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Du 10 nov 2020
au 10 nov 2020

Un autre moi

La voiture est une enveloppe. Sortez de cette enveloppe et vous n'êtes plus le même. Une réponse à l'appel à l'écriture monBestSeller :" Je ne me suis pas reconnu"

Un accident de voiture, un simple accrochage en plein Paris. Quoi de plus banal ?

Tous les jours je circule dans la ville avec ma petite voiture. Tous les jours j’évite les autres avec calme et … les autres m’évitent. C’est un ballet incessant. On se demande comment il n’y a pas plus d’accidents. Aux voitures s’ajoutent les vélos, les patinettes, les monocycles, les piétons. Tout ce petit monde se côtoie, se croise, s’invective. Moi je suis toujours tranquille dans ma voiture, j’organise mes horaires à ma guise, pars toujours en avance. Je ne supporte pas les conflits, je déteste me mettre en avant, je ne m’occupe jamais des affaires des autres, j’ai peur de mon ombre. Bref je suis une trouillarde !

Ce jour-là, une voiture me fait une queue de poisson et érafle mon aile avant gauche au passage. 

Ce jour-là, mon sang ne fait qu’un tour. 

Ce jour-là, je trouve inadmissible qu’on me coupe la route.

Ce jour-là, je ne supporte pas que ma voiture, même si elle est vieille, soit abîmée.

Ce jour-là, je sors de mes gonds : j’accélère et défonce le coffre de l’autre voiture.

Le conducteur s’arrête, ouvre sa portière, sort et se dirige vers moi. A sa vue, ma colère retombe d’un coup et je manque défaillir tellement j’ai peur !

Le conducteur est hirsute, cheveux blancs comme neige, une barbe blanche longue de vingt centimètres, pantalon rouge, chemise de bûcheron à carreaux rouges et noirs, grosses chaussures noires. Il hurle en gesticulant dans tous les sens. Les voitures autour se sont arrêtées pour regarder le spectacle. Certains semblent prêts à me venir en aide si ça dégénère.

Soudain, un fou rire incontrôlable me prend. J’en ai mal au ventre. J’ai devant moi l’image d’un Père Noël en colère. Il s’énerve de plus en plus. Je sors de ma voiture et me plante devant lui, mains sur les hanches. Il fait trente bons centimètres de plus que moi et mon hilarité repart de plus belle. J’entends des rires timides autour de moi. Le conducteur est rouge écarlate, prêt à éclater comme une tomate trop mûre. Il devient menaçant. J’entends des portières qui s’ouvrent.

Et d’un coup, je saute sur le capot de ma Mini. Je me demande encore comment j’ai réussi cette prouesse vu ma taille … Le fou rire est passé, je souris à toutes les personnes qui sont sorties de leur voiture et me regardent les yeux écarquillés. Le conducteur s’est figé. Et une chose improbable se produit. Je commence à haranguer la foule :

Vous tous qui évitez votre prochain tous les jours à grands coups de klaxon, d’accélérateur et de freins,
Vous tous qui chérissez votre voiture plus que votre moitié, 
Vous tous qui êtes prêts à vous endetter pour vous pavaner dans la dernière berline, 
Vous tous qui pourriez foncer, comme je l’ai fait, dans une autre voiture au risque d’abîmer la vôtre pourtant si chère à votre cœur,

Vous tous qui un jour ne ferez pas que froisser de la tôle …

Vous ne nous trouvez pas ridicules Monsieur et moi ? Après tout, qu’est-ce qu’un peu de tôle froissée ? Sommes-nous réellement à deux minutes près dans une journée ? Cela vaut-il le coup d’en venir aux mains ? Mesdames, Messieurs, je vous laisse méditer ces paroles et vous souhaite une merveilleuse journée !

Je descends de mon capot, tend une carte de visite au conducteur, héberlué : « appelez-moi pour le constat », remonte dans ma voiture et claque la portière.

Assise derrière mon volant, je redeviens « moi ». J’ai envie de disparaître sous mon siège. J’ai l’impression d’avoir vécu un tremblement de terre, un tsunami mental, un passage dans une autre dimension, hors de moi. Une autre « moi » a pris le contrôle et fait ressortir la colère et le besoin de m’exprimer tapis tout au fond de moi.

Les voitures repartent. Le conducteur, l’air toujours hébété, remonte dans la sienne et démarre. 

Quelques jours plus tard, il m’appelle pour remplir le constat. Nous nous retrouvons autour d’un café, pas très loin de là où a eu lieu notre première « rencontre » … Cet homme est charmant.  Nous avons promis de nous revoir.

 

Marina Leridon

 

 

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@jbtanpi Bonjour. Que vous dire sinon un grand merci pour votre commentaire élogieux. Je continue effectivement cet exercice difficile mais également si valorisant et libérateur qu'est l'écriture. Amicalement.

Publié le 19 Janvier 2021

Bonjour @Marina Leridon.
En plus de ses qualités d'écriture, cette nouvelle est plus profonde qu'il n'y paraît et concerne tous les automobilistes qui ont senti monter en eux un sentiment de colère incontrôlable à la moindre égratignure de "leur" carrosserie.
Je l'ai souvent observé... chez les autres.
Quant à moi, euh ? Comme vous, je ne supporte pas les conflits, ni la colère d'autrui, ni d'ailleurs la mienne qui me prend parfois sans prévenir et me pousse à des actions regrettables.
Idem pour la peur.
L'écriture permet de s'inventer des nouvelles vies avec un autre moi, un autre décor ou d'autres "autres"... et de voir ce qui se passe dans un tel cas.
Votre nouvelle est construite comme une fable moderne avec sa moralité à la fin.
Elle est très réussie et agréable à lire.
Moralité de mon article : continuez à écrire !

Publié le 19 Janvier 2021

Bonjour à Michel et Michèle. Merci pour vos commentaires qui me font très plaisir. Je n'ai pas vécu cette situation qui effectivement doit être assez exceptionnelle. Amicalement.

Publié le 14 Novembre 2020

Bel exemple de récit pour illustrer le thème de l'appel à l'écriture. Bel exemple aussi de courage (et d'inconscience) pour aller au devant de possibles ennuis.
C'est bien raconté et bien écrit. Merci pour ce partage.

Publié le 10 Novembre 2020