir leur petit confort bousculé par un quelconque témoignage au judiciaire. Et ensuite, comment peuvent-ils se regarder dans une glace après que l’irréparable a été commis ? C’est si facile de dire que l’on ne savait pas. Je salue votre intervention pour sauver votre voisine de palier. Mais qui peut rester insensible face à une telle détresse, sinon les sans cœurs ou les pleutres.

Je vous remercie également Philippe, car je sais que je vous trouverai toujours à mes côtés, comme moi je serai aux vôtres pour poursuivre notre combat sans relâche. Je suis depuis quelques années auprès de certains jeunes (de 17 à 25 ans, vivant dans la corne de l’Afrique), qui sont devenus bien plus que ma famille, engagés à l’UNICEF afin d’alerter sur toutes violences faites aux enfants non majeurs et notamment lors d’une conférence qu’ils ont tenue le mois dernier sur l’excision de jeunes filles qui est un crime contre l’humanité (200 millions dans le monde et certainement beaucoup plus, car les chiffres sont largement sous-estimés). Je compte énormément sur cette jeunesse qui, quoique que certains en pensent, s’engage avec toute son âme. La prochaine conférence abordera le thème des mariages forcés et des violences faites aux femmes et aux enfants. Alors, un immense MERCI à mes petits.

Haut les cœurs, Philippe. Patricia

Publié le 09 Septembre 2020

Texte insupportable à lire pour moi qui ai subi une non-assistance à personne en danger de la part de ma génitrice alors que je mourrais sous ses yeux d'une grossesse extra-utérine. Elle joue la comédie qu'elle a dit au médecin appelé par mon mari arrivé in extrémis. Mais ce qui est IGNOBLE, c'est de lire @Lamish que certains pensent : peut-être le mérite-t-il/elle. PUNAISE j'en ai le cœur qui bat la chamade à trois mille à l'heure. Mais plus rien ne m'étonne, en fait, dans ce monde pourri jusqu'à la moelle. Trisha OUTRÉE.

Publié le 09 Septembre 2020

@Marina Leridon, si cette nouvelle est le fruit de l'imagination, le personnage qui raconte étant un homme, elle est seulement triste, en accord avec le thème : "Un été presque parfait". Il faut dire que l'on a vu pire dans les faits divers (bien réels hélas) de ces derniers mois, au point qu'un ministre a parlé "d'ensauvagement".
S'il s'agit d'un fait réel (lu sur La Gazette par exemple), c'est pitoyable. Mais ce serait d'une lâcheté sans nom si l'observation avait permis d'être témoin de ces violences conjugales sans réagir.
Merci pour votre apport dans l'air du temps. MC

Publié le 08 Septembre 2020