Comédie improvisée

Rencontrer celui ou celle qu'on a envie de rencontrer. Y croire, c'est la première étape...

—Marie !

Le cri de joie fuse, cascade claire et limpide. J’ai à peine le temps de m’étonner qu’un son si puissant, si jeune, sorte d’un si petit corps à l’évanescence de toile d’araignée perlée de rosée. Happée par un tourbillon de tendresse. Les bras ténus qui m’enserrent connaissent un regain de sève, le printemps réveille ces brindilles sèches. Enfin, elle se recule pour me regarder et m’affirme avec fierté et ravissement :

—Que tu es belle !

Cette douceur me fait du bien. Ses yeux qui semblaient éteints crépitent, révélant leur couleur délicate de myosotis. Un bleu délavé de bois flotté chahuté par les vagues, qui a connu tous les soleils et toutes les tempêtes. Son visage est une mer ridée sous les risées, sa peau si fine et si souple ressemble à une pâte à pain pétrie par le temps. J’ai envie de lui dire à elle aussi qu’elle est belle comme une feuille de bouleau argentée tremblotant au vent, qui scintille et émet un doux cliquetis. Mais je préfère me taire. Me réchauffer à la lumière que je viens d’allumer en elle.

Mes mains dans ses minuscules pattes d’oiseau érodées par l’existence. Aussi polies et marquées par mille vies que des pierres de ruine, inconsistantes et si pleines de souvenirs. Translucides, veinées de bleu, osseuses, elles me tiennent fermement, avec toute l’énergie de l’espoir. Une alliance en or sur l’annulaire, incrustée dans la peau déformée qui l’empêche de partir.

Elle porte un rouge à lèvres pour l’occasion. Sa robe est coquettement assortie à son gilet lavande, teinte fanée et séchée qui ne se révèle qu’au soleil. Elle s’est apprêtée comme tous les matins. Pour une occasion attendue, qui la fait se lever et se pomponner avec assiduité, tous les jours depuis qu’elle est là. Tant qu’il y aura des matins, des lendemains, elle s’y tiendra. Au cas où…

Il y a une tache de graisse sur son vêtement, son maquillage déborde, elle sent trop l’eau de Cologne. Ce parfum se mêle aux fragrances douceâtres de l’EHPAD. Un tic lui fait hocher la tête en aiguille refusant de passer à la minute suivante. Je reste là, sans oser bouger pour ne pas la faire s’envoler, glacée jusqu’au tréfonds des tripes. J’aimerais que cet instant finisse, ne plus la lâcher, partir en courant, j’aimerais que tout cet amour continue à m’envelopper, je ne sais plus.

Mon regard perdu saisit soudain ce que j’attendais dans ce salon. Mon mari arrive, l’air interrogateur, poussant le fauteuil de mon beau-père. Un immense sourire illumine le visage du vieillard, ce même sourire qui a ensoleillé mon inconnue. Et en même temps qu’elle relâche ses mains, toute couleur la déserte, elle redevient une photo sépia racornie. Elle souffle, elle souffre :

—Vous n’êtes pas Marie, mais je crois que je le savais déjà …

Je nie, les yeux embués. Elle déploie lentement le tissu amidonné de son corps perclus de rhumatismes et plus encore de solitude, elle sourit doucement et me glisse avant de s’en aller, minuscule courant d’air abandonné :

—Merci quand même…

Lisel Merello

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