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Le 04 fév 2024

Au secours, mes proches veulent me lire ! Par Grégoire Dibos

Un écrivain dans la famille ! Malédiction. Un écrivain parmi ses proches… suspens. Parce que nous appelons "réalité", notre mémoire, et parce que nous avons tous des souvenirs différents d’un même événement, il est bien rare que l’écrivain de la famille la représente telle qu’elle a été selon les autres ; que les amis se reconnaissent derrière les phrases de l’auteur ; plus rare encore que les proches reconnaissent l’ami dans l’écrivain. Le lecteur idéal ne serait-il pas le parfait inconnu ?
Tribunes monBestSeller : Au secours, mes proches veulent me lire ! de Grégoire Dibos

Il y a tout juste un mois, je déposais mon roman dans l’escarcelle numérique et collective de monBestSeller.

Depuis, à chaque lecture ou téléchargement, je me réjouis à l’idée que des lecteurs inconnus puisent peut-être, dans « mon » histoire, un moment de détente ou d’évasion.

J’en profite au passage pour remercier la plateforme monBestSeller de nous ouvrir cette fenêtre unique. Elle nous permet de nous rapprocher d’une communauté providentielle de lecteurs tout en partageant notre passion de l’écriture avec ces nombreux frères et sœurs d’âme que sont les auteurs actifs sur le site.

Cependant, une petite phrase en apparence anodine et en soi tout à fait bienveillante, m’a submergé d’une certaine angoisse : l’invitation à partager ma présence sur monBestSeller avec mes proches. En y consentant, je m’extirpe inexorablement à ce confort douillet de l’anonymat que je m’octroie sous couvert de mon pseudonyme.

Cette forme d’"outing" me ramène aux souvenirs d’un premier roman écrit il y a quelques années, et de trois observations, et autant de conclusions tirées sur base des retours, à l’époque, de mes amis, mes collègues, ma famille.

 

1. Les proches qui vous lisent se remémorent des souvenirs communs…

… parfois totalement erronés ! Ce premier constat est pour moi le plus amusant, voire le plus jouissif des trois. Il nous montre à quel point la lecture éveille ou développe l’imagination des lecteurs. Parfois, ces témoignages nous permettent de découvrir des facettes inconnues de ces proches qui nous lisent et qui ne sont jamais totalement neutres. Paradoxalement, c’est alors le lecteur qui se livre. Ce qui me fascine le plus, face à certaines fausses interprétations, c’est la manière dont, sitôt écrite, une histoire ne nous appartient plus.

 

2. Le risque de l’amalgame entre un roman et son auteur

J’ai écrit mon premier roman dans une période de ma vie où je me sentais heureux, comblé et serein. Pourtant, le récit que j’avais imaginé se déroulait dans un univers noir, malsain, asphyxiant. Cette plongée dans les ténèbres de l’âme en avait surpris plus d’un. À tel point qu’un ami m’avait chuchoté, se sentant presque coupable de n’avoir rien perçu auparavant : "je ne savais pas que tu allais si mal". D’autres m’en avaient presque voulu "on ne te regardera plus jamais tout à fait de la même manière" comme si j’avais osé remettre en question des certitudes auxquelles il ne fallait pas toucher.

Lorsque j’entamai l’écriture du roman publié aujourd’hui sur monBestSeller, ma vie avait changé. Je traversais une période sombre dont j’avais besoin, à ma manière, de m’évader.

Le personnage principal de ce deuxième roman, plutôt que de subir, comme moi, certaines situations désagréables, ou de buter contre les limites de son courage, parvient à défier la fatalité, dévier du chemin tracé, pour donner à sa vie la dimension qui me manquait alors. Inconsciemment, je le décrivis donc avec une certaine admiration.

Les trois proches qui, à ce jour, ont lu ce nouveau roman n’ont pu s’empêcher de se dire surpris de cette attitude un peu condescendante qu’ils ne soupçonnaient pas chez moi auparavant. Spontanément, je me mis à leur expliquer qu’ils faisaient fausse route, car pour moi, écrire, c’est aussi s’offrir une vie parallèle faite de ce qu’on ne fait pas, de qui nous ne sommes pas dans la vie, « à la surface » que nous partageons avec les autres.

Je perçois aujourd’hui à quel point il est difficile, bizarrement, d’interpréter à l’oral, ses propres personnages de romans pour les disséquer auprès des lecteurs proches. Ils ne peuvent s’empêcher de faire souvent l’amalgame entre l’auteur qu’ils connaissent personnellement et ses protagonistes.

 

3. Les victimes collatérales, heurtées avec tendresse

J’avoue que pour ce deuxième roman-échappatoire, sans y prêter trop d’attention, je me suis copieusement « servi » du monde qui m’entoure. Traits de caractère, anecdotes partiellement reconstituées, vagues souvenirs personnels... J’ai pioché sans vergogne mon inspiration dans ce que des proches m’offrent, à leur insu, pour construire cette nouvelle aventure faite de personnages pourtant totalement fictifs. J’aurais dû sans doute mieux me souvenir que les allusions même très vagues et brèves à quelques personnes de mon environnement m’avaient déjà valu des remarques bien ciblées.

Mais même s’il ne s’agit que de bribes, et qu’aucun proche ne compose donc tel quel un personnage à part entière de cette nouvelle histoire, j’appréhende déjà certaines réactions.

Aux susceptibilités et vexations éventuelles que je provoquerai, je ne peux que répondre, en toute sincérité, que je ne suis capable de subtiliser des "effets personnels" immatériels qu’à celles et ceux pour qui j’éprouve au moins de la tendresse, si ce n’est beaucoup plus.

Pour le reste, je m’en remets à ce que m’a suggéré la personne qui compte le plus : "assume la liberté que tu prends"

 

Inévitablement, ceci m’amène à rebondir sur l’excellent article Ecriture et liberté.

Pour m’adresser à vous :

Auteur, autrice, où se situent vos propres limites par rapport à vos proches quand vous vous lancez dans l’écriture ? Que ce soit quand il s’agit de leur emprunter un peu d’intimité ou de vous dévoiler vous-même à travers vos romans ? Et vous, chers lectrices et lecteurs, pensez-vous que le narrateur doit s’octroyer toutes les libertés, à condition de préserver chaque identité ?

 

Grégoire Dibos

 

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tout à fait d'accord avec l'amalgame trop souvent fait entre protagoniste et auteur. On m'a encore posé la question hier dans une interview : "vos romans sont-ils inspirés de vos propres expériences ?" A cela je réponds toujours ironiquement qu'heureusement non ! J'écris du thriller ! Au-delà des quiproquos, certains lecteurs "proches" ne peuvent s'empêcher d'être troublés, cela cache peut-être une certaine tendance à la vexation, au manque d'objectivité ou encore à une certaine perversion. Allez savoir. En tout cas, le conseil de votre proche est juste ! Assumons la liberté de nos plumes !

Publié le 17 Février 2024

Un très bel article. Je suis on ne peut plus d'accord concernant cette excellente plateforme qu'est mbs et que je ne connaissais pas. C'est une superbe occasion de permettre à nos romans d'exister et de vivre leur petite vie d'écrits. Car notre but premier, (à moins de n'écrire que pour soi) est qu'ils soient lu par le plus grand nombre. Merci à mbs.
Pour rebondir sur votre article Grégoire, je vous répondrais que pour ma part, je puise énormément dans tout ce qui m'entoure. Donc, forcément, certains de mes personnages peuvent avoir des traits de caractères sensiblement similaires à des proches, amis, connaissances. Traits de caractères ou autre. Toutefois, à moins d'écrire une autobiographie, cela reste de la "fiction", ce sont des personnages fictifs. Tout comme les sentiments, les ressentis qui les animent. Et si tout le monde devrait comprendre cette différence lorsque ce point est largement précisé dans le genre de notre ouvrage, il est tellement vrai également que nos proches ne peuvent s'empêcher de faire l'amalgame avec eux, leur entourage ou avec ce que nous sommes en tant qu'être humain. C'est plus fort qu'eux je crois ! Encore plus que les inconnus qui nous lisent. Car, je suis sûre aussi, que certains de nos lecteurs (selon le genre du roman, encore une fois) peuvent être amenés à penser s'il y a une minuscule part de vrai dans ce que nous écrivons, une part de nous. Ce qui n'est pas totalement faux je dirais pour ce qui est de cette dernière, puisque, malgré tout, et même dans nos fictions, une part de nous-même (même infime) aura été déversée dedans. Nous en sommes l'auteur après tout.
À nous donc d'expliquer gentiment à nos proches ce que signifie le mot "fiction". Pour l'instant, je n'ai pas eu à me justifier sur mes écrits auprès de ceux (rares) qui m'ont lue. Peut-être cela viendra-t-il un jour. Cela dit, je les assume totalement. En revanche, il est vrai que je préfère mille fois être lue par des inconnus que par mon entourage proche. C'est trop intimidant. J'ai trop peur du regard qu'ils poseront sur moi ensuite s'ils n'aiment pas. C'est ridicule, mais c'est ainsi. Hier, un ami m'a annoncé qu'il avait téléchargé mon roman et, bizarrement, une boule s'est formée dans mon estomac et je me suis dit : "Oh, non ! J'espère qu'il va aimer ! Et s'il déteste, me verra-t-il toujours de la même manière ?" Voilà comment je me sens chaque fois !

Publié le 12 Février 2024

@Agathe Ourlane je partage votre votre appréciation d'MBS. Il s'agit pour moi d'une plateforme d'expression unique qui nous garantit une liberté totale, sans quoi nous ne pourrions vivre pleinement notre vie d'auteur.

Publié le 08 Février 2024

Merrci à toutes et tous pour vos réactions à mon article.

@Catarina Viti, je comprends parfaitement votre suggestion d'adopter un pseudo par publication. J'ai d'ailleurs publié mon premier roman sous un autre pseudo que le deuxième.

Publié le 08 Février 2024

Cet article correspond tout à fait à l’une de mes préoccupations. Je viens tout juste de terminer un roman et de le publier sur mBS sans en avoir parlé à mes proches. Ils savent que j’écris mais je redoute de leur faire lire. Je redoute exactement ce que vous décrivez dans cet article : l’amalgame entre le roman et son auteur.
Un autre point me dérange également : leur avis ou critiques risquent d’être moins objectifs que de la part de lecteurs inconnus, et donc moins intéressants.
Je ne souhaite pas non plus qu’ils se sentent « obligés » de lire mon livre.
mBS m’a donc semblé pour le moment le meilleur moyen d’être lue, d’échanger avec d’autres auteurs et lecteurs.

Publié le 07 Février 2024

Écrire c'est ouvrir une fenêtre sur son âme. C'est aussi savoir garder de la distance entre ce que l'on écrit et ce que l'on est.
Les différents thèmes sont autant de problématiques pour l'auteur.
Tout dépend aussi du genre de roman que l'on va développer. Dans ce panorama, l'autofiction c'est l'imagination qui vient au secours du souvenir.
La famille ou les proches vont plus où moins extrapoler sur les personnages, situations, etc.
Compliqué d'assumer, d'où l'utilisation d'un pseudo pour la plupart des auteurs.

Publié le 07 Février 2024

Je trouve toujours bizarre d'être lue par des personnes qui nous connaissent (ou croient nous connaître). J'ai des annecdotes fumeuses ! J'en suis même arrivée à créer des histoires avec des personnages masculins pour ne plus entendre des "mon Dieu, mais tu as vécu tout ça ? Je ne savais pas que ! Tu ne m'avais jamais dit que (tu avais une soeur jumelle), ou ce genre de chose. Eh bien, même avec des personnages masculins, j'ai entendu... Mais non, je ne suis pas trans !!!
Voilà, le problème c'est : "à partir de quand les gens pensent-ils nous connaître ?"
Pour bien faire, il faudrait changer de pseudo à chaque publication...
Ou avoir une part mystérieuse... Un pseudo que personne au monde ne connaît, et qui vit dans d'autres sphères... C'est la solution que je préfère.
Merci pour ce billet !

Publié le 06 Février 2024

Pour moi, rien de mieux que d'être lue par de parfaits inconnus. J'en suis revenue des " félicitations, j'aimerais bien le lire". Je ne fais plus part à quiconque de mon entourage familial ou amical de mes nouvelles publications, non pas pour leur contenu, mais tout simplement parce que la plupart de ceux à qui j'ai offert mes livres papiers ou virtuels ne les ont pas lus, et ce, de leur propre aveu. Oui, au secours l'hypocrisie ! dont je me passe bien volontiers.

Publié le 06 Février 2024

Être lue par mes proches, ma hantise ! D'où l'utilisation bien pratique du pseudo...

Publié le 05 Février 2024