Récrire Arsène Lupin, ou La Fanfiction est-elle un entraînement salutaire ?

Pourquoi récrire la première aventure d’Arsène Lupin : L’arrestation d’Arsène Lupin — avec Lupinesque ?

Par admiration, tout d’abord ; admiration de la prose élégante, dentelée, énergique, parfois feuilletonnesque, toujours engageante, de Maurice Leblanc.

Par nostalgie aussi ; nostalgie d’une adolescence penchée sur les aventures livresques du gentleman-cambrioleur.

Par défi d’écriture, encore : serais-je capable de rendre crédible cette variation sans trahir sa source ?

Et puis, une envie de m’amuser, de triturer le développement originel, de combler certains vides que le narrateur choisi par Leblanc ne pouvait pas dire, qui devaient rester en suspens pour assurer une “chute” efficace au texte.

Car la fanfiction (littéralement : fiction faite par un ou une fan), c’est cela : détricoter une fiction, combler ses béances, réaliser ses potentialités, infléchir son cours… tout en conservant la voix, les caractéristiques des personnages déjà établis. Se glisser dans un univers constitué en le faisant sien, en le gauchissant lors de cette appropriation temporaire, de cette variation sur un thème. Car ce que voit, ce que peut penser un protagoniste, n’est pas forcément la vérité d’un autre.

Mon idée de départ ? Récrire ce récit du point de vue de miss Nelly — puisque la nouvelle de Leblanc s’articule à travers un autre récit subjectif. Cela nécessitait de se couler dans cette fiction, de reprendre toutes ses étapes, tout en s’en démarquant. Et de construire une voix féminine suffisamment prégnante pour une silhouette dont on sait, finalement, peu de choses : jeune héritière franco-américaine, courtisée et amie d’une aristocrate britannique. Donc pleine d’assurance mais également un peu naïve, indépendante et sans doute peu disposée à conclure un mariage hâtif de dollar princess (celui de ces héritières américaines épousant de vieux noms de la noblesse européenne ; d’où le clin d’œil à Winnaretta Singer, en mentionnant les machines à coudre).

Comment procéder ? Tout d’abord, lire, lire et relire, bien s’imprégner des romans et nouvelles de Leblanc. Noter qu’il ne mégotte jamais sur les descriptions des réactions de personnages pour faire connaître leurs émotions. Analyser l’importance des descriptions de l’environnement matériel, des symboles de la condition sociale des personnages, de la place de la psychologie dans le déroulement du récit (l’écrivain se voulait d’abord continuateur de Maupassant avec des nouvelles psychologiques). Relever certains tics d’écriture — en insérer un ou deux pour accentuer la “couleur locale”. Doser les effets et les imports de prose : même pour étayer une illusion début-de-siècle, on n’écrit pas en 2023 comme en 1905…

Dans le cas présent, cela demandait aussi de conserver la majeure partie des dialogues originels tout en les enchâssant dans un autre point de vue… et d’emprunter une phrase, décisive, à la nouvelle Le Piège infernal (Les Confidences d’Arsène Lupin,1913), introduisant ainsi une réplique — plus féministe — aux préjugés bien de leur temps du héros et de son créateur !

On le voit, l’exercice n’était pas tant structurel que stylistique. C’est un exercice d’écriture pleinement assumé : des gammes, en somme ; des exercices de dérouillage des doigts… ou plutôt, de la plume !

Pourquoi s’y astreindre ? Devenir “autre” par l’écriture permet aussi paradoxalement de trouver sa propre voix, sa voie ; d’explorer des potentialités, de définir plus facilement son propre style, de tester ses limites. D’apprendre concrètement comme se structure un texte, une intrigue.

Mais, attention ! Pour la loi française, ces variations ne peuvent être publiées que sur des textes tombés dans le domaine public.

Clarisse Balsamo

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