Je me souviens de mon étonnement quand, enfant, j’ai appris que Jean de La Fontaine, non content d’avoir pillé les fables d’Esope, avait été un libertin et un parasite. Comment un homme aussi peu recommandable était-il devenu notre plus célèbre donneur de leçons de morale ? Plus tard, c’est Jean-Jacques Rousseau qui est tombé de son piédestal. L’auteur du « contrat social » avait abandonné ses enfants à l’Assistance Publique ! Fallait-il pour autant séparer les œuvres de leurs auteurs alors que chez les poètes maudits, vie et œuvre s’entremêlaient, indissociables, dans les vapeurs de soufre et d’absinthe ?
Tout ça pour dire que l’ambivalence est partout et que si l’on devait boycotter les œuvres dont les auteurs n’ont pas une « bonne moralité », les fonds de nos bibliothèques et de nos musées en seraient fort appauvris ! De même pour le cinéma. Charlie Chaplin défrayait la chronique avec ses très jeunes conquêtes et Hitchcock harcelait ses actrices avant que Roman Polanski ne sévisse…
Parlons de lui, puisqu’il est dans la tourmente médiatique. Certains veulent boycotter ses films. Pourquoi, alors qu’ils ne font pas l’apologie d’actes répréhensibles et qu’ils font partie de notre patrimoine culturel ? En revanche, je trouve indécent, incompréhensible, de rendre hommage sur hommage à un réalisateur coupable de viols ! J’imagine la souffrance de ses victimes. Que Roman Polanski continue de travailler, oui, mais dans la discrétion. Que l’on aille voir ses films, oui, mais en connaissant sa part d’ombre.
C’est une toute autre chose quand un auteur, non content de faire l’apologie de la pédophilie et donc du viol dans son roman, continue de vive-voix sur un plateau de télévision ! Une honte absolue doublée, il me semble, d’un délit. Je me souviens fort bien de cette émission de Pivot. Ecœurée par les propos de Gabriel Matzneff, j’avais beaucoup apprécié l’intervention de Denise Bombardier, la seule des invités à ne pas rire et à avoir une pensée pour les victimes !
Quant au battage médiatique autour de ces histoires de mœurs, qui ne devraient relever que de la Justice, il me laisse dubitative. Qu’en retire-t-on ? Des explications lamentables en guise d’excuses de la part des prédateurs, ce qui s’avère une épreuve supplémentaire pour les victimes. Le travail, ce ne sont pas les journalistes qui le font, ce sont celles qui ont osé raconter leur histoire. Mais elles passent encore une fois à la trappe car c’est le prédateur qui est célèbre et c’est lui qui fait monter l’audimat. On peut juste espérer qu’à force, cela fera bouger les mentalités car pour un cas médiatisé, combien d’abus d’enfants et d’ados, murés à vie dans le silence, la souffrance et la honte ?
Ce qui m’étonne et me gêne aussi, c’est que personne ne pointe la responsabilité des parents des victimes. Moi, je sais que je n’aurais jamais laissé ma fille de treize ans aller régulièrement retrouver un homme bizarre de cinquante ans comme Gabriel Matzneff ou faire plusieurs après-midis de séances photos avec David Hamilton (« la consolation » Flavie Flamant), pas plus que je n’aurais laissé mon fils dormir chez Mickaël Jackson ! Les parents ont le devoir de protéger leurs enfants.
Ces « affaires » devraient rappeler aux auteurs et créateurs célèbres qu’ils ne sont pas au-dessus des lois et que pour la postérité, il est recommandé de se montrer à la hauteur de son œuvre…
Colette Bacro
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
C'est le Week end, Je supprime l'ensemble des commentaires désagréables et vides d'intérêt. Cet espace n'est pas un blog de remarques inintéressantes, agressives et personnelles.
Merci aussi à toi @lamish. Inutile de nous étendre en évocation de cohérence, d'empathie et de fidélité en amitié, qualités que la rareté rend précieuses.
Tu sais quelle importance a la recherche de la compréhension entre auteurs puisque tu es à l'origine de celle que nous avons développée avec Céline... à partir d'un malentendu.
Désolé @Colette Bacro, d'avoir contribué à alimenter les débats de manière non souhaitée.
Paroles de sagesse, objectives et sensées @De Vos Philippe.
J'ai beaucoup apprécié votre développement.
@lamish, @Colette Bacro,
Merci mesdames de vos précisions. Désolé de l'avoir pris pour Philippe et moi. Comme quoi, on se fait des idées, qui sont souvent fausses. Bonne journée à vous deux.
@lamish,
Vous êtes surprenante. Vous vous réjouissiez que certains n'ergotent pas ! Mais à vos yeux d'autres peuvent le faire, à condition, bien sûr, qu'ils fassent partie de votre cercle d'amis. Alors qui visiez-vous ? Si ce n'est Philippe et moi-même (les deux seuls commentaires avant le vôtre). Surprenante... Et puis ERGOTER qu'en termes peu flatteurs cela est dit...
Merci @lamish pour ton intention. Il y aurait tellement à dire à un moment où on lit tout et n'importe quoi.
Tu as raison, Michèle, sur les suppositions de journalistes que Polanski était visé par la secte en raison de son film sataniste « Rosemary's Baby ». Cela parce que Charles « Tex » Watson avouera après son arrestation avoir dit à l'une des victimes, Wojciech Frykowski qui lui demandait qui il était et ce qu'il voulait : « Je suis le diable, et je suis ici pour faire son travail ». Concernant l'assassinat ignoble de Sharon Tate, enceinte de 8 mois, poignardée 16 fois par Susan Atkins, le commando de membres de la secte de Charles Manson ayant aussi tué les autres occupants de la villa, il s'agissait en fait d'une erreur. Ils voulaient venger Charles Manson du refus du producteur de musique Terry Meicher, lequel avait récemment déménagé. Mais Roman Polanski ne risquait pas d'y avoir participé, il était alors sur la préparation d'un tournage à Londres.
Quant à vous @Colette Bacro, je suis heureux que vous ne soyez pas tombée de votre chaise en me lisant. Moi, père-la-vertu ? Pfff ! Un parfum d'homophobie chez moi ? Encore Pfff ! La société d'alors, oui !
Romans, essais : attention que la morale ne vide pas nos bibliothèques !
Merci pour cette tribune @Colette Bacro.
Jean de La Fontaine, un libertin et un parasite devenu le célèbre donneur de leçons de morale. Jean-Jacques Rousseau, l’auteur du « contrat social » qui avait abandonné ses enfants à l’Assistance Publique. Fallait-il séparer les œuvres de leurs auteurs ?
Et combien d'autres pourrait-on citer, non parce qu'ils étaient des prédateurs de jeunes créatures, mais parce que leurs écrits ont heurté l'opinion de leur époque et fait monter au créneau les ligues de vertu. Entre autres Colette, un monument de la littérature française, qui a ouvert le siècle avec la série des « Claudine » : « Claudine à l’école », le premier de la série, relatait la relation amoureuse — mais platonique — d’une adolescente avec sa jeune maîtresse auxiliaire, la liaison affichée de cette même maîtresse auxiliaire avec la directrice d’école, le goût prononcé du médecin scolaire pour les jolies élèves. Les suivants ont relaté l’exigence de liberté dont elle faisait preuve : son aventure homosexuelle, son concours pour aider une jeune femme mariée, docile et timorée, à s’émanciper, puis à échapper à la tutelle d’un mari possessif et goujat.
Colette, aussi auteur de « Le blé en herbe », élue à l'unanimité à l'Académie Goncourt, élevée à la dignité de Grand-Officier de la Légion d'honneur, à qui le gouvernement a fait des obsèques nationales dans la cour du Palais-Royal… mais à qui l'église Saint-Roch a refusé les obsèques religieuses à celle qui avait répandu autour d'elle un parfum de scandale et qui était deux fois divorcée.
Ce fut encore le cas après la guerre (1914-18) pour le roman « La garçonne », dans lequel Victor Margueritte dressait le portrait d’une jeune bourgeoise intellectuelle et célibataire qui gagnait sa vie en travaillant, dont la particularité était d’avoir les cheveux coupés, de se faire la prêtresse de l’amour libre et de la débauche. Plus tard, le roman de Dorothy Bussy, « Olivia » adapté pour le cinéma en 1950, jugé immoral, a été censuré aux Etats-Unis. Dans le monde exclusivement féminin d'un pensionnat de jeunes filles de la bonne société, Olivia, nouvelle venue, tombe sous le charme de la directrice. En réalité, outre son immoralité, sans doute lui reprochait-on d'avoir été écrit et réalisé par des femmes.
Oui, si l’on devait boycotter les œuvres dont les auteurs n’ont pas une « bonne moralité », les fonds de nos bibliothèques en seraient fort appauvris !
Oui, pour le cinéma, Charlie Chaplin défrayait la chronique avec ses très jeunes conquêtes et Hitchcock harcelait ses actrices avant que Roman Polanski ne sévisse.
Là, Colette, je réagis. Pardon d'être aussi long pour prendre sa défense. Dans la tourmente médiatique, certains voulant boycotter son film « J'accuse », accueilli chaleureusement lors de sa présentation en compétition officielle à la Mostra de Venise 2019, remportant le Lion d'argent décerné par le jury présidé par la réalisatrice Lucrecia Martel ainsi que le Prix FIPRESCI, nominé 12 fois pour la 45ème cérémonie des César, l'époux d'Emmanuelle Seigner depuis 1989, avec qui il a eu deux enfants (Morgane, actrice et réalisatrice, née en 1993, et Elvis, musicien, né en 1998) mène une vie rangée.
Vous dites « J'imagine la souffrance de ses victimes ». C'est votre droit. Et à juste titre « qu'il ne fait pas l'apologie d'actes répréhensibles et que l'ensemble de ses films fait partie de notre patrimoine culturel ». Effectivement, son œuvre a fait l'objet en 2017 d'une rétrospective à la Cinémathèque française au cours de laquelle il a donné également une leçon de cinéma.
Mais de qui parle-t-on ?
Polanski en chiffres, c'est 65 années de carrière de réalisateur, acteur, scénariste et producteur de cinéma, de théâtre et d'opéra, 64 films, 79 nominations, 25 récompenses, plus de 53 millions d'entrées au cinéma. C'est aussi — hélas — plus de 40 ans de harcèlement médiatique pour un fait avéré, d'autres improbables.
Si l'on parle de l'affaire Samantha Gailey (devenue épouse Geimer), 13 ans à l'époque des faits à Los Angeles en mars 1977 (affaire jugée, reconnu coupable d'avoir eu des rapports sexuels illégaux avec un mineur, condamné à 90 jours et emprisonné).
Précisions sur le personnage au moment du procès : Selon les deux experts psychiatriques commissionnés par la Cour, Polanski « ne présente pas un profil de délinquant sexuel mentalement dérangé », précisent qu'il est d'une « intelligence supérieure, a un bon jugement et de fortes valeurs morales et éthiques », estiment que « les circonstances étaient provocatrices, qu'il y avait une certaine permissivité de la part de la mère » et ajoutent que « la victime n'était pas seulement physiquement mature, mais désireuse ».
Donnons la parole aux protagonistes !
Samantha Geimer :
— En février 2003, alors que le réalisateur est nommé à l'Oscar du meilleur réalisateur pour son film « Le Pianiste », Samantha Geimer, tout en rappelant les faits du viol, prend publiquement sa défense et déclare que leur affaire ne doit pas entrer en considération pour juger son travail. Elle défend également la décision du réalisateur d'avoir fui les États-Unis et réitère son souhait qu'un terme soit mis aux poursuites. « Le juge aimait la publicité. Il n'avait rien à faire de ce qui pouvait m'arriver, ni à moi, ni à Polanski. »
— En 2013, publiant son autobiographie « La Fille : Ma vie dans l'ombre de Roman Polanski », elle revient sur la traque dont elle a fait l'objet, affirme que « ma mésaventure avec Polanski ne m’a pas traumatisée, ni mentalement, ni physiquement » et ajoute « Si je devais choisir entre le viol et revivre ce qui s'est passé après, je choisirais le viol ». Elle confie correspondre ponctuellement par mail avec le cinéaste depuis 2009 et s'exprime sur le pardon qu'on lui a souvent reproché. (…) « Tout le monde veut me voir traumatisée, brisée, mais c'était il y a trente-six ans, maintenant, ça va, merci. Et tant pis si je ne suis pas la victime idéale, celles que veulent voir les médias ou le procureur. »
— Le 18 janvier 2017, l'Académie française des arts et techniques du cinéma désigne Roman Polanski comme président de la prochaine cérémonie des César. Il décide cependant de décliner cet honneur, des associations féministes ayant vivement protesté contre sa désignation, en raison de sa situation judiciaire. (…) Samantha Geimer prend une nouvelle fois publiquement la défense du réalisateur, s'insurgeant contre les associations féministes qu'elle accuse d'utiliser son nom et son histoire sans son consentement afin, selon elle « de servir leurs propres intérêts. » Elle dénonce également l'acharnement dont ferait l'objet Polanski et accuse la justice américaine de chercher « à couvrir ses propres erreurs. »
— L'affaire se poursuivant, le 9 juin 2017, fatiguée de cette affaire qui continue depuis quarante ans, Samantha Geimer témoigne en faveur du cinéaste devant le juge Scott Gordon au tribunal de Los Angeles. Le 21 avril 2017, elle avait adressé une lettre à la procureure du comté et à son adjointe, dans laquelle elle écrivait : « Les cas impliquant des célébrités ne devraient pas être utilisés à mauvais escient par ceux comme vous qui cherchent la célébrité et des promotions pour leur carrière. Vous et ceux avant vous ne m’avez jamais protégée, vous m’avez traitée avec mépris, utilisant un crime commis contre moi pour faire avancer votre carrière. »
Roman Polanski :
— Lors de son arrestation en 1977, Roman Polanski est stupéfait d'apprendre qu'il est accusé de viol. Pour lui, son rapport sexuel avec Samantha Geimer était consentant.
— Dans son autobiographie publiée en 1984, il explique avoir senti « une certaine tension érotique s'installer entre lui et l'adolescente », puis ajoute : « L'expérience de Samantha, son absence d'inhibitions ne faisaient aucun doute. (…) quand je lui demandai doucement si cela lui plaisait, elle recourut à son expression favorite, « Ça peut aller ».
— À la journaliste Diane Sawyer, Roman Polanski explique dans un entretien effectué en 1994 : « À cette époque, il m'a été très difficile de me persuader que c'était mal. Je pensais que personne n'en avait souffert. Plus tard j'ai réalisé que ce n'était pas bien de faire ça mais il n'y avait aucune préméditation, c'est juste arrivé comme ça... »
Sur le plan judiciaire : Le 26 février 2010, le procureur chargé de l'affaire en 1977, Roger Gunson, déclare sous serment que le défunt juge Rittenband avait bien déclaré à toutes les parties, le 19 septembre 1977, que la peine de prison au pénitencier de Chino correspondait à la totalité de la peine que Polanski devait et a exécutée.
Faire la différence entre la culpabilité d'un auteur et la diffusion d'un message pernicieux immoral et dangereux.
Si je suis réservé envers Polanski, je suis tout à fait d'accord avec vous concernant l'horrible Gabriel Matzneff.
Les auteurs ne sont pas au dessus des lois, et ils devraient être à la hauteur de leur oeuvre
Ne soyez pas étonnée. La responsabilité des parents des victimes a été évoquée, au moins pour ce qui concerne Samantha Gailey et Flavie Flament… ainsi que pour un autre fait divers oublié, car beaucoup plus ancien : l'affaire dite « des ballets roses ».
Oui, les parents ont le devoir de protéger leurs enfants. Pourtant, depuis les scandales impliquant le clergé catholique et l'affaire Harvey Weinstein, les dénonciations d'abus envers des mineurs confiés à des adultes n'épargnent aucun domaine.
En conclusion : Oui, ces histoires de mœurs ne devraient relever que de la Justice.
@Colette Bacro
Rien à ajouter ! Tout est dit et bien dit !