Actualité
Le 14 Jan 2022

Et si les prénoms jouaient un rôle clé dans le succès d'un roman ?

Paul, Camille, ou Marguerite…Nos romans sont tapissés de prénoms et de noms qui tissent l’imaginaire des récits. Ils disent une classe sociale, une distance ou au contraire une proximité. Mais sont-ce les situations ou l’environnement qui les génèrent ? Est-ce le caractère des personnages qui détermine leurs appellations ? Les mêmes noms, ou prénoms, dans des espaces ou des époques différentes ont-ils le même sens, racontent- ils la même histoire ? En un mot sommes-nous les victimes des coquetteries d’auteurs ou les auteurs sont-ils asservis aux noms des héros qui s’imposent à eux ?
Noms et prénoms dans les romans. Jean Valjean pouvait-il s'appeler autrement ?Noms et prénoms dans les romans. Jean Valjean pouvait-il s'appeler autrement ?

Une série sur France info, approche ce phénomène. Aucun des auteurs interrogés ne prétend détenir la vérité mais pour tous ou presque, le nom (ou l’absence de nom) de leurs héros s’énonce comme une évidence. Comme s'ils n'avaient pas à les chercher, tant ils s'imposent naturellement.

Les noms et prénoms ont du sens dans les romans

David Foenkinos, (La délicatesse chez Folio), prend plaisir à  trancher, à mettre des adjectifs derrière les prénoms : Nathalie, c’est sexy, Sylvie inspire la dépression, elle ne s’en sort jamais vraiment. Il y a aussi des noms de métier : si Edouard est forcément dentiste, Jean-Jacques est banquier, et Carlotta chanteuse lyrique, cela va de soi.
Les corporations appellent des prénoms mais des noms aussi. Les récits, quand ils prennent place, inspirent des personnages qui naturellement trouvent leurs prénoms dans les situations et les fonctions qu’ils occupent. Ceux-ci coulent de source.

Mais le choix d'un nom/prénom peut aussi déterminer le caractère et le destin d'un héros. Il est naturel que l'écrivain construise, poursuive un récit imaginaire coïncidant avec les syllabes d'un prénom. Il façonne ainsi le récit dans l'exploration de ce que peut signifier ce nom.
En baptisant son héroïne "Cassandre" ou "Céleste", on leur devine a priori des vies bien différentes. Et leurs prénoms pré-disposent un auteur à leur faire vivre des aventures bien distinctes.
Mais les accidents sont aussi bienvenus. C'est là ou les hasards font bien les choses, volontairement ou pas. Une "tueuse en série" dénommée "Ange", pimente le récit et titille le lecteur. L'auteur se doit alors de tenir le cap et s'inflige une exigence supplémentaire dans la tension et l'ambiguïté de son récit.

La force des personnages dans les romans célèbres donnent aussi du contenu à leur prénom. Et là, c'est peut être l'effet inverse, les héros donnent une connotation aux noms.
"Emma Bovary", nom harmonieux, bourgeois d'une amoureuse qui vit par procuration une autre vie dans un monde aristocrate détonne comme un cri de frustration.
Jean Valjean dit bien ce destin qui balance entre bonté et violence, souffrance et pauvreté, entre quidam et héros. Entre renommée et vie secrète.
Dans ce cas, la culture et le sentiment l'emporte. On attribue aux prénoms ce que la mémoire collective leur a apporté.
N'est-ce pas Cosette ?

 

Le  « je », le « tu », le « il » valorisent les climats, les situations en littérature

A l’inverse, Michèle Lesbre, auteur de « Ecoute la pluie » (Editions Sabine Wespieser) manie, le  « je », le « tu », le « il » jusqu’au paroxysme. Il faut dire que son livre est proche d’un monologue. Pour elle, ce n’est pas nécessaire d’ « appeler » ses héros pour donner vie à ses personnages. Ils sont mieux ciselés par des lieux, des environnements, des comportements. C’est ainsi qu’on les comprend et qu’ils prennent leurs densité. « Les voix de femmes sont toutes moi » déclare t’elle, les prénoms ne sont pas déterminants.

Tairêse, ou Thérèse ? Pour Grégoire Delacourt, ce prénom peut être à la fois d’une grande vulgarité ou aérien selon la façon de le prononcer, le contexte ou l’humeur. Il s’envole vers le céleste ou s’enfonce dans la fange et la vulgarité. C’est tout le mystère des prénoms. Pour l’auteur de « La première chose que l’on garde », les prénoms confèrent aux héros leur terreau, leur consistance, leur histoire, leur référence. Il attache aussi de l’importance aux connotations : Jeannine est ambiguë car il est composé de « jeanne », qui dit l’autorité, l’élégance surannée et de « inne » qui la ramène à une dimension populaire de « petite » jeanne. Les prénoms renseignent donc sur les personnages et pré-décrivent l’échelle et le décor dans lequel ils vont évoluer.

Les prénoms ou les noms sont-ils une photo des personnages en littérature ? 

Ont-ils un sens propre et un sens figuré essentiel  à la construction des récits et a fortiori à leur perception ?
Quoiqu’il en soit, il faut y voir des références volontaires ou inconscientes des écrivains.Ou peut-être même un déterminisme fatal : « Gabriel » ne peut que s’imposer (car c’est la force de Dieu) et « Bienvenue », le personnage principal de la BD de Marguerite Abouet, (Gallimard) est évidemment une enfant désirée, protégée, et aimée. 

Comment trouver un prénom en littérature pour un roman

- Un prénom est évocateur.
Il dit donc la personnalité et le caractère du personnage mis en scène. Mais il doit aussi être évocateur de l’univers proposé par l’auteur. Que dirait-on d’une Berthe à la conquête de Mars qui conduit sa fusée parmi les météorites ?

- Le nom et prénom doivent être cohérent avec l’univers proposé d’un roman.
Louison est mieux à la ferme qu’à Berkeley en recherche scientifique. Mais attention, le « cousu main » est trop visible aussi, il s’agit de jouer fin. Car l’insolite est amusant.

- Le lieu peut avoir une influence sur le choix. Si Jean, Gaspard et Frédéric sont trois américains qui travaillent dans les hedge-funds de wall-street sur les produits dérivés., il est clair qu’un problème de cohésion se pose. Sauf si ce sont des étudiants attardés qui se sont expatriés ensemble.

- La simplicité, la mémorisation et la distinction claire entre les noms choisis sont importants. Le commencement d’un roman campe souvent plusieurs personnages, et il faut parfois près d’un chapitre pour comprendre qui est qui.  Et si le tissu de l’intrigue est complexe et démarre vite, plutôt simplifier que complexifier pour aider le lecteur.

- La temporalité marque aussi la contemporanéité ou le passéisme d’un nom. Kevin marquera les années 90 comme Martine les années 60, et Mahault les années 2000

- Les noms excentriques font partie du spectre de choix. Junky, funky, beatnik, grunge, dark-metal, la pop culture nous a ouvert à de nombreux prénoms. Et depuis l’autorisation quasi universelle de choix de prénoms, tout est permis, les prénoms étranges sont autorisés.

Comme toutes règles, il faut savoir les enfreindre. Mais pour les dépasser avec talent, il faut les connaitre.

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Et bien chez moi, cela se révèle à moi tout naturellement et maintenant que je lis cet merveilleux article, je réalise qu’en un éclair de temps, cela balaie souvent la classe sociale cible, les émotions véhiculées et le temps et l’espace auxquels appartient le récit.

Publié le 03 Juin 2024

Pour moi un de mes héros s'appelle "Rougeron" juste de la couleur et la forme géométrique, d'autres s'imposent à moi comme une évidence, ou de la classe sociale qu'il est censé représenter,...

Publié le 09 Février 2022

Bonjour à tous,
Pour ma part, chaque prénom est réfléchi bien avant d'avoir écrit la première ligne. Étymologie et mode du moment. Même si comme le dit si bien Michel CANAL "[...]le lecteur le prend et le fait sien en y apportant son affect.", pour moi le choix est important, le lecteur en fait ce qu'il veut avec son propre vécu et son imaginaire par la suite.
Maureen

Publié le 04 Février 2022

Un nom peut-être la clé de l'énigme ou mettre en valeur un trait de caractère. On ne devrait jamais donner des noms au hasard. Ceux qui lisent "Lolita" sans intégrer d'abord le nom du narrateur passeront à côté de leur lecture.
A mon humble niveau, les lecteurs passeront éternellement à côté du sens d'une scène s'ils n'ont pas la curiosité de chercher ce que pourrait bien signifier "Poniatowo".
La guématrie (associée à la symbolique) peut également être une clé.
S. Erichton par exemple (le "prohète" de "Sweet Memory).
Les noms des personnages les constituent.

Publié le 02 Février 2022

Merci pour cet article qui nous interpelle tous... Certains prénoms s'imposent, certes, mais c'est finalement assez rare. N'oublions pas que pour laisser un peu de liberté aux personnages, il faut enlever les prénoms de notre entourage, mais aussi ceux qui évoquent le souvenir d'une vraie personne aimée ou détestée... :)
Au final, dans l'urgence d'une scène, on se retrouve souvent à piocher dans un calendrier... Après, hasard ou pas ? :))

Publié le 20 Janvier 2022

Le prénom, un rôle clé dans le succès d'un roman ?
Disons que le lecteur le prend et le fait sien en y apportant son affect. Il ne peut de toutes manières en être autrement. Alors oui, le personnage donne du contenu au prénom.
Le choix d'un prénom peut-il déterminer le caractère et le destin d'un héros ?
Allez savoir pourquoi une personnalité, un ensemble de critères sont attachés au prénom. S'il en est ainsi pour chacun d'entre nous, tant il est vrai que nos caractéristiques sont associées au prénom comme si un décret cosmique en avait imposé le choix à ceux qui l'ont choisi pour l'enfant né ou à naître, pourquoi n'en serait-il pas de même pour les personnages de romans ?
J'ai pu le vérifier pour les personnages de ma trilogie. J'ai occulté leurs vrais prénoms, ceux que j'ai choisis se sont imposés. Pourquoi ? J'ai pu constater, avec le recul, qu'ils collent mieux et parfaitement à leur histoire. Pourquoi ?
Comme le souligne @Jean-Louis Ermine, il est vrai que le choix des prénoms à la naissance obéit aux tendances de l'époque. Il suffit de faire de la généalogie ou de s'intéresser à l'Histoire pour le confirmer, de constater aussi que l'époque actuelle permet toutes les excentricités.
Des personnages se sont faits sur un prénom. Athos, Porthos, Aramis, Javert, Fantine, Cosette, Gavroche… se suffisent à eux-mêmes. Mais si l'auteur accole un nom, il acquiert son importance. Que seraient Jean sans Valjean ? Edmond sans Dantès ? Hercule sans Poirot ?
Merci @monBestSeller pour cet article très intéressant.

Publié le 20 Janvier 2022

Ho bas dis donc ! C'est mon dinosaure en photos que vous avez mis là - Mon Best !! (en ref. à ma rencontre...) Dont je n'ai justement pas cité le Prénom ...

Publié le 19 Janvier 2022

Le choix des prénoms lors des naissances, qui s'effectue par vagues, est sujet à des lois inconnues qui sont en fait des lois sociales, comme s'il y avait des modes à travers le temps. ceci semble échapper à notre libre arbitre. Alors peut être est-il vain de se poser les mêmes questions en littérature ?

Publié le 16 Janvier 2022

Je viens de lire votre article.
J’ai toujours aimé les prénoms courts, Luc, Paul, Éric, ou Eve, Claire etc… Ce sont ceux que j’utilise de préférence dans mes écrits. Parfois je fais quelques recherches sur les prénoms en fonction de l’âge de mes personnages. Un homme de 80 ans porterait très mal Kevin son petit-fils le pourrait…
Le nom ne m’importe guère. Peut-être pour la légère difficulté, lorsque plus jeune, il m’en coutait de mémoriser qui était qui dans la littérature russe ou scandinave par exemple.
Commentaire écrit en spontané, sans trop de réflexion…peut-être vais-je le regretter !

Publié le 15 Janvier 2022