Il fonçait sans casque, slalomant entre les voitures, sautant de trottoirs en chaussées et de chaussée en couloir de bus. Un cabri agile frôlant des éléphants aux barrissements desquels il répondait par un doigt d’honneur. Parfois, il se penchait sur le guidon et il était à Monza. Quand un piéton ne se poussait pas assez, il le frôlait en l’insultant. Un aventurier du goudron, l’aiglon de la route qui freina juste au début des marches de l’escalier de sa station de métro. Il rajusta ses vêtements, plia son Nvei, le mit en bandoulière. Avec l’élan, le deux-roues réduit frappa la personne derrière lui. Celle-ci maugréa :
-Hé, faîtes attention quand même avec votre engin !
Eh ça va, c'est bon, pardon, y’a pas mort d’homme, répondit-il.
Il s'engouffra dans la rame, chipa le premier siège de libre, se fit de la place, sortit son téléphone.
Ouais, salut, j'aurais du retard, ben tu sais, le métro quoi, comme d'habitude. Tu verrais la gueule des gens ! Pour la réunion, tu les fais patienter, un café... enfin tu gères. Ok. A tout'.
Il soufflait à chaque ralentissement, pestait contre l’incurie des transports publics en regardant sans cesse sa montre. Enfin son arrêt ! Il courut sur le quai, son véhicule ballotait dans son dos que des têtes fâchées et surprises tentaient d’éviter en se penchant sur le côté. Au dehors, il déplia sa trottinette, démarra en trombe, sauta du trottoir. Il ne vit pas le bus qui arrivait derrière lui.
Il reprit vaguement connaissance dans l’ambulance. Il tenta de parler mais une canule obstruait sa bouche. Il avait une douleur intense au crâne et il lui semblait qu’un harpiste démoniaque jouait avec un gant de fer sur les nerfs de sa jambe à vif. Il ne sentait plus son bras droit. Il s’évanouit en entendant très loin les paroles apaisantes d’un soignant et une voix derrière impérieuse et pressée.
Aux urgences saturées, les pompiers enregistrèrent son admission, callèrent son brancard où ils pouvaient, en lui laissant son dossier sur le ventre. La hâte affairée des soignants contrastait avec le calme morne, à la fois tendu et résigné des malades, seulement entrecoupé par les ordres criés ou les noms appelés au-dessus des murmures et des plaintes, ou par quelques colères sporadiques nourries d’impatience et d’inquiétude.
Il attendit, s’endormit surement sous l’effet du stress et du choc.
Si la douleur avait disparu, à son réveil rien n’avait changé. Le couloir était toujours aussi encombré et agité : certains accompagnants faisaient un esclandre, réclamaient qu’on traite leur proche en premier. Les infirmiers intervenaient, expliquaient qu’ils étaient débordés, qu’ils faisaient ce qu’ils pouvaient – ils comprenaient leur inquiétude mais le cas n’avait pas le caractère d’urgence de certains autres malades en montrant les brancards alignés dans le couloir. Mais cela avait de moins en moins d’effet malgré la présence du vigile. La situation l’énerva et il décida d’intervenir. Cette incompétence ! Il se leva. La tête lui tourna un peu mais il se remit vite. Il se dirigea vers l'accueil d'une marche volontaire, prit un ton péremptoire et patelin, paternellement compréhensif :
Mademoiselle, ça ne peut plus durer. Ni pour vous, ni pour nous. C'est n’importe quoi ! Faire la queue et voir sans cesse des prioritaires couper la file, c’est insupportable. Vous gérez ça n’importe comment soit dit sans vous vexer ! J’aimerais voir patron dans les plus brefs délais.
Mais, Monsieur, vous ne..., tenta-t-elle d'objecter.
Non, Mademoiselle, vous n’y êtes pour rien et vous subissez la nullité de vos supérieurs. J’exige de voir votre chef, immédiatement, insista-t-il en montrant sa carte.
Elle lut le libellé, sembla impressionnée et décrocha son appareil. Elle murmura quelques mots qu'il n'entendit pas puis reprit après avoir raccroché.
Bien, M. Pietro accepte de vous recevoir. Un agent d'accueil va vous conduire à ses bureaux.
Merci, dit-il, ce n’est pas contre vous -vous faites ce que vous pouvez, concéda-t-il- mais si personne ne se plaint… !
Un employé l’interrompit. Au-dessus d'une vareuse à rayures bleues, il portait une simple blouse. Il sourit au sous-fifre.
M. Cairone, secrétaire de M. Piétro. Que puis-je pour vous ?
Vous ? Rien. Je veux voir votre supérieur, j’ai à me plaindre.
Très bien, si vous voulez bien m'accompagner, dit le secrétaire en lui montrant le couloir menant à un ascenseur.
Il le suivit d'un pas délié, tout infatué encore des effets de sa propre autorité. Ils entrèrent. L'employé appuya sur le bouton du dernier étage. Au bout de dix minutes, il s'inquiéta.
On monte encore ? Mais combien d'étages à cet immeuble ?
Un peu de patience, Monsieur, nous ne tarderons pas.
Cela dura ce qui lui sembla être une éternité : rien n'est plus inconfortable que cette longue promiscuité avec un inconnu dans une cage d'ascenseur.
Ça va encore durer longtemps. D’extérieur, ça me semblait pas aussi haut. Il crèche dans les nuages votre patron ?
Mais, bien évidemment. Monsieur, puisque vous êtes mort.
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Le final, très proche de celui de ce récit, par ailleurs très bien écrit. Avis aux curieux.
Écriture rythmée et fluide. Pas de temps mort.
Belle chute que je n'ai devinée que peu avant la fin, et ce à cause de l'intitulé du concours, sinon je n'aurais rien vu venir.
Félicitations.
Un personnage dépeint de façon très expressive, et une chute qu'effectivement on ne voit pas venir, bravo !
Bravo à vous !
Bravo, c’est bien rythmé avec une chute inattendue.. tous les ingrédients d’une bonne nouvelle. Félicitations
Très sympa, aucun temps mort : chapeau !
Sympa, rythmé, et fin surprenante, habilement introduite, qui n'échoue pas sur l'écueil d'un twist final capillotracté... Bravo pour ce "Prix de la chute" mérité !
Merci pour cette contribution fort appréciée et bonne journée.
Amicalement,
Michèle