I will survive,
7h55. Cinq minutes de répit sous la couette puis il se lève, allume dans sa chambre et la salle de bain, urine main gauche sur la hanche, tire la chasse d’eau. Dans le salon, il frissonne et pousse le thermostat à 25, se déplacer nu chez lui en hiver est son privilège.
Son mobile le renseigne, il va faire -2 degrés aujourd’hui, il note de monter le chauffage au bureau. Il allume la belle lampe sur pied qu’il s’est offerte à Noël, puis le plafonnier de la cuisine. Dans la même tasse il se sert deux capsules de café et du lait réchauffé au micro-onde, il y trempe plusieurs madeleines dont il jette les sachets plastique sur des restes de lasagnes en barquette et un tas de capsules.
Dans sa salle de bain, il ouvre l’eau chaude de la douche et attend qu’elle bouille, assis, en éliminant les repas de la veille. Soulagé, il tire la chasse d’eau et rentre dans la douche. Pendant que l’eau coule dans son dos ou sur ses jambes, délicieuse, il se lave les cheveux et le corps, la mousse abondante est douce sous ses doigts. Il se lave les dents, les doigts de la main libre sous l’eau du robinet, se mouche dans un kleenex qu’il jette dans la cuvette, tire la chasse d’eau, se met du déodorant en spray, du gel dans les cheveux et une crème pour maintenir le bronzage obtenu à vil prix à St Barth pendant les fêtes. Il sent bon, il est fresh, prêt à l’attaque.
Dans sa chambre, sous un gros pull il a mis un t’shirt dont c’est la dernière sortie, hier il a commandé un nouveau pack de dix sur Amazon, comme tous les trois mois, il n’aime pas quand le blanc perd son brillant. Il vide le panier à linge des draps, serviettes de bain et torchons jetés là les jours précédents, le tambour pourrait en contenir le double, au moins le programme long à 90 degrés assure qu’aucun germe ne va s’en sortir.
Depuis son salon, il démarre à distance son gros 4x4, il y fera chaud lorsqu’il grimpera dedans. Enfin il attrape un grand sac plastique et fourre dedans le fer à repasser qui a rendu l’âme peu après son achat, des piles usagées, des emballages de produits d’entretien et un tas de feuilles de papier sur lesquelles il a imprimé par erreur les 70 pages d’un PDF dont il ne voulait que la couverture et le sommaire. Il sort de chez lui, monte dans sa voiture puis s’arrête trois cents mètres plus loin à hauteur d’une benne laissée là contre le trottoir devant un édifice en travaux et y jette le sac en plastique contenant ses propres déchets.
À son bureau, il se sert un café à la machine dont il jette le gobelet en imitant un panier au basket puis passe le reste de la journée à optimiser ses campagnes de pub sur les réseaux sociaux, en ce moment c’est le tour d’un chauffe-mains en fourrure synthétique et connexion USB pour le recharger, il les fait fabriquer en Chine pour un dixième du prix affiché, ça se vend comme des petits pains. Dans les descriptions techniques, il vante des années de mains « plus jamais froides » et de doigts « plus jamais gourds », alors qu’à dire quelques semaines, au moins n’aurait-il pas menti. « À 14,90 € ils peuvent s’en racheter un autre l’hiver prochain », sa devise.
Le midi il déjeune d’une bavette à l’échalotte et d’un Côte du Rhône en terrasse du bar restau à côté de son bureau, la nuque rougie par le radiateur fixé au mur et le visage à un demi-mètre d’un brasero. Sur le chemin du retour, il craque pour un demi kilo de cerises, énormes, sucrées, juteuses, presque noires, chères, trente-cinq euros le kilo, mais ne viennent-elles pas du Chili ? Chez lui, le chauffage a fait des merveilles en son absence, il se déshabille et ne conserve que slip et maillot, se sert un verre de blanc californien et s’installe dans le sofa, à l’heure pour le journal. Il a beaucoup d’argent sur les marchés, il veut juste respirer l’ambiance mondiale, du moment que les bourses montent, le reste il s’en tape.
Qu’il se laisse importuner par un nouveau sondage d’opinion le prend par surprise, « deux tiers des français jugent que le gouvernement ne fait rien pour l’environnement » annonce le présentateur en préambule d’un reportage sur les ravages du bouleversement climatique. Il baille, se gratte l’entrejambe puis éructe : « Pas étonnant, ils s’en foutent de la planète les politicards, on va droit dans le mur à cause de ces connards incapables d’appliquer du bon sens, vivement qu’ils dégagent, tribunal et en taule ! ».
Frédéric Terrien, 57 ans, a fait à peu près n’importe quoi depuis son bac en 82. En décembre il remonte la pente en publiant « Ça arrive à tout le monde », dont il est assez fier,
Vous avez écrit un livre : un roman, un essai, des poèmes… Il traine dans un tiroir.
Publiez-le sans frais, partagez-le, faites le lire et profitez des avis et des commentaires de lecteurs objectifs…
@Frédéric Terrien, hello! Je ne sais pas si cette écriture est voulue...Si c'est le cas (ou pas, boaf), c'est vraiment réussi. Sans s'en rendre compte, welcome parmi les nominés et good luck.
Intéressant faux-coupable qui me fait penser au proverbe : "On voit la paille dans l'œil de son voisin mais pas la poutre dans le sien"
Eh bien, son comportement est à l'inverse de la cause qu'il est sensé défendre