Interview
Le 10 oct 2023

Prix Concours monBestSeller, sélection d’octobre pour son roman Sans Fard, Flore Freynet répond aux questions de Sylvie Etient

Flore Freynet nous dit pourquoi elle a voulu écrire ce roman comme un témoignage de l’enfermement que peuvent subir les femmes abusées : "Écrire un livre était ma manière de dénoncer. Que, pour une fois, Monique puisse avoir une voix qui lui permette de s’exprimer sur sa condition. Je m’étais promis que mon tout premier travail d’écrivain serait de raconter cette histoire. J’ai souhaité l’écrire sans fard, je voulais gratter le vernis, je n’ai pas maquillé l’histoire pour la rendre plus belle. Je la livre telle qu’elle est, tragique."
Interview de Flore Freynet, Sélection d’octobre du Prix Concours monBestSeller
Question: 

Flore Freynet, de quoi parle votre livre ?

Réponse: 

Flore FreynetMon livre retrace l’histoire d’une femme, Monique, que par la force des choses on a contrainte au silence. Mon livre parle de corps bafoué par l’inceste, puis par le désir des hommes jusqu’à la prostitution. Il parle d’un corps qui se dépossède au fur et à mesure des évènements qu’il traverse. Mon livre témoigne également d’un enfermement psychique et de maladie des suites de plusieurs traumatismes.

Monique est née femme, elle a grandi dans cette représentation de son corps instrumentalisée pour satisfaire un désir masculin. Elle évolue en se rendant elle même consommable, elle génère une image qu’elle croit dompter, mais qui en fait l’emprisonne dans sa condition. Une image qui finit par lui échapper. Ce sont les hommes, toujours, qui lui donnent le sentiment d’exister. Elle part de chez elle. Elle n’a pas de repères pour assurer sa protection. Jeune puéricultrice à Marseille, elle rencontre Henri Cordier, "Paulo" pour les intimes, qui lui promet monts et merveilles à Paris. Il élabore minutieusement un piège. Elle le suit parce qu’il la fait accéder à ce qu’elle n’a jamais eu : une structure, la promesse d’un amour, d’un toit et d’une vie paisible. En réalité, Henri finit par posséder Monique, et elle doit fuir une deuxième fois pour reprendre possession de son corps. Mais avant de partir, l’homme a laissé sa marque. Il n’y a plus de retour arrière possible. Coma et épilepsie sont des rythmes que le corps doit apprivoiser. Ce corps devient un réceptacle de violence, il est meurtri. Il doit apprendre à vivre avec la même enveloppe, mais quasiment amputé de son contenu puisqu’elle se réveille aphasique. La nouvelle enveloppe se refuse à la vie. Monique se renferme, s’isole, essaye de se supprimer. Elle est hospitalisée par période en hôpital psychiatrique, ressort, se morcelle à nouveau.

La seule chose que Monique arrive à retrouver tant bien que mal, c’est ce qu’elle avait dompté : sa féminité. Elle la façonne, elle devient un corps en représentation. Elle le maquille jusqu’à le masquer. Il devient un costume, tout de fard vêtu.

 

Question: 

Quel est l’univers de votre livre ?

Réponse: 

Mon livre mêle plusieurs univers, nous sommes tout d’abord plongés dans plusieurs époques que j’ai voulu documenter. Les années 50 (avec l’effervescence du festival d’Avignon qui en était à ses prémices), par le prisme de Simone, la mère de Monique, journaliste au journal La Marseillaise. Puis nous entrons dans les années 60/70 marquées par des dates clés pour l’évolution des droits des femmes. Il me tenait à cœur de pouvoir transmettre l’atmosphère de ces époques pour comprendre les enjeux dans lesquels Monique grandissait. Par la suite, le récit nous mène vers une cavale où l’on se retrouve presque dans un roman noir, construit comme une enquête policière. Pour enfin plonger dans un récit intime, avec des passages que j’ai écrits comme des monologues intérieurs. Le dernier univers décrit un enfermement presque carcéral, entre les quatre murs d’une chambre et dans une boîte crânienne.

 

Question: 

Votre écriture est-elle influencée par d’autres auteurs ?

Réponse: 

Oui, incontestablement ! Certains auteurs m’ont inspiré par leurs univers, comme Jeanne Cordelier avec son roman La dérobade, qui décrit de manière autobiographique son expérience de la prostitution. Puis il y a l’œuvre d’Annie Ernaux, dont les investigations intimes et les témoignages presque sociologiques ont été une grande inspiration. Pour écrire Sans fard j’ai aussi lu plusieurs auteurs qui ont écrit leurs livres à la deuxième personne du singulier comme dans mon récit. Notamment les livres de Charles Juliet, qui a recours à l’écriture comme seul moyen de raconter à la place de sa mère son mutisme.

 

Question: 

Comment vous est venue l’envie, l’idée d’écrire ce livre ?

Réponse: 

Monique est ma tante, toute sa vie elle a vécu un enfermement à la fois psychique et physique. J’ai été témoin de cela dans mon enfance, jusqu’à ma vie de jeune adulte. Je me suis construite en comprenant qu’il y avait dans ma famille des zones d’ombres, des choses que l’on taisait ou que l’on ne voulait plus raconter. Il me semblait impossible de savoir cela sans réagir. Je voulais comprendre ce que comportait réellement cette histoire, comme une mythologie familiale à découvrir, oser regarder par le trou de la serrure pour comprendre mes propres héritages. Et très vite, j’ai compris que l’histoire de Monique était malheureusement universelle, et, qu’en ce sens, elle ne pouvait plus être tue. Que j’avais entre les mains l’histoire de milliers de femmes, même si celle de Monique est singulière. J’avais aussi envie, par mon récit, de poser une pierre dans l’édifice de conscience collective qui s’est bâti ces dernières années, pour dire à ma manière qu’un corps est un royaume à protéger, et qu’à la toute base, cela ne peut se faire qu’avec le consentement. Consentir ou ne pas consentir, c’est devenir maître de son corps. Faire des choix qui le font exister. Maintenant que j’élève une petite fille, cette idée résonne d’autant plus. Que ce récit puisse aussi bien concerner les femmes en devenir, les mères, les sœurs, mais aussi les frères, les pères, et les hommes en devenir.

Écrire un livre était ma manière de dénoncer. Que, pour une fois, Monique puisse avoir une voix qui lui permette de s’exprimer sur sa condition. J’ai toujours rêvé d’écrire un livre, et je m’étais promis que mon tout premier travail d’écrivain serait de raconter cette histoire. J’ai souhaité l’écrire sans fard, je voulais gratter le vernis, je n’ai pas maquillé l’histoire pour la rendre plus belle. Je la livre telle qu’elle est tragique. Je l’ai écrite de mon point de vue de témoin, afin de la livrer comme un témoignage.

 

Question: 

Combien de temps vous a pris l’écriture de votre roman ?

Réponse: 

Au démarrage du travail d’écriture, il y a eu une première phase d’investigation qui m’a pris quasiment un an, où j’ai rassemblé les documents attestant de cette histoire : articles de journaux, notes de frais, télégrammes, lettres, cartes postales, et photographies. Tous ces éléments étaient parfois à portée de main ou parfois trouvés au détour d’une archive, comme le compte-rendu du procès qui se passe dans mon livre. Ils ont été la base de mon travail. Cette première année est aussi une période où je suis allée à la rencontre des membres de ma famille, j’ai posé des questions, on m’a livré des réponses ou des silences, qui ont aussi été à la base de mon écriture. J’ai aussi retrouvé des personnes qui avaient connu Monique pour les interviewer. Puis j’ai écrit pendant un an, ce qui a coïncidé avec la fin de vie de Monique. C’est un pur hasard, mais mon temps d’écrivain a été rattrapé par la disparition de mon héroïne. Ensuite s’en est suivi le deuil, j’ai beaucoup réécrit de versions sur pratiquement trois ans, il m’a fallu accepter que ce livre aboutisse sans Monique vivante. Elle connaissait l’existence du projet. Mon désir aurait été de lui lire le livre dans son entièreté, mais je n’ai pu lui lire que des bribes.

 

Question: 

Un mot sur votre expérience monBestSeller ?

Réponse: 

Mon livre a suivi un parcours classique d’envois chez des éditeurs, il m’a permis d’avoir des échanges très riches avec plein d’interlocuteurs différents. Mais après plusieurs échecs d’édition, j’ai cherché un moyen de rencontrer malgré tout mes lecteurs. Je pense que cette rencontre s’est bel et bien produite grâce à monBestSeller, j’en suis très heureuse. Je reste intimement persuadée que les lecteurs ont aussi besoin de récits cathartiques, que Monique peut avoir une résonnance en chacun de nous. MonBestSeller m’encourage à continuer mon travail, j’aimerais écrire sur d’autres destins de femmes.

 

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