« Nous sommes la population anonyme, souterraine. Nous sommes légions. Nous n'aimons pas la
publicité. À chaque fois que l'on parle de nous, c'est pour nous éliminer, pour nous éradiquer.
J'avoue, la peste, c'était de notre faute.
Mais c'est nous qui grignotons les restes des barres céréalières, qui avalons les frites rabougries des
pelouses de vos parcs. À nos risques et périls : vous y ajoutez trop de sucre, trop de sel ; l'obésité
nous guette. Nous avons les mêmes maladies, vous nous utilisez comme cobayes.
C'est notre principal défaut : nous vous imitons. Nous sirotons les gouttes de vin dans les gobelets
que vous oubliez négligemment. Cela provoque chez nous des chuintements inacceptables. Vous
pensez bien qu'en qualité de Président, j'ai essayé de mettre fin à cette consommation abusive. Sans
grand succès, je dois le reconnaître. Nous vivons depuis trop longtemps, côte-à-côte avec vous.
Mais revenons à nos moutons. Dieu merci, on n'a rien à voir dans cette affaire de coronavirus. À
moins que certains scientifiques ne se ravisent pas.
Nous sommes réunis en cellule de crise depuis le début du confinement. Car la situation est grave.
Jugez par vous-même.
Paris sans touristes, c'est la ruine assurée. Vous ne pouvez pas imaginer combien notre vie en
dépend de ces hordes indisciplinées qui oublient nourriture pour nos museaux, gants pour nos
demeures, livres pour nos incisives. Vous n'imaginez pas une seconde combien la vie souterraine
dans les métros nous est propice. Et Paris Plages au petit matin, quel délice.
On n'avait qu'à anticiper au lieu de procréer sans cesse, nous a-t-on reprochés. Mais justement.
Toutes nos prévisions, de croissance j'allais dire, tablaient sur un maintien de notre style de vie. Et
patatras. Ce satané covid.
— Transmis par la chauve-souris, notre lointain cousin, déclame le ministre de la Communication et
des Transports, en provoquant un couinement de fierté dans l'assemblée.
Mais déjà, la pénurie sévit. Que nous reste-t-il à faire ? Il nous faut éviter le cannibalisme, comme
lors des crues de la Seine. Manger des pigeons ? C'est une bonne solution de survie.
— Chasser les animaux domestiques, propose le gros rat, le ministre de l'Agriculture. C'est une
bonne idée. Les humains abandonnent par ce temps d'épidémie chats, hamsters, petits chiens. Leur
viande est tendre, bien nourrie comme ils sont.
— J'ai une bonne nouvelle à vous donner, annonce la ministre de la Santé. Les naissances baissent
déjà.
Intelligemment, nous adaptons notre population en fonction de la nourriture disponible. Mais cela
prend du temps. Et les humains risquent de prolonger les mesures de confinement.
Nous ordonnons l'évacuation immédiate de Paris, par tous les moyens, péniches, camions, train, à
quatre pattes, à la nage. »
Aurélien
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
Un récit original sur les conséquences du confinement des humains pour cette population souterraine. Bien vu, @Aurélien.