Ce jour-là je ne me suis pas reconnu.
Je me suis mis à pleurer d’un coup, comme si un déluge avait envahi mon corps.
Tout est parti du sourire de cette fille, 7 mois plus tôt, un air de printemps dans les cheveux et des papillons dans les yeux. Elle avait parcouru un bout du monde avant de parvenir jusqu’à moi. Ses silences étaient des ondes de joie qui dégringolaient sur moi.
Au mois d’octobre, elle était entrée au conservatoire et elle avait chanté un morceau de chanson (inconnu) magnifique.
Fin de la musique. Ruée vers la sortie.
Incapable de résister, j’ai couru pour la retrouver au bout de la rue, laissant les autres qui traînaient derrière moi. Sur le champ, je lui ai offert mon cœur.
« Je t’invite. Où tu veux.
- Pour quoi faire ?
- Pour se rencontrer.
- C’est fait !
- Pour discuter un peu.
- Pas la peine, je ne suis pas bavarde. Tout ce que je sais faire, c’est chanter.
- Bon, alors viens chanter.
Elle a haussé les épaules, puis m’as suivi.
Mon cœur agité, j’écoutais son silence.
J’écoutais tendrement les suivants, et tous ceux qui ont suivi.
Elle chanterait. Elle chanterait pour moi.
Au coin d’une rue, elle s’est arrêtée net. Le temps avec.
Elle a ouvert la bouche pour laisser les divines notes s’envoler. Et je n’ai pas vu, hypnotisé comme je l’étais, l’émotion qui s’est emparée du petit coin de rue.
Un mois plus tard, j’épousais ma chanteuse. Elle était jolie, je lui mettais des pâquerettes dans les cheveux et je déposais des baisers sur ses paupières. Elle savait rire aussi.
Et quand je parlais, elle riait.
« Tu racontes n’importe quoi.
- Non, je donne des reliefs à tes silences. Je les emballe dans du papier de brouhaha.
- Je ne pourrais pas les emporter, tu sais !
- Les emporter où ?
Elle avait ignoré ma question, elle avait levé les yeux au ciel.
J’insistais.
« Les emporter où ? dis-moi.
Comme elle ne me répondait pas, je l’ai chatouillé pour que, sous la torture de mes chatouilles, elle finisse par me dire son secret. Mais rien n’y a fait.
Le mois suivant, nous sommes partis. Les gars du conservatoire avaient fait une enveloppe pour que nous partions en voyage.
Elle voulait aller dans trois endroits :
Au bord d’un lac
Dans un château
Et quelque part où on pouvait toucher les nuages et voir les étoiles de près la nuit.
Nous y sommes allés et c’était magnifique.
Jour après jour, j’essayais de savoir où elle ne pourrait pas emporter mes papiers de brouhaha.
Et je n’obtenais que des petites mélodies ou des yeux au ciel. Le charme était tel que j’oubliais instantanément ma curiosité pour l’embrasser.
Quand nous sommes revenus, elle continuait de rire à tout ce que je disais, et elle rendait la vie légère comme une cuillère de chantilly.
Pourtant, je voulais savoir ce qu’elle ne me disait pas.
Elle ne disait rien. Mais ça, elle me l’avait dit.
« Les emporter où ?
Un doigt sur mes lèvres pour me faire taire.
- Les emporter où ?
- Arrête de t’inquiéter.
Et la mélodie reprenait. Et nous dansions la nuit entière.
5 mois ont passés. J’ai écouté le peu qu’elle avait dit, et je ne me suis plus inquiété.
O comme j’aurais pourtant dû. J’aurais dû voir ses yeux brillants, et comme leur éclat m’avait rendu aveugle.
Je lui offrais des fleurs et elle pleurait de les voir se faner. Alors, je lui en offrais d’autres et mettais les tiges nues dans des vases. Je perdais la tête.
Puis, une nuit, alors qu’elle me croyait endormi, elle s’est mise à la fenêtre pour chanter.
Et, en un instant, alors que je regardais son dos nu, ses cheveux aux reflets argentés, le creux de ses hanches, et que j’aurais pu croire rêver sous toute cette beauté, elle n’était plus.
Enfin, si : par une drôle d’entourloupe, une conjuration insensée, un enchantement ou une malédiction, elle était ce petit oiseau posé sur le rebord de la fenêtre. Cette créature qui, sans même me regarder pour un adieu, s’est envolée en volant mon éternité de bonheur. En emportant au vent les silences qu’elle me réservait, et les rires, et les pâquerettes.
J’ai versé sur l’instant, puis pendant mille heures et cent jours, ces larmes de déluge que je n’aurais jamais cru verser.
Je n’étais plus moi.
J’ai découvert qu’en moi habitaient tant de silences.
La source qui les contenait avait cédé. Venait d’inonder ma vie.
Et jamais, au grand jamais, je n’ai trouvé les mots.
Je n’ai pas pu, même s’ils n’appartenaient qu’à moi.
(ALLIAUME Gilles)
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