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Le 27 mar 2024

Comment construire un personnage de roman ? La description

Il y a bien sûr multiples façons de donner de l'étoffe à des personnages de roman. La description est l'une d'elles. Tout auteur caresse le rêve de créer un personnage attachant, unique et inoubliable. Un personnage de fiction qui laisse un souvenir de lecture impérissable. Un héros littéraire. Mais comment animer un de ces êtres de papier capable de bouleverser une vie de lecteur ?
Arsène Lupin, la petite sirène, Esmeralda...La description physique ne suffit pas, c'est leur psychologie qui leur donne de l'étoffe.Arsène Lupin, la petite sirène, Esmeralda...La description physique ne suffit pas, c'est leur psychologie qui leur donne de l'étoffe.

Quelques conseils pour donner de l'étoffe à ses personnages

Voici quelques clefs pour donner à nos personnages romanesques ce pouvoir qui les dimensionne affectivement.
Camper un personnage qui reste gravé dans la mémoire des lecteurs, plus facile à dire qu’à faire.
À quoi l’auteur de romans peut-il se raccrocher ? Que dire ? Que laisser deviner ? Comment s’y prendre ? C’est toutes ces questions que nous allons soulever au fil de notre série « Réussir son personnage de roman ».

>> Ce qu'il ne faut pas faire ou comment réussir à échouer :

Peut-être en voulant reproduire des recettes qui fonctionnent, ou qui ont fonctionné.

- User et abuser des clichés

Les auteurs ne réalisent pas toujours qu’ils sont, comme tout citoyen, victimes des clichés de leur époque.
Un auteur qui veut créer un personnage remarquable, quel que soit le registre, doit manipuler avec doigté les stéréotypes.
Juste assez pour que le lecteur reconnaisse, comprenne le personnage, et puisse s’identifier.

- User et abuser des probabilités, des associations évidentes

La magnifique brune aux yeux bleus, le corps de rêve, le regard de braise, la voix chaleureuse et rassurante…
Ces regroupements de mots atteignent de telles fréquences, qu’ils sont exactement ce que peut produire la décriée Intelligence.Artificielle

Le cliché physique chez la femme
« Ses cheveux blond doré, qui tombent en cascades soyeuses autour de son visage délicat. Ses yeux bleus de braise qui captent la lumière comme des saphirs précieux. Son sourire éclatant. Ses vêtements mettant en valeur sa silhouette ont un éclat presque aussi vif que celui de sa personnalité pétillante. » (Tel quel sur ChatGPT)

Le cliché physique chez l’homme
« Sa posture droite et confiante témoignait de son assurance. Ses yeux perçants et attentifs scrutaient son interlocuteur. Son teint légèrement hâlé soulignait son élégance discrète. » (By ChatGPT)

La liste des clichés littéraires…est longue comme un jour sans pain. Clichés liés au genre, au milieu social, aux arcs narratifs, au suspens, à la morale, au raisonnement, etc., sans fin.

- Faire du cliché à son insu

Les idées « décalées » peuvent aussi bien faire fuir le lecteur lorsqu’elles ne sont pas formellement maîtrisées

Une jeune femme mince, au teint pâle et aux cheveux courts, teints en noir. Elle porte des piercings et des tatouages, dont un de dragon dans le dos. Son style vestimentaire non conventionnel est composé de vêtements noirs et de cuir.

Vous aurez reconnu Lisbeth Salander de Millénium.

Mais justement, ce personnage remarquable — devenu un cliché à force d’être copié et recopié — serait resté anecdotique si chacun de ses attributs physiques n’était pas une expression de son intériorité. Le personnage de Lisbeth Salander est à lire comme un idéogramme.

>> Quelques pistes pour créer des personnages remarquables

- Jouer avec l’imagination du lecteur

Évitez avant tout de tomber dans les stéréotypes clichés liés au genre. Au premier cliché, la réaction du lecteur risque d’être rédhibitoire.
Les femmes, comme les hommes, ne doivent pas être définies par leur seule apparence, leur statut relationnel ou leurs intérêts traditionnellement associés au genre. C’est pourquoi leur description devrait s’en tenir à la confiance que vous mettez en l’imagination du lecteur.

La description physique des personnages

Elle avait des formes, des rondeurs, elle était belle, de longs cheveux noirs, une belle nuque, un nez droit. Ses ongles, étonnements blancs, étaient taillés en amande, ses mains n’étaient pas très belles. Ses dents : blanches au bout nacré.

Telle est la description physique dEmma Bovary. Tout le reste, c’est le lecteur qui le construit.

Elle était belle, potelée, brune, les cheveux bouclés.

Telle est la description physique dAnna Karénine. On ne sait rien de plus d’elle.

- Donner du fond à la forme

« Il avait les joues pourpres et les yeux baissés. C’était un petit jeune homme de dix-huit à dix-neuf ans, faible en apparence, avec des traits irréguliers, mais délicats, et un nez aquilin. De grands yeux noirs, qui, dans les moments tranquilles, annonçaient de la réflexion et du feu, étaient animés en cet instant de l’expression de la haine la plus féroce. »

Vous aurez peut-être reconnu la description de Julien Sorel, le héros de " Le rouge et le noir ". 
En quelques traits mélioratifs et péjoratifs, Stendhal, crée un être dont on peut projeter tous les conflits internes.

La psychologie des personnages de roman, c'est ce qui les rend remarquables

« Les personnages les plus mémorables sont ceux qui ont une profondeur psychologique, et souvent, ceux-là ne bénéficient d’aucune description physique pointilleuse » explique Stephen King dans "Écriture, mémoires d’un métier".

Donnez-leur des motivations, des peurs, des secrets inavouables, des espoirs et des failles, le lecteur s’y reconnaîtra sans avoir besoin d’autre chose.
Le saut imaginatif jouant à plein, il formera ses propres images à partir des détails psychologiques que vous lui fournirez.
Permettez-lui de comprendre ce qui motive les personnages et ce qui les rend humains, il comblera les blancs avec jubilation. »

 

En un mot :

1. Relire et faire relire son texte pour une chasse aux clichés,
 

2. Compter avec l’imagination du lecteur,
 

3. Etablir de solides liens entre les attributs physiques et psychologiques du personnage,
 

4. Dire juste ce qu’il faut (supprimer impitoyablement tout ce qui n’apporte pas un plus à l’histoire).

 

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Merci pour cet article fort intéressant sur la création de personnages de roman. Votre analyse sur l'importance de la psychologie des personnages et la mise en garde contre les clichés est très éclairante.

Je voudrais ajouter que, parfois, et selon moi, les clichés peuvent être des raccourcis utiles, surtout pour les personnages secondaires. Ils permettent de rapidement situer le lecteur et de rendre un personnage immédiatement reconnaissable. Cependant, c'est vrai que cela peut aussi être un piège si l'on n'y prend pas garde, risquant de rendre ces personnages trop stéréotypés et peu mémorables. Il y a certainement je crois un équilibre à trouver.

Publié le 06 Juillet 2024

@Sylvie de Tauriac
Drôle de manière de présenter les choses. Si tant est que la thèse inverse soit soutenable, n'intervertiriez-vous pas l'effet et la cause ?

Publié le 31 Mars 2024

Je pense que si le roman est court il vaut mieux ne pas trop s'attarder sur la description physique. Un regard, un geste ou une émotion décrivent mieux un personnage, en fait il vaut mieux se concentrer sur l'essentiel. Si le roman est très long, les descriptions physiques peuvent être développées. Le nombre de pages déterminent les choix de l'auteur. @Sylvie de Tauriac

Publié le 31 Mars 2024

@Catarina Viti
Si vous voulez mon humble avis, je pense que la littérature française contemporaine s'abîme trop souvent dans la psychologie (encore heureux quand ce n'est pas une psychologie de bazar). On y voit trop souvent des personnages obsédés par leur propre nombril et, de ce fait, incapables de poser des actes qui feraient avancer significativement le récit. Total, on s'emmerde copieusement, et le seul sentiment qui naît, me semble-t-il, chez le lecteur, c'est l'envie de botter le cul à tous ces névrosés, histoire peut-être de les faire avancer. L'ennui règne en maître, et c'est un véritable bol d'air que de se tourner ou de se retourner vers les maîtres du behaviorisme littéraire, souvent américains, ces auteurs qui ne noient pas leurs lecteurs sous une avalanche de notations psychologiques à la mords-moi-le-noeud. Le comportement des personnages y est suffisamment explicite pour que leurs créateurs ne soient pas obligés d'accumuler des explications psycho-machin-chose. Vous avez raison : "Des souris et des hommes" est un parfait exemple de la chose ; et il en résulte que ce bouquin a bien plus de profondeur psychologique que nombre de romans dits "psychologiques", dont le le résultat principal serait de détourner de la littérature tous ceux qui voudraient un peu s'y intéresser.
Ne pensez pas que je condamne bêtement toute la littérature psychologique. Elle aussi a ses auteurs phares; je pense par exemple à Henry James ; je pense particulièrement à son "Tour d'écrou", où l'auteur a l'habileté de cultiver l'ambiguïté, à tel point qu'au final on ne sait pas exactement si l'on a lu un roman (nouvelle) fantastique ou le récit d'une névrose pas piquée des charançons.
Bref, je me rends bien compte que tout ça est un peu rapide et mériterait peut-être d'être développé, mais il se trouve que d'autres tâches m'appellent, notamment celle d'aller arroser mes stradivarius népalais. Et puis, de toute façon, on s'en fout, non ?
PS : Chez moi ça ne va pas mal. D'ailleurs, toutes vous embrassent avec amitié. Et chez vous, Madame ? Le printemps claironne-t-il à votre porte ?

Publié le 29 Mars 2024

@Elisabeth Rousset
Bonjour, Boule de suif. Si vous le voulez bien, nous n’allons pas jouer à « nana-nanère », mais à « cherche la balle, petit bonhomme » (un jeu hautement constructif et systématiquement bienveillant, grâce auquel on devient petit à petit moins couillon).
Dunque. Si je questionne à propos de ce passage de « Des souris et des hommes », c’est dans l’unique but d’éclairer un point particulier. Nous savons que Steinbeck n’est pas un adepte de la description des sentiments. Pourtant, son livre (restons sur cet exemple) déborde d’émotions, de réflexions, d’engagement, etc. C’est donc bien que l’écrivain sait nous entraîner dans le Grand Bleu en ne décrivant pourtant que la surface de l’eau. C’est ce que montre la description de Julien Sorel citée dans l’article.
Donc ma réaction à votre commentaire.
Et la réaction de @Philippe SCHNEE est intéressante (et sincère #réaliste XXL). Cet auteur découvre qu’il bâcle la description physique (mille autres le font, mais lui, il réalise qu’il le fait).
Il découvre donc que la description « physique » est l’arbre qui cache la forêt (bravo, m’sieur !), et que l’écrivain peut utiliser ce miroir pour traverser celui de la réalité.
Quant à Tolstoï, il fait le choix inverse : aucune description physique de Anna. Comme si la description physique d’Anna, agissant comme un frein, aurait pu empêcher cette lente et inexorable descente dans l’enfer de la folie. La seule chose qu’on sait après la scène finale (et là aussi, il y aurait tellement à dire : le train qui ouvre l’histoire, et nous révèle Anna, est aussi l’élément qui l’efface du paysage). c'est que d’elle, il ne reste que le fameux « sac rouge », lui aussi, à jamais fantasmé.
Sinon, ça va chez vous ?

Publié le 29 Mars 2024

@Catarina Viti
Eh bien non, ce n'est pas de la psychologie. Cela dit, mon commentaire ne s'adressait pas à l'auteur de la rubrique mais à M. Schnee. Et force m'est d'avouer que je ne sais pas qui est le Guytou que vous évoquez, à moins que vous ne vouliez parler de Guyde qui ne va pas très fort, vu qu'il se relève à peine d'une crise de horla qui lui a grignoté divers boyaux de la tête.
PS : Je ne comprends pas du tout votre "s'il l'on veut sacrifier un élément narratif, on peut faire comme Tolstoï". Auriez-vous la gentillesse de m'expliquer ?

Publié le 28 Mars 2024

Chère @Elisabeth Rousset
Et ça, c'est pas de la psychologie ?
"Tous deux étaient coiffés de chapeaux noirs informes, et tous deux portaient sur l’épaule un rouleau serré de couvertures. L’homme qui marchait en tête était petit et vif, brun de
visage, avec des yeux inquiets et perçants, des traits marqués. Tout en lui était défini : des mains petites et fortes, des bras minces, un nez fin et osseux. Il était suivi par son contraire, un homme énorme, à visage informe, avec de grands yeux pâles et de larges épaules tombantes. Il marchait lourdement, en traînant un peu les pieds comme un ours traîne les pattes. Ses bras, sans osciller, pendaient ballants à ses côtés".
Il me semble que c'est ce que dit cet article : inutile de décrire des traits physiques (qui ne servent qu'à figer une image), mais reposons-nous sur la description physique pour tracer la psychologie. Et s'il l'on veut sacrifier un élément narratif, on peut faire comme Tolstoï. Sinon, on peut faire comme Steinbeck.
Ce n'est pas une affirmation, c'est une recherche honnête.
PS : Comment va Guytou ?

Publié le 28 Mars 2024

@Philippe SCHNEE
Fait chier, la psychologie ! Vive le behaviorisme ! Vivent les Hemingway, les London, les Steinbeck, les Hammet et les Burnett !

Publié le 28 Mars 2024

Très intéressant et très vrai, cet article ! Une bonne histoire sans de bons personnages ne fonctionnera pas... personnellement, je n'en ai pas grand chose à faire de la description physique dans mes propres ouvrages. Je la bâcle généralement rapidement pour m'attarder sur le volet psychologique. Il me reste peut-être un juste milieu à trouver.

Publié le 28 Mars 2024