Actualité
Le 21 nov 2022

Oser écrire un roman est une mauvaise idée (quand on n'est pas prêt)

Un bon roman serait-il celui qui cultive les ambiguïtés, l'imaginaire du lecteur, l'interprétation ? Voici quelques « réflexions » d'un lecteur, d'un auteur en herbe. Des réflexions personnelles qui nous appellent à réfléchir sur la définition et les vertus d'un bon roman.

Pour débuter, écrire court plutôt qu'écrire long car les règles sont les mêmes

Je n’écris pour le moment que des nouvelles et encore j’y passe des jours et des jours, des mois et des mois, etc. Pour un résultat… bref.

Je me suis dit, quand j’ai attrapé le virus de l’écriture : « il faut que tu commences par du court, car il vaut mieux réussir un truc court plutôt que d’étaler son incompétence sur un grand nombre de pages. »

Mes professeurs de français m’ont toujours expliqué qu’il suffisait de lire les trois premières pages d’un roman pour savoir si c’était bien écrit et s’il y avait une histoire ou non.

Donc je suppose que pour eux, si ces premières pages n’étaient pas convaincantes, toutes celles qui les suivaient étaient des pages inutiles. Un peu violent comme point de vue mais j’ai tendance à leur faire confiance. Après tout c’est leur métier.

Ce préambule pour dire (ce n’est que mon avis, on s’en doutera) qu’oser écrire un roman quand on n’est pas prêt est une mauvaise idée. Parce que, d’un point de vue pratique, c’est dommage de perdre son temps à répéter les mêmes impasses au lieu d’essayer de creuser un texte (court, parce que tout se joue déjà dans un récit court) pour arriver à quelque chose : une idée, une émotion, un style, une vision, un point de vue.

Bien sûr, pour dire cela, il faut avoir une idée de ce qu’est un roman et de ce qu’il n’est pas, idée que je me suis faite à partir de lectures et non à partir de mon expérience de l’écriture d’un roman (que je n’ai pas).

Comment écrire un roman si on ne sait pas ce que c’est ? C’est bizarre, non ? C’est comme si on voulait opérer un malade sans avoir aucune notion d’anatomie.

Or mon idée du roman, c’est que ce n’est pas une suite de pages. Si le roman était une suite de pages, ce serait simple. On écrirait d’abord quelques pages, auxquelles on ajouterait d’autres pages, et ainsi de suite jusqu’à arriver au nombre de pages qu’on estimerait suffisant pour mettre « roman » sur la couverture. Et le tour serait joué.

Un roman, donc, d’après mes lectures, est bien plus qu’une suite de pages : pour prendre une image ce serait comme un organisme, dont il faudrait d’abord avoir le cerveau et le cœur. Quelque chose pulse et, dans sa pulsation, fait naître des mots, des pages, un livre.
Quelque chose qui ne procède pas de la logique, surtout pas d’une logique d’accumulation, mais d’une idée, qui étend ses ramifications dans le livre, lequel s’élabore dans tous les sens, des profondeurs à la surface : ce qui est visible, les mots. Mais des mots qui ne seraient que la partie cachée d’un iceberg. Aucun bon roman n’est constitué seulement d’explicite. Les romans qui explicitent tout, qui disent tout ce qu’il faut comprendre, sont pour moi d’une très grande tristesse. Ils procèdent d’un désastreux manque d’imagination et n’ouvre aucun espace d’imagination au lecteur.

Les romans qui disent tout passent à côté de la vie

C’est la même différence qu’entre marcher dans un parc d’attraction et arpenter une forêt mythique, celle de Robin ou de Perceval. Les romans tristes, qui disent tout, passent à côté de la vie, qui est mystère, qui est désir, qui est contradiction. Si l’homme vit la plupart du temps sa vie à son insu (il a quelques rares moments de lucidité, c’est vrai, mais ce n’est qu’une lucidité partielle), pourquoi le personnage de roman ne serait-il pas comme lui ?
Pourquoi avancerait-il dans un monde balisé où, comme dans les allées d’un supermarché, tout est mis à sa portée, tout est devenu marchandise ? Où les sentiments sont étiquetés pour qu’on soit sûr de les reconnaître, de ne pas se tromper : ça, lecteur, c’est de l’amour et du vrai ; ça, lecteur, c’est de l’amitié, ça de la solitude, ça de la joie, ça de la tristesse, ça un méchant macho et ça une cadre d’entreprise battante. Qui sont ce macho et cette cadre quand ils ne sont plus macho et cadre ? Ou plutôt, de quelle vision de l’homme part-on quand on décide d’écrire un roman ? Le sait-on ? Une vision caricaturale, stéréotypée, où toute chose est à sa place, sauf la vie et la vérité qui main dans la main ont pris la clé des champs ? Ou bien une vision qui part de sa propre expérience/ignorance du monde et des autres, et qui tente d’en rendre compte à travers des personnages, une langue, une façon d’agencer dialogue, narration, description, commentaire ?

 Ecrit-on un roman pour écrire un roman ?

Et puis, surtout, écrit-on un roman pour écrire un roman ?
Comme un objet qu’on produit et une fois que c’est fait c’est fait ? Ou accepte-t-on que le roman se refuse, se rétracte, ne se décide à apparaître qu’après des mois, des années de maturation ? Après un travail acharné, des phases d’intense découragement, d’abandon, ou au contraire des périodes de grâce ?

Suffit-il d’accumuler et de produire pour écrire un roman ?
Suffit-il d’oser décréter « ceci est un roman » pour que ça le soit ?

Bruno Guennec

 

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@Bruno_Guennec
Quand je disais que votre article était "trop" riche...
*
Se questionner sur la production littéraire actuelle est non seulement légitime, mais une preuve d'intérêt pour la littérature.
On rejoint ici la même nécessité que dans l'article de monsieur Michel Canal sur la "censure" : impossible de dissocier un individu (événement/ création/ pensée/ etc. /)de son époque. Nous sommes entièrement conditionnés, manipulés, crâne bourré par les stéréotypes des temps dans lesquels on s'excite (certains disent, *dans lesquels on vit*).
De nombreux auteurs, chercheurs, éditeurs, e tutti quanti se la posent, cette question.
La radio s'en fait parfois le relais. Comme ici France Cult.
« Les trois genres dominants de ce début de siècle sont l'autofiction, on s’arroge la liberté de déformer sa vie ; le docufiction, on prend un fait divers ou un moment historique et on s'arroge la liberté de le déformer ; et puis, la biofiction, on prend la vie d'une personnalité pour la romancer. Ce qui est intéressant, c'est que ces trois fictions du réel étaient des genres il y a 20 ou 30 ans, très mésestimés et qui faisaient l'objet d'un certain mépris intellectuel. »
D’après Philippe Vilain, l’autofiction, le docufiction et la biofiction étaient considérés comme de la sous-littérature. Aujourd'hui, ils sont devenus une littérature légitime.
*
V'là. Et c'est pas fini...

Publié le 13 Décembre 2022

@Gabriel Schmitt, Eric. En ce qui me concerne, je n'ai ressenti aucune connotation à l'adjectif "subjectif", c'est "jugement subjectif" qui a inspiré ma remarque (voui, c'est pinailler) : un "jugement" (opinion portée sur une personne ou un événement"), me semble déjà très largement "subjectif", comme tout, me direz vous, dans ces débats où généralement prévalent les opinions. Bonne journée, et comme on dit : avec ma complicité d'autrice.

Publié le 12 Décembre 2022

@Gabriel Schmitt. On pourrait discourir à l'infini de tout sujet, le roman serait le sujet idéal et se conjuguerait à tous les temps : ce qu'il fut, ce qu'il aurait pu être, [...] ce qu'il est. Et l'on serait, en cela, aidé par le "jugement subjectif" (mais là, je me demande si nous ne nageons pas dans le pléonasme, en route vers l'océan des présupposés).
Bref, monsieur Guennec en dit beaucoup trop en peu de signes (je me répète). En revanche, et même si cela est subjectif, j'adhère à sa lapalissade : quand rien ne nous assure que nous sommes capables de faire (bien) long, commençons par essayer de faire (potable) court.
Quant à savoir ce qu'est un "bon" roman, on peut en donner les critères, mais on ne sera jamais ou rarement d'accord. Tout à fait entre nous, cher Schmitt, je dirais : "ouf ! alléluia !", car ça me ferais quand même mal aux pieds d'avoir les mêmes références que certains.
Je dirais même que, parfois, monsieur G. énonce des évidences, mais à notre époque, on se ferait guillotiner pour avoir osé une évidence si la machine était encore en fonction.
Rappeler aujourd'hui qu'Anatole France a déclaré « La vie est trop courte. Proust est trop long », n'est pas à l'honneur de France. Si vous voulez mon avis, il devait être jaloux, ou manquer de discernement.
Permettez-moi de ne pas partager votre ultime affirmation : "Chaque succès de littérature a toujours d’abord convaincu une majorité de lecteurs." Surtout de nos jours où c'est rigoureusement l'inverse (et je n'invente rien) : on fabrique l'opinion, on vend, et ensuite seulement, si l'on a bien vendu, on sacre l'écrivain.
Merci pour votre intervention,
Allez-vous bien depuis la dernière fois ?

Publié le 12 Décembre 2022

@Bruno_Guennec:
Après tout c’est leur métier:...
Heu non, pas d'accord, leur métier est le français pas romancier !
Ensuite, chacun ses gouts, on peux aimer lire du fantastique et détester lire du policier, je m'explique:
Certains romans peuvent être écrit sous forme policier et ne pas en être, par exemple certains livre du genre archéologique. Donc, je n'aime pas tel roman policier, alors, inintéressant ?
Ensuite je m'appuierai sur @Catarina Viti, il y a tant a dire sur le mystère et ses effets(^^).
Dans ma prime jeunesse, j'ai aimé lire, surtout de la fiction, de l'espionnage, et toute les BD possible, j'ai donc épuisé la bibliothèque du lycée ou j'étais interne, comme les lumières étaient éteintes trop tôt, j'avais une "pile" électrique car pas question de rendre le roman non fini le matin suivant.
J'en déduit donc qu'un roman donne cette sensation d'avidité, qu'il nous prends aux tripes qu'on veuille le finir de suite. Et voilà, je suis accroc !...
Mais encore une fois, ce n'est pas parce qu'un roman ne nous plait pas qu'il n'est pas digne d'être lu parce que potentiellement inintéressant. Quid ?

Publié le 05 Décembre 2022

Je trouve dommage qu'il n'y ait pas plus de réactions à cet article, mais je suppose que chacun a ses raisons pour l'ignorer ou, en tout cas, pour ne pas saisir l'occasion de s'y exprimer.
Dommage pas pour l'auteur de l'article, je suppose que s'il s'escrime à écrire, ce n'est pas dans le fol espoir de recueillir des lauriers, mais celui de partager une réflexion sensée nous concerner tous.
Le reproche que j'adresse cependant au rédacteur (Passen Sie auf, Herr @Bruno_Guennec !), c'est de faire trop dense. Il y aurait là matière à trois ou quatre billets.
_ Le roman est-il une suite de pages ?
_ Et si l'on imaginait le roman comme un organisme vivant ?
_ Les mots ne seraient-ils que la partie cachée d’un iceberg ?
_ Qu'advient-il du roman quand il s'illustre en un texte EXPLICITE ? (l'explicite... Mein Gott, herr Guennec, mais il faudrait écrire une dizaine d'articles là-dessus !)
_ Les romans tristes qui disent tout... (15 articles au bas mot)
_ Le mystère, qui est désir, qui est contradiction. (n'est-ce pas l'essence même de la littérature, ce Graal que tout écrivain recherche sans jamais l'attendre tout au long de son existence ?)
_ L’homme vit la plupart du temps sa vie à son insu (n'est-ce pas tout le mystère, justement. Et l'écrivain n'est-il pas là pour éclairer cette part non consciente ?)
_ Pourquoi avancerait-il (le lecteur / L'homme) dans un monde balisé où, comme dans les allées d’un supermarché, tout est mis à sa portée, tout est devenu marchandise ? (ôtez moi un doute, Herr Guennec : vous n'êtes pas David Naïm ? (auteur de "A mort Aristophane") (hihi).
_ De quelle vision de l’homme part-on quand on décide d’écrire un roman ? (ben, tout est là. C'est le commencement de la littérature = trouver un point de vue nouveau, encore jamais exploité.)
_ Et puis, surtout, écrit-on un roman pour écrire un roman ? (vous posez, il me semble, la question cruciale de la création contre la production.)
_ Suffit-il d’accumuler et de produire pour écrire un roman ? (j'ai envie de répondre non.)
_ Suffit-il d’oser décréter « ceci est un roman » pour que ça le soit ? (si j'osais, je dirais que non.)
Finalement, ça fait 12 articles en 1.
Allez, bon vent !

Publié le 26 Novembre 2022

@Bruno_Guennec
"Relevant le défi lancé par ses amis d'écrire une nouvelle en 6 mots (ni plus, ni moins!), il couche sur le papier son célèbre « For sale: baby shoes, never worn » (« À vendre: chaussures bébé, jamais portées »). Hemingway considère même que ces 6 petits mots constituent la plus belle histoire qu'il n'ait jamais écrite". Pris n'importe où sur la Toile.
Je ne sais pas si c'est une blague, mais j'ai toujours été émerveillée à la lecture de cette phrase. Emerveillée par sa capacité d'évocation, mais également émerveillée par son génie. Je me suis essayé à l'exercice, il n'en est ressorti que des choses navrantes, des pétards mouillés. N'est-ce pas ce que vous cherchez, ce que nous sommes nombreux à chercher : cette magie, cet embrasement subit des neurones revitalisés par quelques mots étrangement alignés ?

Publié le 21 Novembre 2022

@Bruno_Guennec
Il n'y a pas de blague. C'est du réel. Un challenge relevé par Hemingway : écrire le roman le plus court du monde.
J'ai écrit : "en principe d'Hemingway", car certains prétendent que ce ne serait pas de lui.

Publié le 21 Novembre 2022

Je suis parfaitement d'accord avec cet article.
Le problème de nos jours, c'est que le roman se vend.
A une époque où je n'écrivais que de la poésie, on m'a bien fait comprendre que la poésie ça ne se vendait pas.
Je me suis sentie dépitée et désespérée. J'ai donc baissé les bras, pensant que ce que je faisais ne menait à rien. Et ne me sentant pas capable d'écrire un roman.
J'ai essayé, plusieurs fois, bien sûr, mais pour le moment je ne sais pas le faire. Et tant qu'on ne sait pas, autant l'admettre, et continuer dans les textes plus courts.
Quand je raconte des histoires, mes textes sont vraiment très courts. Pour le moment j'aime poser des scènes, avec ou sans contexte, parce que j'aime laisser l'univers ouvert et que le lecteur (ou moi-même) s'invente tout un monde autour (ou pas).
Mon problème, en tant que lectrice, pour les romans, c'est que j'ai du mal à les lire et à les terminer quand je sens qu'il ne s'agit que d'une suite de mots. C'est vrai que l'histoire et logique, entière, racontée, parfois bien écrite aussi. Mais si je ne ressens pas le coeur de l'écrivain battre entre les pages, en général j'abandonne.
Un roman, c'est bien plus que des mots. C'est parfois tout un univers qui semble exister, et que l'écrivain nous raconte, parce qu'il a accès à cet univers.
Ne pas écrire de roman, ou ne pas savoir en écrire, ne fait pas de vous un écrivain nul et sans avenir. Rester sur des textes courts ne fait pas vous un écrivain nul et sans avenir.
L'écriture d'un roman ne devrait pas être la quête du graal pour se sentir écrivain.

Publié le 21 Novembre 2022

Un des plus beaux romans que je connaisse ne comporte que 6 mots (en anglais. VO):
"A vendre chaussures de bébé jamais portées".
En principe, l'auteur est Hemingway
En VO, ça donne : "For sale: baby shoes, never worn"
Pensez-vous que cela résume votre propos ?

Publié le 21 Novembre 2022